Alors qu'Altice a connu deux semaines très compliquées en bourse, notamment en raison de résultats inférieurs aux attentes, Patrick Drahi, Dexter Goei et Dennis Okhuijsen ont pris la parole lors d'une conférence organisée par Morgan Stanley pour tenter de rassurer les investisseurs et analystes.
40 minutes de punchlines guerrières et de promesses rassurantes. C'est ainsi que l'on pourrait résumer la présentation tenue par Altice dans le cadre de la conférence Tech, Media & Telecom organisée par Morgan Stanley à Barcelone, du 15 au 17 novembre.
Sur scène, les trois hommes forts du groupe Altice. Bien évidemment Patrick Drahi, le fondateur de l'entreprise, mais aussi Dexter Goei, PDG d'Altice NV et d'Altice USA ainsi que Dennis Okhuijsen, le directeur financier d'Altice NV et directeur exécutif d'Altice Europe.
Le point sur la dette
La première question donne directement le ton des quarante minutes qui suivront. « Les deux dernières semaines ont été marquées par une forte volatilité du cours de vos actions, et parmi les commentaires des marchés, il semble y avoir des préoccupations autour de votre dette » entamait le modérateur du panel, avant de demander quels remèdes Altice envisage pour réduire son niveau d'endettement.
Dennis Okhuijsen a commencé par refaire le point sur la situation actuelle du groupe. Elle n'a pas changé depuis la présentation de ses résultats pour le troisième trimestre, que nous avions largement commentés. La dette brute s'élève à plus de 50 milliards de dollars, répartis entre plusieurs silos en France, en Europe et aux États-Unis.
La direction d'Altice se félicite de ne pas avoir d'échéance importante sur son silo européen (Altice International + Luxembourg + SFR) avant 2022, ce qui lui laisse les coudées franches pour investir dans ses différents projets... jusqu'au prochain refinancement.
La maturité moyenne des emprunts est de 6,2 ans. Concernant SFR, c'est 4,1 milliards d'euros qu'il faudra trouver d'ici fin 2022, puis 2,2 milliards en 2024 et 2025 avant de régler la tranche la plus importante (6,8 milliards) en 2026.
Altice se vante également de la réduction de l'effet de levier sur sa dette américaine, d'une part, en faisant croitre rapidement l'EBITDA d'Optimum et Suddenlink, mais aussi en mettant à profit les importantes liquidités dégagées par ces deux filiales. L'objectif principal de l'entreprise est d'en faire autant en Europe, où le désendettement est au point mort, et ne devrait pas reprendre avant l'an prochain.
« 2018 doit être une année de transformation pour la France », martèle le dirigeant, tout en précisant qu'il ne sera pas question du moindre rachat, mais plutôt de cessions d'activités jugées non indispensables... reste à voir lesquelles.
The Patrick Drahi's Show
Habituellement discret médiatiquement parlant, Patrick Drahi était pourtant bien présent lors de cette conférence et a marqué les esprits grâce à la verve qu'on lui connait. D'entrée de jeu, il assène ce qui sera sa devise pendant tout le reste de son intervention du jour : « Le plan reste le même ».
Ce plan se résume d'ailleurs assez simplement : dégonfler le taux d'endettement en faisant grimper l'EBITDA. Problème, cette tâche est moins aisée quand l'entreprise en question perd continuellement des clients sur un marché pourtant en croissance. Une situation qui ne serait qu'un simple contretemps aux yeux du tycoon des télécoms, et ne retarderait la réalisation de son plan que d'une année.
Le dirigeant a néanmoins une explication toute trouvée à ces déconvenues : « En France, le problème principal c'était le management. Ce n'était pas du tout un problème de concurrence ». Michel Combes et Michel Paulin, fraichement débarqués du navire, apprécieront la remarque.
Satisfaire les clients... et arrêter de les faire fuir ?
« Notre priorité est maintenant de se concentrer sur la satisfaction de nos clients ». Pour y parvenir, il faudra par contre trouver autre chose que des augmentations forcées des tarifs et une instabilité de la grille tarifaire, pas toujours simple à suivre... même pour les équipes du groupe. Deux caractéristiques assez flagrantes de ces dernières années.
