Mais que faut-il pour que l’État se mette à la transparence ?

Une loi Numérique ?
Mais que faut-il pour que l’État se mette à la transparence ?
Crédits : Gwengoat/iStock

En dépit d’efforts salutaires, l’État peine encore à jouer le jeu de la transparence. Les ratés autour de la loi Numérique ne font qu’illustrer ce décalage entre affichages politiques et réalités du terrain.

La situation vécue actuellement par la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) est édifiante. De plus en plus de citoyens ont du mal à obtenir des documents publics que les administrations sont pourtant censées leur transmettre de droit – délibérations, statistiques, codes sources, rapports, etc.

Pire : l’institution a constaté une « régression », dans la mesure où certains acteurs publics attendent volontairement que le demandeur mécontent saisisse l’autorité administrative indépendante avant de songer à fournir un document.

Cette situation ne peut pas durer. Il en va de la responsabilité des administrations face à leurs obligations légales, de leur image auprès du public, mais aussi – et surtout – de l’efficacité de l’action publique.

Un droit à la transparence qui va bientôt fêter ses 40 ans

Faut-il tout d’abord rappeler que ce n’est pas la loi Numérique de 2016 qui est venue bouleverser la donne sur ce dossier. Mais la loi CADA, qui fêtera ses quarante ans l’année prochaine !

En vertu de ce texte fondateur, inspiré par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (selon lequel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration »), chaque citoyen doit pouvoir accéder aux informations produites ou détenues par l’administration. Des garde-fous encadrent bien entendu ce principe : des exceptions protègent le secret défense, le respect de la vie privée, le secret industriel et commercial, etc.

Le texte porté par Axelle Lemaire n’a finalement que consolidé cet édifice, en le faisant entrer dans une nouvelle dimension. Dès lors qu’un document administratif existe au format électronique, il a (pour simplifier) vocation à être mis en ligne tôt ou tard, dans un format compatible avec les standards de l’Open Data.

Pour être plus précis, les administrations d’au moins 50 agents sont tenues de mettre automatiquement en ligne, « dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé » :

  • Les documents qu’elles communiquent suite à des demandes CADA individuelles, « ainsi que leurs versions mises à jour » – depuis le 7 avril 2017.
  • Les documents qui figurent dans leur répertoire d’informations publiques (qui sont censés recenser leurs principaux documents administratifs) – depuis le 7 octobre 2017.
  • Leurs bases de données – à compter du 7 octobre 2018 « au plus tard ».
  • Leurs données « dont la publication présente un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental » – à compter du 7 octobre 2018 « au plus tard ».
  • Les « règles définissant les principaux traitements algorithmiques » servant à prendre des décisions individuelles (de type attribution d’allocation ou calcul d’impôt) – à compter du 7 octobre 2018 « au plus tard ».

De nouvelles obligations d'Open Data largement ignorées des administrations

Ce mouvement peut être considéré comme tardif (ou prématuré, c’est selon), imparfait… Peu importe, presque, aujourd’hui. Le citoyen est légitimement en droit d’en attendre les premiers fruits : ces nouvelles obligations ont été longuement débattues, amendées, entérinées, puis complétées par décret.

Or, en dépit de leur entrée en vigueur progressive, force est de constater que le compte n’y est absolument pas. Aucune administration ne respecte à l'évidence ses nouvelles obligations de mise en ligne « par défaut » des documents administratifs « communiqués » individuellement – en vigueur pourtant depuis plus de six mois (voir notre enquête).

Nombre d’acteurs ont tenté (et poursuivent encore) des approches pédagogiques, de médiation même : c’est notamment le rôle de la CADA et, depuis 2011, de la mission Etalab. Sauf que cela ne suffit pas.

Ces ratés sont loin d'être un simple retard à l'allumage. Ils soulignent une fois de plus les limites de l’approche législative, quand celle-ci n’est assortie d’aucune sanction. On avait d’ailleurs déjà observé des loupés identiques suite au vote de la loi NOTRe, dont les dispositions sur l'Open Data étaient applicables aux seules collectivités territoriales.

Mais que faut-il donc faire pour que l’administration, parfois si prompte à rappeler au citoyen ses obligations légales, montre l’exemple ?

Un problème culturel et organisationnel

Le problème est éminemment culturel, certaines administrations ayant un goût particulièrement prononcé pour le secret. Il renvoie également à la question des moyens, mais aussi – et surtout – à l’organisation des différents services.

Même s’il peut être difficile de jeter la pierre à certains acteurs publics en cette période de restrictions budgétaires, comment admettre qu’en 2017, il soit trop compliqué de concevoir le simple accès des citoyens à des documents qui existent déjà au format électronique ?

