Star Wars Battlefront II , l'un des jeux les plus attendus du moment, fait l'objet de critiques virulentes de la part des joueurs. En cause, la politique commerciale d'EA venue altérer le gameplay du titre pour favoriser les micro-transactions. Rapidement, l'éditeur a revu sa copie.
Cela fait maintenant plusieurs années que les éditeurs de tous bords tirent sur la corde des micro-transactions au sein de leurs jeux vendus plein tarif. D'abord les premiers gadgets cosmétiques ont fait leur apparition, puis nous avons eu droit aux premières loot boxes, aux premiers avantages tarifés en jeu, aux applications compagnon payantes et ainsi de suite.
Dans Forza Motorsport 5, il était déjà possible d'acheter des véhicules avec sa carte bancaire, tandis que Dead Space 3 a poussé le bouchon jusqu'à vendre des composants d'artisanat. Dans Assassin's Creed Unity, quelques euros pouvaient vous offrir trois minutes d'invisibilité pour passer plus facilement une mission trop délicate.
Si les éditeurs ont progressivement intégré les micro-transactions à leur modèle économique, c'est à cause d'un constat simple. « Pendant des années nous avons conçu des jeux où nous nous attendions à ce que le temps soit une ressource dont tout le monde dispose », expliquait en 2014 Chris Early, le vice-président de la distribution numérique d'Ubisoft.
Certains joueurs ont davantage de revenu disponible que de temps libre, il fallait donc en profiter. Surtout que commercialement, cela fonctionne très bien. EA, engrange ainsi 650 millions de dollars par an grâce aux paquets de cartes sur FIFA Ultimate Team. Ubisoft a de son côté confirmé lors de ses derniers résultats que cela peut être très lucratif.
Mais à force de tirer sur la corde...
Notre dossier sur la pratique des loot boxes dans le jeu vidéo :
- Les jeux à gros budget passent à l'ère de la pochette surprise
- Star Wars Battlefront II : tel Anakin face à Obi-Wan, EA se fait tailler en pièces par sa communauté
- En Belgique et en France, la régulation des loot boxes en question
- Loot boxes : l'Arjel envisage de sévir dans les cas se rapprochant du jeu d'argent
- Loot boxes : l'Arjel répond à l'UFC Que Choisir
Star Wars Battlefront II : la goutte d'eau qui fait déborder le vase
Hier, Electronic Arts a appris à ses dépens qu'il ne fallait pas pousser le bouchon trop loin (Maurice), que le portefeuille des joueurs (ou leur patience) n'est pas extensible à l'infini, et surtout que la fameuse « majorité silencieuse » sur laquelle les éditeurs comptent tant pouvait elle aussi se rebeller.
Tout a commencé il y a trois jours, lorsque EA a annoncé vouloir changer la formule selon laquelle la monnaie de Star Wars Battlefront II est distribuée aux joueurs. Plutôt que d'attribuer un montant en fonction du degré de compétence lors d'une partie, comme dans la version bêta, l'éditeur a décidé que le butin ne dépendrait que du temps passé en jeu.
Ainsi, qu'importe si vous avez un ratio tués/morts de 10 ou de 0,05, la récompense restera la même. Un joueur s'est lancé ce week-end dans un calcul afin de déterminer combien de temps est nécessaire pour débloquer une loot box à 4 000 crédits et un personnage tel que Darth Vader vendu pour 60 000 crédits.
Ainsi, à raison de 11 minutes en moyenne par match pour 275 crédits gagnés, il a déterminé que près de trois heures de jeu sont nécessaires pour acheter une loot box, et plus de 40 heures pour débloquer Vader. Bien entendu, il est possible de court-circuiter cette étape de farming contre quelques dollars pour acheter des « cristaux ».
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Le site du jeu montrait les anciens prix pour débloquer les héros. Ici, 10 000 crédits pour Luke Skywalker
Ce niveau requis d'engagement peut sembler raisonnable sur un jeu free-to-play. Mais aux yeux des joueurs, il est nettement moins admissible sur un jeu vendu plein tarif : 59,99 euros sur Origin, la boutique en ligne d'EA. 79,99 euros pour l'édition Deluxe qui intègre des packs d'améliorations, des cartes, des étoiles « épiques » et des skins exclusives.
