Fibre : un sénateur propose jusqu'à 1 500 € de sanction par ligne non raccordable

Et une taxe sur les forfaits
Internet 8 min
Fibre : un sénateur propose jusqu'à 1 500 € de sanction par ligne non raccordable
Crédits : Ceneri/iStock

Le sénateur Patrick Chaize s'apprête à déposer une proposition de loi pour protéger les réseaux publics, déployés par les collectivités. Ces dernières pourraient refuser la pose d'un second réseau fibre sur leur territoire, quand l'Arcep devrait sanctionner l'oubli des zones peu rentables dans les déploiements.

Annoncée cet été, la proposition de loi de Patrick Chaize doit être finalement déposée la semaine prochaine. Dans un entretien, le sénateur de l'Ain nous détaille les principales mesures de son texte, destiné à régler certains problèmes urgents du plan France Très Haut Débit (France THD). Il a été débattu avec une partie du secteur, dont l'Arcep, pour assurer une adoption sans heurts.

La promesse de SFR de fibrer la France sur fonds propres, d'ici 2025, inquiète au plus haut point les collectivités territoriales, engagées dans le déploiement de réseaux publics dans les zones rurales, pour un coût de 13 à 14 milliards d'euros. La perspective d'un doublon par SFR donne des sueurs froides au secteur. Une partie se mobilise derrière la proposition du sénateur, aussi président de l'Avicca, une association de collectivités.

Le texte doit répondre à deux questions : la complétude des déploiements et la duplication des réseaux... avec de nouvelles sanctions à la clé. Il compte aussi redonner du sens au statut de « zone fibrée » et réintroduit l'idée d'une taxe sur les forfaits Internet fixe pour subventionner les déploiements de fibre publique.

S'assurer que les prises peu rentables soient bien raccordables

Dernièrement, l'Agence du numérique et l'autorité des télécoms, l'Arcep, ont prévenu du risque qu'un opérateur privé fibre uniquement les prises rentables. Dans ses déploiements, chaque opérateur déclare fibrer une zone précise, et pose un point de mutualisation pour connecter l'ensemble des locaux de cette zone. Dans les agglomérations moyennes, l'Avicca accuse les opérateurs de geler les déploiements des coins peu rentables, pour se concentrer sur les plus rémunérateurs.

La proposition de loi de Patrick Chaize compte donc y remédier. Saisie par une collectivité ou un tiers (opérateur concurrent, habitant...), l'Arcep sera chargée de constater si les locaux d'une zone sont bien tous raccordables au réseau. Sinon, elle pourra sanctionner l'opérateur jusqu'à 1 500 euros par local (ligne) oublié.

Après mise en demeure, si l'entreprise n'obtempère pas, la sanction passe de chaque ligne à chaque point de mutualisation. Son montant pourra alors atteindre 450 000 euros en fonction de la gravité du manquement. Par exemple, « l'Ain compte 300 000 lignes. Un point de mutualisation couvre normalement 1 000 lignes [soit 300 points de mutualisation sur le département]. Si le problème se pose sur la globalité, cela peut donner jusqu'à 300 fois 450 000 euros » prévoit le sénateur.

Les délais pour une saisine et la sanction après mise en demeure seront à définir par la suite.

Déploiements AMII Arcep
L'état des déploiements en zone de coinvestissement privé - Crédits : Arcep

Des idées partagées entre le sénateur et l'Arcep

« L'Arcep est contente d'avoir un tel outil. Aujourd'hui, elle est démunie » estime-t-il. Contactée, l'autorité nous a renvoyé vers son dernier avis, rendu la semaine dernière au Sénat. Elle y suggère de contraindre plus fortement les opérateurs sur les déploiements, en s'appuyant sur l'article L33-13 du Code des postes et des communications électroniques (CPCE), qui lui fournit un pouvoir de sanction.

Dans son avis, le régulateur envisage aussi de ne plus limiter la complétude aux points de mutualisation, mais de l'étendre à des strates administratives comme la commune. Une bonne idée pour Patrick Chaize, qui demande par ailleurs d'être « pragmatique » : il ne sert à rien de rendre une ligne raccordable si le propriétaire ou locataire d'un logement isolé ne veut pas de la fibre.

« C'est idiot de dépenser des milliers d'euros dans un câble qui ne servira pas avant cinq ans. Aujourd'hui avec la complétude, on est obligés de le faire » tance-t-il. Il souhaite donc qu'un opérateur n'ait pas forcément à raccorder une ferme éloignée du reste du réseau, mais d'au moins la rendre raccordable quand l'habitant le souhaitera.

Empêcher la pose de deux réseaux fibre en parallèle

Le cœur du texte reste l'idée que les collectivités ont le contrôle des infrastructures sur leur territoire, en faisant du réseau fibre « un service public local ». SFR est de plus en plus actif à l'adresse de communautés de communes, en leur proposant une fibre à coût zéro, en lieu et place de celle que le département ou la région prévoit de déployer (voir notre actualité).

Le problème se pose donc pour les réseaux publics, dont la santé peut être mise à mal par des grignotages de territoire par Orange ou SFR. Dans sa proposition de loi, Patrick Chaize compte donc instituer un nouveau système, dans lequel chaque zone est placée sous la responsabilité d'une collectivité particulière, via un constat d'un ministre.