Il y a certes un besoin d’anonymisation, de caviardage des mentions portant atteinte au secret industriel et commercial, etc. Mais on ne parle même pas de cela ici, puisque les différentes occultations ont en principe déjà été réalisées lorsqu’un document est communiqué au citoyen.

Non : il s’agit simplement de mettre en ligne, sur un site Internet, un fichier qui vient d’être transmis par mail à un particulier. Mission impossible ?

Le citoyen, victime à tous les niveaux de ces pratiques

Le pire dans cette histoire, c’est que ce sont les citoyens qui paient les pots cassés. Non seulement celui qui tente d’obtenir un document administratif doit bien souvent consacrer beaucoup de temps et d’énergie pour se faire entendre de l’administration (pour préparer une première demande, puis éventuellement saisir la CADA, etc.).

Mais en plus, la mauvaise organisation de certains services nécessite l’intervention de nombreux fonctionnaires pour trouver le bon document, le faire « remonter », puis le transmettre en bout de course au demandeur. Si l’administration fait la sourde oreille et que la CADA est saisie, c’est une nouvelle machine administrative qui se met en branle... Quel que soit le cas de figure, on peut très certainement faire mieux en matière de gestion des ressources humaines !

C’était d’ailleurs l’un des objectifs du législateur que de faciliter le travail des fonctionnaires, puisqu’un document administratif qui est déjà en ligne n’a plus à être communiqué individuellement.

On se demande enfin qui se préoccupe actuellement de ces difficultés. On peut à cet égard souligner le travail considérable mené par Henri Verdier et ses équipes (tant au sein de la mission Etalab que dans les rangs de l’Administrateur général des données, en passant par la DINSIC au sens large) et la CADA, avec les moyens – plutôt modestes – qui leurs sont respectivement alloués. Surtout au regard d'autres autorités telles que la CNIL.

Sur le plan politique, on perçoit aujourd’hui un certain flottement, plutôt inquiétant à vrai dire. Interpellé à ce sujet la semaine dernière par une députée, Mounir Mahjoubi, le secrétaire d’État au Numérique, a très clairement botté en touche. Or l’expérience le démontre : sans portage politique, les administrations tentent vite de reprendre le pouvoir.

Il incombe donc à la nouvelle majorité, qui prétend vouloir incarner un « monde nouveau », de prouver que sa gestion de ce dossier hautement symbolique ne se résumera pas, comme on a pu le voir dans le passé, à de petits efforts vendus sous de grands vernis de communication.

Trop de promesses non tenues

Car les ratés autour de la loi Numérique sont loin d’être un cas isolé. Souvenez-vous... Combien de fois nous a-t-on promis la transparence ? Sur les déclarations d’intérêt des responsables publics, sur les données de transport, sur les arguments utilisés par les lobbyistes, sur les liens entre professionnels de santé et industriels du médicament, etc.

À chaque fois, les responsables publics ont cherché à avancer, sans que l’on arrive forcément au résultat escompté. Pour ne prendre qu’un exemple, celui du registre numérique des représentants d’intérêts, rappelons que le décalage est criant entre le dispositif instauré par la précédente majorité et ce qu’avait promis François Hollande – à savoir que chacun pourrait savoir « qui est intervenu, à quel niveau, auprès des décideurs publics (...) et quels ont été les arguments utilisés ».

Malheureusement, la nouvelle majorité suit pour l’instant le chemin pris par ses prédécesseurs. Lors des débats sur les lois pour la confiance dans la vie politique, le devenir de l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) des parlementaires n’a par exemple pas été clairement tranché. Le législateur a simplement renvoyé la balle au bureau de chaque assemblée.

Si le président de l’Assemblée nationale a promis voilà plusieurs mois de mettre en place des « mécanismes de contrôle et de transparence » sur cette enveloppe de près de 6 000 euros par mois (par parlementaire), force est de constater que leurs contours restent aujourd'hui totalement flous !

On peut ainsi craindre que l’on arrive – dans le meilleur des cas – à une réforme « du verre à moitié vide », alors que la transparence apparaît comme une des solutions aux problèmes démocratiques actuels, comme le rappelle l’association Regards Citoyens : « Pour la rendre acceptable au citoyen et montrer que cette indemnité [de frais de mandat] est légitime, il faut montrer à quoi elle sert et comment elle est utilisée », ont vainement tenté de faire valoir les bénévoles derrière le site NosDéputés.fr durant les débats sur les lois Confiance.

Avant d’ajouter : « La transparence permettra, grâce à d’éventuels doutes soulevés par la société civile, d’accompagner et guider le contrôle afin d’identifier les problèmes potentiels, d’offrir un contrôle du contrôleur, et donc de réellement rétablir la confiance ». On en est encore loin.

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