Devant les salariés hier (la majeure partie en téléconférence), Drahi a concédé des erreurs, notamment dans la communication de cet été qui a sans doute été la goutte d'eau pour beaucoup d'abonnés. Surtout après plusieurs hausses justifiées par de nouveaux contenus qui n'intéressent pas toujours les premiers concernés.
Ainsi, l'objectif serait désormais d'arrêter d'offrir des contenus à ceux qui n'en veulent pas, et de les vendre au bon tarif à ceux qui sont en demande. L'évolution des pratiques concernant SFR Presse, Play et Sport sera donc intéressante à suivre. Altice Studio, elle, sera proposée d'ici décembre en OTT à 9,99 euros.
Un tarif assez proche de Netflix et consorts, mais sans que le catalogue soit au rendez-vous. Cette offre devrait donc surtout servir à expliquer aux abonnés SFR qu'ils économisent de l'argent avec l'intégration à leur abonnement.
La stratégie d'Altice repose également sur la modernisation de son réseau. « Quand on a racheté SFR, le réseau mobile était merdique », lâche Drahi, sans filtre. « Nous étions vus comme des casseurs de prix, mais nous avons investi 2 milliards d'euros pour le remettre à niveau », ajoute-t-il.
« Notre réseau est bon. Nos produits sont bons. Mais on ne les vend pas correctement aux clients et on ne se penche pas assez sur les problèmes qu'ils rencontrent au quotidien, ce qui les rend mécontents ».
Des plans de départs pas assez efficaces
Selon Patrick Drahi, l'une des autres causes à l'origine des mauvaises performances de SFR se trouve du côté des plans de départ volontaires organisés par l'opérateur. Il a expliqué à son auditoire que le droit du travail en France ne lui permet pas de licencier comme il voudrait lorsque son entreprise est rentable.
Faute de plan social, il lui faut se tourner vers des départs volontaires. Devant un public hilare, il explique qu'il ne lui est pas possible de choisir qui doit partir dans ce genre de procédure. « Tout au plus on peut dire que dans telle section, tant de personnes peuvent partir, mais on ne peut pas choisir qui. Prenons le cas d'une équipe de trois personnes, avec un employé moyen, un qui n'est pas très bon et un crack. Si c'est celui là qui est volontaire pour partir, c'est tant pis pour vous ».
En filigrane, on comprend que le patron se plaint d'avoir perdu certains de ses employés les plus efficaces, qui ont probablement trouvé depuis un emploi chez la concurrence.
Autre point de friction selon Patrick Drahi, la mise en place de la fameuse « méthode Altice » n'a pas pu être pleinement exécutée en France. « Si vous regardez aux États-Unis ou en Israël, nous avons pu la dérouler de A à Z et l'on obtient de très bons résultats. Il n'y a qu'en France que ça coince parce que nous n'avons pas encore pu tout appliquer » tempère-t-il, promettant une meilleure exécution l'an prochain.
Pas un mot par contre sur le tout aussi fameux plan « Fibrer la France ».
Une nouvelle organisation clarifiée
Sur la dernière partie des échanges, Patrick Drahi est revenu sur la nouvelle organisation de son groupe, notamment en ce qui concerne la France.
Armando Pereira, cofondateur d'Altice et fidèle bras droit de Drahi depuis plus de 20 ans occupe le poste de directeur de l'exploitation d'Altice Telecom, et s'occupera principalement du marché français. Alain Weill devient quant à lui PDG de SFR Group mais ne pilotera que la stratégie médias en France.
Sur un plan plus global, Dexter Goei prend le poste de PDG d'Altice N.V et se concentrera sur le marché américain, puisqu'il conserve son siège de PDG d'Altice USA. Patrick Drahi lui, reprend le fauteuil de président d'Altice NV d'où il surveillera l'exécution de la stratégie de SFR. Avec autant de regards tournés vers l'opérateur au carré rouge, il y a fort à parier que l'année 2018 devrait marquer un net tournant. Reste à voir dans quelle direction...
En bourse, cet exercice de communication semble toutefois avoir porté ses fruits. Le cours de l'action Altice NV a grimpé de près de 8 % lors de la séance du jour, après avoir atteint un creux une dizaine de minutes avant la prise de parole des cadres de l'entreprise. Altice USA grimpe de son côté de près de 7 % au moment où nous rédigeons cette actualité.
Pourvu que ça dure.