Cerise sur le gâteau, les coûts en crédits affichés par l'éditeur lors de la bêta ouverte du jeu étaient nettement moins élevés, laissant penser qu'EA a pu les abaisser sciemment pendant la phase de test pour engranger des précommandes. À ce moment-là, la grogne parmi les joueurs commence à prendre de l'ampleur.
Une communication complètement à côté de la plaque
L'affaire aurait pu s'arrêter là, mais c'était sans compter sur un message publié hier sur Reddit par un joueur très remonté par cette nouvelle politique de l'éditeur :
« Sérieusement ? J'ai payé 80 dollars et je ne peux pas jouer avec Vader ? [mis en avant sur la boîte du jeu, ndlr] C'est une blague. Je vais contacter le service client d'EA pour me faire rembourser... je ne peux même pas jouer avec ce p**ain de Darth Vader ?! C'est dégueulasse. Cet âge des "micro-transactions" est allé BIEN trop loin. On peut toujours compter sur EA pour repousser les limites. »
L'équipe communautaire d'Electronic Arts a rapidement tenté de répondre aux inquiétudes du joueur, mais en tombant complètement à côté de la plaque. Jugez plutôt :
« Notre intention est de fournir aux joueurs un sentiment de fierté et d'accomplissement en débloquant différents héros. Pour en fixer le coût, nous avons sélectionné des valeurs de départ s'appuyant sur des données issues de la bêta ouverte et apporté divers ajustements aux récompenses fournies à différentes étapes.
Entre autres choses, nous surveillons les gains quotidiens de crédits par les joueurs, et apporterons des ajustements constants pour s'assurer que les joueurs font face à des défis envoûtants, gratifiants et évidemment réalisables en jouant. »
En clair, à un joueur ayant dépensé 80 dollars pour s'offrir le dernier jeu Star Wars, en espérant pouvoir incarner les héros les plus charismatiques de la série, EA lui répond qu'il se sentira bien plus fier de se glisser dans la peau de Darth Vader après avoir farmé pendant plus de 40 heures.
Par ailleurs, l'éditeur confirme ici que ce niveau d'engagement requis n'est pas le fruit d'une erreur ou d'un stagiaire qui passait par là, mais bel et bien une volonté franche de sa part.
La communauté s'emballe
Sans grande surprise, la réaction de la communauté à cette réponse a été très virulente. La réponse de l'équipe communautaire compte au moment où nous rédigeons cette actualité plus de 666 000 votes négatifs sur Reddit. Pour comprendre l'ampleur de cette réaction le record précédent était de 24 000 votes négatifs, détenu par un troll qui voulait en accumuler le maximum possible.
Les commentaires en réponse aux représentants d'EA permettent également de juger de l'étendue du problème. « Je crois que le principal problème ici, c'est que vous vendez un jeu à 70 livres dont la moitié du contenu est verrouillée derrière un pay wall. Je sais que vous allez dire "mais vous pouvez le gagner en jouant", cependant, deux jours de jeu [effectif] pour un héros qui peut être acheté en 2 minutes, ça compte comme un pay wall », note ainsi un joueur.
D'autres affirment que l'intention de l'éditeur « est de frustrer les joueurs pour qu'ils achètent les personnages avec du cash », l'avertissant que cette pratique « prédatrice » devient voyante. « J'ai eu un sentiment de fierté et d'accomplissement en annulant ma précommande », ironise un autre.
Autre sentiment largement partagé : tout le monde n'a pas le temps de consacrer 40 heures de jeu pour débloquer un seul héros. Un point qui rejoint précisément l'avis du responsable d'Ubisoft cité plus tôt, grâce auquel EA espérait sans doute arrondir les revenus tirés de son blockbuster.
« Je peux jouer 3 ou 4 heures par semaine [...] et vous me dites que "ma progression gratifiante" consiste à économiser chaque crédit que je gagne pendant 3 ou 4 mois pour jouer Darth Vader ? [...] Je n'ai pas besoin que vous me donniez un "sentiment de fierté et d'accomplissement". Je ne devrais même pas avoir besoin de ça pour incarner un personnage central de ma franchise favorite » assène un autre joueur mécontent.
Et il ne s'agit là que d'une infime fraction des réactions publiées sur Reddit, et cela ne tient pas compte de toutes celles qui ont pu être diffusées sur les réseaux sociaux. Au bout du compte, ce sont plusieurs centaines de milliers de joueurs qui ont voulu faire entendre leur voix contre ce procédé, un regroupement d'une ampleur rare.
