L'industrie de la musique demande le filtrage du mot « Torrent » sur Google et Bing

#J'hacke Girac
Droit 7 min
L'industrie de la musique demande le filtrage du mot « Torrent » sur Google et Bing
Crédits : Marc Rees (CC-BY-SA 3.0)

Hier, à la cour d’appel de Paris, le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP) a plaidé en faveur du filtrage du mot « Torrent » sur Google et Bing, lorsqu’associé au nom de trois artistes : Christophe Willem, Kenji Girac et Shy'm. Les plaidoiries ont cependant été stoppées, le président ayant poussé les uns et les autres à une médiation.

En 2012, la Cour de cassation, saisie à la demande du syndicat des gros producteurs de musique, avait déjà justifié la purge de Google Suggest.

À l’époque, cette fonctionnalité agaçait les ayants droit. En fonction des recherches populaires effectuées par d’autres internautes, Google suggérait en effet des gros mots comme « Torrent », « Megaupload » ou « Rapidshare » lorsque l’internaute commençait à saisir le nom d’un artiste.

Pour valider ce nettoyage, la Cour s’était fondée notamment sur l’article L336-2 du Code de la propriété intellectuelle, qui permet de prévenir ou faire cesser une atteinte à la propriété intellectuelle à l’égard de toute personne susceptible de contribuer à y remédier.

En 2015, le SNEP a tenté d’étendre cette jurisprudence aux résultats des moteurs Bing et Google lorsque le mot « Torrent » est couplé à « Kendji Girac », « Shy’m » ou « Christophe Willem », trois artistes alors en pleine actualité dans les bacs.

Un bide devant le TGI de Paris

Seulement, dans l’affaire Google, le tribunal de grande instance de Paris a cette fois considéré que le SNEP n’était recevable à agir que dans l’intérêt collectif de ses adhérents. Voilà le hic : il n’agitait de chiffon rouge qu’au profit de la défense de trois artistes. Dit autrement, cette action laissait sur le carreau tous les autres ainsi que les 38 autres producteurs membres du syndicat.

Dans le dossier Bing, la même juridiction a ajouté que les dispositions de l’article L336-2 doivent viser « un contenu spécifique et identifiable », avec des mesures « déterminées et proportionnées et spécifiques pour chaque site énuméré », qui doivent enfin être « précises et nécessaires, efficaces et utiles ».

Or, les vœux du SNEP sont indéterminés puisqu’ils frappent les phonogrammes existants, mais également tous ceux à venir, aussi bien « quant aux liens ou pages internet susceptibles d’être concernés » que « quant aux titulaires de droits ».

Ils partent en outre du postulat que « Torrent » est nécessairement associé à une contrefaçon, alors que c’est un nom commun, outre un protocole neutre. Ainsi, si un jour Kenji Girac devait faire une chanson endiablée pour évoquer « Un torrent de felicidad dans les cheveux de ma mama », elle serait de facto éjectée des moteurs. 

Les juges ont dénoncé au surplus des mesures peu efficaces, non nécessaires puisque visant une pratique marginale. Enfin, ces restrictions sont très facilement contournables. Il suffit de connaître l’URL cible ou d’utiliser un autre moteur que Bing ou Google pour y accéder.

Bref, une boucherie : « les mesures sollicitées s’apparentent à une mesure de surveillance générale et sont susceptibles d’entraîner le blocage de sites licites » ont-ils conclu avant de rejeter cette demande.

En appel, quand le Torrent veut devenir fleuve

Hier, devant la quatrième chambre de la cour d’appel de Paris, le SNEP, condamné à 10 000 euros en première instance, est malgré tout revenu à la charge pour défendre cette action. Me Éric Lauvaux, en défense du syndicat, a développé un long argumentaire pour tenter d’inverser ce funeste scénario.

Face à une cour qui se demandait comment prononcer le mot « Torrent » ( « Torrent ou « TorrentE ? »), il a placé ce dossier en filiation directe avec l’affaire Google Suggest, non sans rappeler le contexte économique du piratage et ses conséquences sur l’industrie culturelle.

Aujourd’hui, en tapant dans un moteur le nom d’un artiste associé à Torrent, on a les mêmes résultats que lorsqu’étaient en vigueur les suggestions sulfureuses. C'est ce que tambourine le SNEP, constats d'huissier en main. 

