Pas facile d’obtenir le nettoyage d’un fichier de sécurité, mais notre consœur Camille Polloni, après six années de lutte, a obtenu partiellement gain de cause. Sans savoir aujourd’hui pourquoi elle avait été fichée illégalement par le ministère des Armées.
Les premières briques de cette procédure avaient été lancées en septembre 2011. Voilà six ans, la journaliste avait saisi la CNIL pour accéder à ces précieuses données.
L'article 41 de la loi de 1978 indique en effet que pour les traitements qui concernent « la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique », les citoyens peuvent exercer leur droit d’accès via la Commission informatique et libertés.
Elles pointaient du doigt plusieurs fichiers sensibles : ceux de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) de la sécurité de la défense (DRSD) et de la direction du renseignement militaire (DRM).
« Il m’est arrivé trois ou quatre fois de surprendre une filature ou d’être prise en photo pendant un rendez-vous professionnel avec des personnes vraisemblablement surveillées » se souvient-elle dans les colonnes des Jours.
La loi Renseignement et le contrôle des fichiers de sécurité
Le 27 juin 2013, la présidente de la CNIL lui indique avoir procédé à l’ensemble des vérifications demandées. Ajoutant que la procédure était terminée. Un peu court !
La journaliste a donc attaqué devant les juridictions administratives ce refus implicite du ministre de la Défense de lui donner accès aux mentions susceptibles de la concerner. Elle a réclamé dans la foulée communication des éléments la concernant.
La suite des festivités a eu lieu sous l’égide des nouvelles règles de la loi sur le Renseignement du 24 juillet 2015 et donc entre les mains d’une formation spécialisée du Conseil d’État puisqu’on touche ici au contentieux des fichiers intéressant la sûreté de l'État.
Secret défense, droit de la défense
Un contentieux très particulier où la formation chargée de l'instruction entend les parties séparément (services du renseignement d’un côté, requérante de l’autre) et le président a l’obligation d’ordonner le huis clos dès lors qu’est en cause, comme ici, le secret de la défense nationale.
Conformément à l’article L773-8 du Code de la justice administrative, la formation spécialisée a l’interdiction de révéler les éléments contenus, ni même de dire si le requérant figure ou non dans le traitement.
Cependant, « lorsqu'elle constate que le traitement ou la partie de traitement faisant l'objet du litige comporte des données à caractère personnel le concernant qui sont inexactes, incomplètes, équivoques ou périmées, ou dont la collecte, l'utilisation, la communication ou la conservation est interdite », alors elle en informe le justiciable.
Une information a minima puisque là aussi, elle ne peut faire état d'aucun élément protégé par le secret-défense quand bien même le fichage était illicite. Seule latitude : « ordonner que ces données soient, selon les cas, rectifiées, mises à jour ou effacées ».
Conclusion : « les magistrats peuvent échanger avec les services de renseignement, consulter les fichiers, accéder à des informations classifiées, faire rectifier des informations qui s’avéreraient inexactes (s’ils arrivent à le déceler), périmées ou illégales. Mais je ne dois rien savoir sur le contenu de ces fiches – pas même le fait qu’elles existent ou pas » regrette et constate Camille Polloni
Quand l’armée fiche illégalement une journaliste
Dans l’arrêt que nous avons pu consulter, le Conseil d’État a balayé rapidement les critiques adressées sur l’autel du droit à un procès équitable (article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme). Selon lui, cette procédure lui permet « de statuer en toute connaissance de cause ». Circulez.
S’agissant des fichiers de la DGSE et de la DRSD, l’examen « n’a révélé aucune illégalité » est-il écrit dans l’arrêt. Les conclusions de la journaliste sont donc rejetées, sans l’ombre d’une explication.
Le scénario est autre concernant la direction du renseignement militaire (DRM). Surprise : « cet examen a révélé que des données concernant Mme Polloni figuraient illégalement dans les traitements d’informations nominatives mis en œuvre par cette direction. Par la suite, conclut l’arrêt, il y a lieu d’ordonner l’effacement de ces données ».
La juridiction a fait droit à la demande de la journaliste en lui allouant 3 000 euros pour couvrir les frais occasionnés, mais sans condamner le ministère à une quelconque astreinte.
Défendue par Me Camille Mialot, Camille Polloni promet de poursuivre cette lutte : elle veut savoir pourquoi elle a fait l’objet d’une surveillance illégale et promet de saisir une nouvelle fois la justice. En janvier dernier, le même Conseil d’État avait déjà rejeté sa demande d’accès aux fichiers de l’Intérieur. La requérante a depuis saisi la Cour européenne des droits de l’Homme qui a déjà sur sa table la loi du 24 juillet 2015.