En Suisse, le Conseil fédéral a posé les premières pierres de la grande réforme du droit d’auteur. Il a transmis mercredi un projet de loi au Parlement où la question de la lutte contre le piratage transpire à chaque ligne. Nos voisins ont cependant écarté l'idée d'adresser des messages d'avertissements sur les réseaux P2P.
La révision de la loi sur le droit d’auteur (LDA) se fera loin du sentier Hadopi, mis en œuvre en France avec la loi de 2009. Dans ce projet, le Conseil fédéral a en effet finalement abandonné la possibilité d’autoriser l’identification des abonnés en cas de violations graves du droit d’auteur sur les réseaux P2P, suivie d’une pluie d’avertissements.
Ce système était pourtant bien envisagé dans l’avant-projet avec des nuances par rapport à l’expérience française. Déjà, il faisait l’économie d’une autorité administrative indépendante, donnant les principales clefs aux FAI. « Le fournisseur d'accès aurait eu l’obligation d'envoyer par courriel un premier message d'information à l'usager pour le rendre attentif à la situation juridique et aux éventuelles conséquences d'un non-respect de la loi, ce qui aurait donné à ce dernier suffisamment de temps pour changer son comportement ou sécuriser sa connexion ».
En cas de réitération, l’abonné derrière l’adresse IP aurait alors été identifié devant les juridictions civiles, à charge pour lui de stopper cette hémorragie tout en payant d’éventuels dommages et intérêts au secteur concerné.
Pourquoi un tel abandon ? Selon les explications du Conseil, « il est ressorti de la procédure de consultation que ces mesures (identification de l’abonné et mesures d’information) n’avaient pas de chances d'obtenir l'aval de la majorité, raison pour laquelle elles n’ont pas été retenues dans le projet de révision actuel ».
Conclusion : « L’utilisation d’offres illégales continuera (…) à ne pas faire l’objet de poursuites. Les consommateurs pourront donc télécharger ("downloader", ndlr) pour leur usage privé un morceau de musique, par exemple, qui a été mis en ligne sur Internet sans l’autorisation du titulaire des droits ».
Pas de blocage d’accès
Autre projet abandonné : le blocage d’accès. Alors qu’il est pratiqué dans plusieurs pays européens, dont la France, il a été repoussé aussi bien par les utilisateurs, les fournisseurs de services Internet, les consommateurs, les partis que de nombreux cantons.
Là encore, face à ce bloc d’impopularité, le Conseil fédéral a préféré jeter l’éponge tant les chances de succès étaient nulles.
Néanmoins, d’autres mesures de lutte contre le piratage ont été avalisées. Elles concernent en particulier les obligations des hébergeurs et les traitements de données à des fins cette fois de poursuites pénales.
L’obligation de Stay Down pour les hébergeurs
Pour le premier cas, le texte veut contraindre les fournisseurs de services en ligne à une obligation de prévention. Dès lors qu’un contenu a été rendu accessible sur leurs serveurs, ils devront empêcher toute réitération.
Cette obligation de « Stay Down » vise les contenus, non les URL, ce qui impliquera un mécanisme d’identification et de filtrage pro-actif, à l’instar de ContentID sur YouTube. Seulement, plusieurs conditions ont été posées avant de mettre ce rêve des sociétés de gestion collective en application.
Outre une obligation préalable de signalement ou de notification, ce dispositif de retrait persistant devra être précédé par la démonstration que « le service, notamment en raison de son fonctionnement technique ou de ses objectifs économiques qui favorisent les violations du droit, génère un risque particulier qu’une telle violation soit commise ». Tous les hébergeurs ne seront donc pas de facto visés.
Surtout, l’intermédiaire ne pourra prendre que des « mesures qui peuvent être raisonnablement exigées de lui d’un point de vue technique et économique compte tenu du risque de violation ».
Cette clause de bon samaritain imposera donc de suivre une logique de proportionnalité. Dit autrement, ce n’est pas parce qu’un fichier contrefait aura été épinglé sur le service Tartanpion, que celui-ci devra déployer un filtrage par usine à gaz mettant en danger son équilibre financier et technique.
Selon le Conseil fédéral, ce sont ces acteurs en tout cas « qui disposent des moyens pour éviter l’hébergement de plateformes de piratage sur leurs serveurs et pour faire supprimer rapidement les contenus portant atteinte à des droits d’auteur ». Voilà pourquoi « ils seront donc tenus à l’obligation de stay down ».
Un traitement automatisé pour les infractions pénales
Malgré l’abandon d’un système d’avertissements, les sociétés de défense du secteur ne sont pas totalement démunies. Elles ont ainsi été autorisées à déposer une plainte ou une dénonciation pénale après un traitement automatisé de données à caractère personnel. Un système qui devra toutefois faire l’objet d’une publicité préalable, prévient le texte.
En Suisse, si le téléchargement (download) est autorisé car couvert par l'exception de copie privée, la mise à disposition du public sans autorisation reste interdite. Ces traitements permettront ainsi de faciliter les actions contre ceux qui uploadent des oeuvres protégées par la propriété intellectuelle.
D’autres avantages consentis à la culture
Le secteur a obtenu d’autres avantages. Les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, par exemple, verront leurs droits dits « voisins » s’allonger de 20 ans, avec une protection harmonisée à 70 ans au lieu des 50 en vigueur jusqu’alors.
Cette extension sera donc signe de rémunérations complémentaires sur les fonds de catalogue.
Le Conseil a adopté également un droit à rémunération pour les œuvres audiovisuelles. « Quiconque met licitement à disposition une œuvre audiovisuelle de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement doit verser une rémunération à l’auteur qui a créé l’œuvre audiovisuelle » pose le projet.
Cependant, aucun droit ne sera exigible pour certains contenus : ceux des auteurs et des héritiers, ou pour les œuvres audiovisuelles représentant « un portrait d’entreprise ou un film industriel, un film publicitaire ou promotionnel, un jeu vidéo, une œuvre de service ou de commande d’un organisme de diffusion ou une autre œuvre journalistique dite de service ou de commande ».
Même sort pour les productions d’archives d’un organisme de diffusion ou les œuvres orphelines, ces contenus sans paternité.
S’agissant des photographies, « les internautes pourront continuer à partager leurs photos de vacances sur Facebook et à mettre en lien une photo originale si celle-ci est en accès libre ».
Il y a des bémols : « le téléchargement sur leur propre site Internet d'images de tiers (par exemple des photos de produits ou encore de monuments ou de paysages) sans l’autorisation du photographe ne sera par contre plus admis. Les internautes devront donc soit acquérir les droits d’utilisation de ces images soit utiliser leurs propres photos ».
Le projet de loi part désormais au Parlement où une commission se réunira dans quelques jours pour décider de l'agenda de son examen.