Certes, les producteurs, comme les autres ayants droit, peuvent adresser des notifications aux fins de voir déréférencés les liens problématiques. La magie des changements d’URL confine cependant cette traque aux relations entre un petit chat et une myriade de souris.

De même, il y a bien eu des négociations et un accord entre le secteur culturel et les acteurs du Net pour assurer un déclassement dans les abysses des résultats. L’expérience a été menée au Royaume-Uni en janvier 2017 et plus récemment encore avec l’ALPA et Google en France. Mais aux goûts du SNEP, le moment est venu d’aller beaucoup plus loin.

Des procédures totalement automatisées, le cas de TorrentFreak

Ses demandes ont d’ailleurs été aiguisées. Le SNEP a évidemment défendu la recevabilité de son action déjà parce que l’article 336-2 ne dit pas qu’elle doit être engagée dans un intérêt collectif ou individuel. Et alors que le problème repose davantage sur son statut...

Le syndicat souhaite désormais non seulement que les services en ligne ne prennent pas en compte le mot « Torrent » associé au nom d’un de ces trois artistes. Il veut aussi empêcher l’affichage de résultats avec ce mot dans les noms de domaine référencés. 

« Nous demandons des procédures totalement automatisées qui ne requièrent aucune intervention humaine » a plaidé l’avocat qui, pour évacuer les cas comme TorrentFreak.com, site d’actualités en ligne, victime assurée de cette purge, suggère à Google et Bing de dresser une sorte de liste blanche…

Malgré cette liste, l’avocat a contesté les reproches du TGI sur l’existence d’une quelconque surveillance généralisée. Reprenant un argument désormais classique à la CJUE, il pense que si ces mesures ne rendront pas impossibles le piratage, elles décourageront les utilisateurs. L’atteinte à la liberté d’information ou de communication serait enfin très réduite puisque les internautes pourront toujours accéder aux contenus en tapotant directement l’URL par exemple.

Un déréférencement nourri par les tribunaux dans toute l’Europe

Pour s’attaquer à la question du référencement des contenus illicites dans les moteurs, le SNEP a surtout développé une autre idée pour le moins originale.

À titre subsidiaire, si le filtrage est jugé trop large par la cour d’appel, il voudrait que Google et Bing soient tenus de supprimer l’ensemble des liens illicites identifiés par constats d’huissier voire les adresses des sites qui ont fait l’objet d’une procédure de blocage devant l’une des juridictions d’un des 27 États membres.

Belle affaire pour l’industrie culturelle qui pourrait ainsi identifier un tribunal sensible à leurs intérêts pour ensuite attendre l’effet tâche d’huile en France !

En guise de cerise, il a demandé enfin que l’ensemble de ces mesures soient portées à la charge des moteurs, dans la lignée cette fois d’une décision de la Cour de cassation de 2017.

Vers une médiation

Les plaidoiries des moteurs auront été nettement plus courtes. Et pour cause, Microsoft a regretté le discours du SNEP où d’un côté il choisit la rugueuse voie judiciaire, mais de l’autre salue la concertation menée au Royaume-Uni. Or l’éditeur s’estime toujours ouvert à la négociation.

Il a déjà mis en œuvre des mesures spécifiques avec la RIAA aux États-Unis ou en France avec l’Association des producteurs de cinéma, tout comme Google avec l’ALPA. « Pour discuter, il faut être deux » a néanmoins regretté la défense de Redmond.

Le sujet s’est alors rapidement réorienté sur lourde invitation du président de la cour d’appel. Celui-ci n’a pas compris pourquoi cette étape amicale et feutrée avait été trop rapidement évacuée lors des démarches du SNEP. « Commencez par discuter et s’il n’y a pas de terrain d’entente, recourez éventuellement à l’arme absolue et formidable qu’est la juridiction ! »

Le SNEP, Microsoft et Google ont ainsi été invités à se rapprocher d'ici au 13 décembre. À cette date, soit on s’orientera vers un arrêt ordonnant une médiation soit, à défaut d’entente, à la continuation des plaidoiries.

Il n'est pas dit que ces négociations aboutissent, non seulement parce que les moteurs préfèrent référencer plutôt qu’oublier, gommer, trier, mais aussi parce que les questions techniques sont épineuses.

Si la décision de filtrage est finalement décidée - on en est encore loin -, il faudra en tout cas comprendre que toutes les pages qui citeront « Kenji Girac », « Shy’m », « Christophe Willem » et « Torrent » disparaitront en principe de Google et Bing. Ce qui sera le cas de ce présent article.

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