Si la plupart des réactions restaient courtoises, d'autres ont franchi la ligne jaune en venant insulter et menacer de mort les développeurs sur les réseaux sociaux. L'un d'eux, avant de passer son compte Twitter en privé, expliquait avoir cumulé en quelques heures 1600 messages d'insultes et 7 menaces de mort. « Je les compte pour des raisons légales », précisait-il.
Une solution express...
Dans un billet de blog, Electronic Arts annonce avoir réduit de 75 % les prix de l'ensemble des héros du jeu, rapporte Kotaku. Luke Skywalker et Darth Vader sont donc désormais disponibles pour 15 000 crédits, contre 10 000 pour Chewbacca, Leia Organa ou l'empereur Palpatine. Iden Versio, le héros du mode solo, voit quant à lui son coût passer à 5 000 crédits.
Mais ce n'est pas le seul changement que l'éditeur a apporté. La boite de butin offerte à la fin du mode solo a elle aussi vu son contenu se réduire de 75 %, et n'ajoute plus que 5 000 crédits au compte du joueur, contre 20 000 auparavant. Les récompenses gagnées lors de parties en mode multijoueur restent inchangées. « C'est un gros changement, que nous avons pu réaliser rapidement » commente l'éditeur.
Origin en mode dégradé pour complexifier le remboursement ?
Il y a un autre point sur lequel EA ne communique pas, c'est l'altération de la procédure de remboursement sur Origin, remontée par quelques utilisateurs sur Twitter ou Reddit.
Habituellement, le client dispose de sept jours après la date d'achat, de sept jours après la date de lancement du jeu (dans le cas d'une précommande) ou de 24h après le premier lancement du titre pour demander un remboursement sans conditions de son produit. L'option n'est plus disponible une fois l'un de ces termes atteints.
Si un jeu est toujours éligible à un remboursement, il suffit de se connecter sur cette page, et de faire une demande, qui est alors traitée automatiquement, comme sur Steam. Problème : depuis hier, cette procédure automatique ne serait plus proposée aux acheteurs de Star Wars Battlefront II.
Pour obtenir leur remboursement, ils doivent contacter un service client par chat, que l'on imagine surchargé de demandes au vu de l'attente minimale d'une heure avant de pouvoir discuter avec un représentant de l'éditeur.
Certains y voient là une manœuvre visant à décourager les joueurs de demander réparation, mais il s'agit en réalité d'un comportement considéré comme « normal ». Ce qui ne veut pas dire qu'EA ne va pas devoir le modifier face à la horde de joueurs mécontents de la situation.
Une leçon pour les autres éditeurs
Il est encore trop tôt pour juger l'effet de cette affaire sur les ventes de Star Wars Battlefront II. Pour cause, le titre est pour le moment seulement disponible aux abonnés EA Access et à ceux qui l'ont précommandé. Il est donc difficile d'estimer l'impact des annulations et des demandes de remboursement, qui semblent nombreuses.
Le reste de l'industrie peut cependant déjà tirer quelques conclusions intéressantes de cette affaire. La première et la plus importante : qu'importe ce que disent les chiffres de vente, les joueurs ne veulent pas de micro-transactions contraignantes dans leurs jeux AAA, et encore moins voir de mécaniques de jeu les incitant à remettre la main à la poche.
Sont également pointées du doigt les versions bêta, devenues pour de nombreux éditeurs un argument pour accumuler les précommandes, montrant les jeux sous un jour parfois trop favorable. Il est désormais clair que présenter une courbe de progression rapide lors d'une bêta avant de basculer sur une version commerciale nettement plus lente n'est pas acceptable, d'autant plus quand ce changement est opéré pour favoriser les micro-transactions.
C'est aussi sur le terrain de la communication et des pratiques qu'il faudra apprendre de cette affaire. Répondre rapidement est une chose, le faire en mode « Je vais bien, tout va bien » en est une autre. Et cela peut envenimer la situation plutôt que la régler. Surtout quand le tout est suivi de pratiques détestables comme la limitation des remboursements.
Activision, Blizzard, Konami, Square Enix, Ubisoft et tous les autres, vous voilà donc prévenus.