Cette collectivité devra donc veiller à ce qu'il n'existe qu'un seul réseau fibre sur son territoire. Concrètement, il s'agit de « faire en sorte qu'en cas de sollicitation d'un opérateur à une collectivité, il y a une obligation de partage de son infrastructure (câble ou fourreau), comme c'est déjà le cas pour le génie civil d'Orange ».

Habituellement, pour poser sa fibre quelque part, un opérateur doit se déclarer auprès de l'Arcep et demander un permis de voirie à la collectivité. S'il demande des permis sur une zone déjà entamée par un concurrent (comme le prévoirait SFR), la collectivité devra lui refuser de s'installer et le renvoyer vers l'opérateur déjà présent.

À noter que si une collectivité délivre par erreur un permis, c'est bien l'entreprise qui restera responsable. « C'est aussi à l'opérateur de se déclarer à l'Arcep. C'est à ce moment-là qu'il saura qu'il y a déjà un réseau. Il va déclarer sa zone arrière. Si elle est déjà déclarée, l'Arcep va le bloquer » estime le sénateur.

Pas de sanction particulière pour un contrevenant

Ce système ouvrira donc la possibilité aux collectivités de refuser un permis de voirie, ce qu'elles ne peuvent pas actuellement. Certaines collectivités font trainer ces autorisations, parfois dans le cadre d'un bras de fer avec un opérateur, au risque d'être attaquées pour excès de pouvoir. Avec la proposition de Chaize, ce risque doit disparaitre.

Le sénateur attend la révision du Code européen des télécoms, qui prévoit des mesures contre l'overbuild. Elles consistent à sanctionner un opérateur qui déploierait de la fibre en dehors de la zone qu'il a préalablement déclarée. Pour Patrick Chaize, l'appel à manifestation d'intention d'investissement (AMII) de 2011 ferait foi en France. Cette possibilité est aussi espérée par l'Arcep, qui recense cette future arme dans son avis rendu au Sénat la semaine dernière.

En attendant le prochain cadre européen, à l'application incertaine, « il n'y a pas de sanction prévue à ce sujet. Mais l'Arcep pourrait être capable de faire en sorte que ces sanctions soient déterminées. De toute façon il y aura une procédure de l'Arcep contre l'opérateur qui pourra tomber dans le cadre général ».

« Zone fibrée » et impôt sur les réseaux mobiles

Ce texte devrait aussi être l'occasion d'intégrer quelques mesures annexes. La première sera de redonner du sens au statut de « zone fibrée », que l'Arcep délivrera à des communes une fois le territoire assez couvert. L'autorité l'a réduit à l'état de macaron publicitaire pour la fibre, rejetant des mesures spécifiques sur l'extinction du réseau cuivre (ADSL). La proposition de loi compte donc imposer l'extinction du réseau cuivre au plus tard dix ans après l'attribution du statut.

Patrick Chaize pense aussi fournir rapidement une carotte aux opérateurs pour les déploiements mobiles : le plafonnement de l'impôt forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER), qui gonfle avec chaque antenne posée. Réclamée par les opérateurs, cette limite est désormais prônée par les acteurs publics.

Dans la proposition de loi, « on part sur le montant de l'IFER actuel pour un opérateur important, redivisé par le nombre de sites ». Même en déployant plus d'antennes, le montant ne bougera donc pas. Le plafond concret n'est pas encore arrêté.

Un « épouvantail » appelé taxe

Enfin, le texte ressort un serpent de mer : une taxe sur les forfaits Internet fixe pour soutenir les réseaux d'initiative publique. Le fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT), qui contribue aux 3,3 milliards d'euros de subventions des réseaux de collectivités, n'est pas entièrement alimenté. Chaize intègre donc l'idée, maintes fois rejetée, de ponctionner chaque connexion.

Le secrétaire d'État Julien Denormandie s'y était récemment opposé. Le sénateur est donc prêt à supprimer l'idée polémique si elle ne convient pas. Pourquoi alors la proposer ?

Pour Étienne Dugas, président de la Fédération des industriels des réseaux publics (Firip), « si c'est l'épouvantail pour faire passer le reste, c'est stratégiquement bien joué ». L'organisation se dit « parfaitement alignée » avec le futur texte, qu'elle compte soutenir auprès des parlementaires. La proposition de loi devra passer par l'Assemblée nationale, loin d'être acquise, alors que sa conformité avec le droit européen prête encore à débat.

Le moment est important. « Les accords sont en train de se cristalliser entre le gouvernement et les opérateurs nationaux [Bouygues Télécom, Free, Orange et SFR]. C'est le moment de mettre la pression sur le gouvernement pour qu'il n'accepte pas tout et n'importe quoi » lance Dugas.

La proposition de loi donne donc des solutions clés en main, prêtes à voter, sur lesquelles Chaize a tenté d'obtenir l'aval du secteur. « Je travaille pour que le gouvernement et les différents acteurs puissent, si ce n'est valider mon travail, le voir d'un œil positif et faire en sorte que cette proposition de loi ait une chance d'aboutir » nous déclare-t-il, pour expliquer le retard d'une semaine de son dépôt, finalement prévu dans les prochains jours.

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