Loot boxes : l'Arjel envisage de sévir dans les cas se rapprochant du jeu d'argent

Nouveau paradigme
Loot boxes : l'Arjel envisage de sévir dans les cas se rapprochant du jeu d'argent

L'Autorité de régulation de jeux en ligne (Arjel) a envoyé une réponse au sénateur Jérôme Durain, qui l'avait saisie au sujet des « effets délétères de la généralisation des micro-transactions dans le monde du jeu vidéo », et plus précisément des loot boxes

Il y a un peu moins d'une semaine, Jérôme Durain, sénateur socialiste de Saône-et-Loire saisissait l'Arjel au sujet des loot boxes, ces boîtes au contenu aléatoire vendues dans certains jeux vidéo, dont l'utilisation se répand comme une traînée de poudre ces derniers mois. 

Le parlementaire s'inquiétait ainsi de leur importance de plus en plus grande et appelait de ses vœux la mise en place de règles visant à protéger les consommateurs contre d'éventuelles dérives. Une piste alors évoquée consistait à rendre publiques les probabilités d'obtenir tel ou tel butin dans une boîte, ce afin que les acheteurs puissent avoir une idée plus précise de ce qu'ils achètent. Une règle déjà en place dans plusieurs pays dont la Chine. 

Autre sujet bouillant pour le sénateur, les mécaniques dites pay-to-win, comme celles observées récemment dans des jeux tels que Star Wars Battlefront II ou Need For Speed Payback. Si dans ces deux cas, les retours extrêmement négatifs des joueurs ont fait reculer l'éditeur, Jérôme Durain voit ici d'importantes similitudes avec les jeux d'argent. 

Autant d'interrogations auxquelles l'Arjel, au travers de son président Charles Coppolani, a tenté de répondre dans une lettre datée du 20 novembre, qui a été mise en ligne ce matin même et peut être consultée ici : 

Notre dossier sur la pratique des loot boxes dans le jeu vidéo :

Les modèles économiques changent

L'autorité fait un premier constat. En 2016, lors de la rédaction du rapport sur la pratique du sport électronique en France, elle avait estimé que « l'achat d'un logiciel de jeu et le montant des abonnements et actualisations [NDLR : DLC et extensions] diverses ne devaient pas être considérées comme un sacrifice financier, critère retenu avec l'espérance de gain dans la définition française du jeu d'argent ». Une définition valable à un instant t, qui s'appuyait sur un modèle économique « reposant sur la rémunération d'un service et l'achat de temps de jeu, comme pour d'autres produits de loisir ». 

Or, le paradigme a changé. Les éditeurs ne jurent plus que par les « games as a service », promettent aux joueurs d'étendre la durée de vie de leurs titres en multipliant les mises à jour de contenu, tantôt gratuites, tantôt payantes. Pour financer ces travaux de développement, les studios doivent trouver des moyens de monétiser leur audience autrement que par le simple achat de la boîte de départ.

C'est ainsi que les micro-transactions se sont multipliées dans les jeux vendus au prix fort, avant de connaître leur dernière évolution, les loot boxes, ou pochettes surprise. Leur contenu est très variable d'un jeu à l'autre. Sur Overwatch, les objets qu'elles renferment sont purement cosmétiques et n'apportent aucun avantage en jeu. Dans d'autres titres, elles pourront contenir des objets permettant d'avancer plus rapidement au sein d'un mode solo (Le Seigneur des Anneaux : L’Ombre de la Guerre, Need For Speed Payback...) ou d'obtenir des bonus activables en multijoueur (Star Wars Battlefront II...).  

Il y a la bonne et la mauvaise loot box...

Pour Charles Coppolani, « le phénomène des loot boxes [...] tend à introduire dans cette activité ludique ouverte à tous, une dimension financière qui comme nous l'avions pressenti en 2016, présente des risques pour nos concitoyens et notamment pour les plus jeunes ». Ces risques ne sont pas anodins, puis qu'ils seraient « très proches de ceux qui caractérisent l'addiction aux jeux d'argent », et alarment donc le régulateur, qui a justement pour mission de lutter contre les phénomènes d'addiction au jeu d'argent. 

Cependant, l'Arjel estime qu'il n'est pas possible de mettre l'ensemble des micro-transactions du marché dans le même panier, et en dégage trois grandes catégories. 

Overwatch Loot boxes

La première correspond aux micro-transactions « quasi obligatoires dans le cours du jeu et qui se rajoutent au prix d’achat initial, sans que le joueur en ait été clairement informé ». Si l'autorité ne cite pas le moindre titre, on reconnaît ici les cas similaires à celui de Need For Speed Payback, où la progression normale du joueur apparaissait plus lente qu'elle ne devait l'être et l'incite soit à passer davantage de temps sur le jeu pour remplir ses objectifs, soit à acheter des bonus pour débloquer sa situation.

Ces cas-là « relèvent du domaine de la protection du consommateur », et l'Arjel va se rapprocher de la DGCCRF afin de discuter de la mise en place ou non de mesures particulières. Dans sa saisine de la veille, l'UFC-Que Choisir militait par exemple pour l'inscription sur les boîtes de jeu de pictogrammes avertissant de la présence de micro-transactions dans un jeu, et de leur caractère quasi indispensable le cas échéant, ou sur l'inscription de la durée de vie indicative d'un titre, avec et sans achats optionnels. 

CS:GO : à qui le tour ?

Vient ensuite le cas des loot boxes glissant vers le modèle pay-to-win, ou pour être compétitif, le joueur doit se fournir régulièrement en pochettes surprise lui offrant aléatoirement des objets qui amélioreront ses performances. C'est précisément sur ce fondement là que le régulateur belge mène une enquête autour de Star Wars Battlefront II

L'Arjel voit ici l'introduction « d'un jeu payant de loterie », marquant une dérive par rapport au modèle pay-to-win décrit plus haut, où le joueur sait à l'avance ce qu'il va acheter et peut ainsi « mieux maîtriser ses dépenses ». Ici, l'Arjel souhaite d'abord mener une réflexion commune avec d'autres régulateurs européens, eux aussi préoccupés par ces méthodes qu'elle estime être « à la frontière des jeux d'argent ». 

Reste un dernier cas, plus problématique. Sans le citer, l'autorité décrit le fonctionnement de Counter Strike :  Global Offensive, et de quelques autres. Dans ces jeux, « le joueur a la possibilité de revendre en monnaie réelle des gains remportés sous forme d’objets virtuels ou encore des niveaux de jeux, soit sur le site de jeu proprement dit, soit sur un site dédié ; nous sommes là dans l’espérance de gain en argent », explique l'Arjel. Et c'est bien le cas. 

Sur CS:GO, le joueur peut gagner aléatoirement des apparences pour ses armes, ou bien des boîtes qui en contiennent plusieurs, mais ne peuvent être ouvertes qu'en achetant une clé à l'éditeur du jeu pour quelques euros. Par la suite, ces apparences sont échangeables sur le marché de Steam, contre de l'argent à dépenser sur la plateforme (qui prélève alors une commission) ou entre joueurs de pair à pair. 

CS Go skins vente
Exemple d'apparence d'arme pour CS:GO mise en vente sur une plateforme tierce (en vrais dollars)

Certaines apparences s'échangent à des prix très élevés, jusqu'à plusieurs milliers d'euros sur des plateformes tierces qui profitent du système de troc proposé par Steam. Les joueurs peuvent donc être tentés d'acheter des clés pour ouvrir leurs boites, ce qui peut être considéré comme un sacrifice financier, en espérant toucher le gros lot s'ils récupèrent un couteau ou une apparence un tant soit peu rare. Dans l'espérance d'un gain en argent donc.

L'Arjel nous rappelle qu'elle ne peut intervenir directement que lorsque, conformément à la loi, l’offre associe un sacrifice financier et une espérance de gain. Dans ce cas l'offre est considérée comme illégale, et l'autorité « peut engager une procédure judiciaire pour bloquer le site et interdire l’offre comme elle le fait déjà pour des dizaines de sites ». Les éditeurs trop gourmands sont donc prévenus.

Quelle régulation pour les pochettes surprise virtuelles ?

En conclusion de la lettre, l'Arjel affirme qu'une régulation du secteur du jeu vidéo s'appuyant sur le modèle de celui des jeux d'argent « semble peu envisageable à court terme ». Cependant, l'option d'une auto-régulation du secteur n'a pas non plus les faveurs de l'autorité. 

« Il convient toutefois de s’interroger sur les limites du choix de l’auto-régulation face à une industrie qui, pour satisfaire un besoin de renouvellement permanent, serait amenée à introduire sous des formes variées, toujours plus d’argent et donc toujours plus de risques pour nos concitoyens », conclut ainsi Charles Coppolani.

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