Pendant cinq ans, leurs noms ont été cités à de nombreuses reprises dans nos colonnes : Isabelle Attard, Luc Belot, Patrick Bloche, Christian Paul, Lionel Tardy... Next INpact a retrouvé ces députés spécialistes des dossiers numériques, tous défaits lors des dernières législatives.
Ils étaient de la majorité ou de l’opposition. Certains ont même connu les deux cas de figure suite à l’arrivée de la gauche au pouvoir, en 2012. On les a entendus monter au créneau lors des débats sur la loi Renseignement, le fichier TES, l’Open Data, la copie privée, les logiciels libres, Hadopi...
En juin dernier, les électeurs de leurs circonscriptions ont toutefois choisi de ne pas prolonger leurs mandats. Une pilule qui semble parfois (très) difficile à avaler pour certains de ces parlementaires, généralement très assidus.
Rebondir après la défaite
Isabelle Attard, qui fut la première à bien vouloir se confier à nous, à la fin de l’été, expliquait alors être en pleine « phase de réflexion ». « Je suis au chômage, tout simplement, répondait pudiquement l’ancienne élue EELV du Calvados. Je me donne une année pour changer de vie. »
Cette ancienne directrice de musée avait décidé de ne pas reprendre ses anciennes fonctions, et ce avant que le verdict des urnes ne tombe. Aujourd’hui, elle hésite : « Faire de la politique au niveau local plutôt que national, pour redonner envie aux citoyens de participer à la prise de décision, même dans des villages de 100 ou 500 habitants ? Ou ouvrir un café culturel, qui serait un lieu de débats, de façon à faire de la vraie éducation populaire ? »
Au fil de nos échanges avec ces cinq anciens députés « geeks », pourrait-on dire, nous avons découvert que tous étaient sans activité (autre que politique). « Aujourd'hui, ma situation elle est simple : j'ai cinquante et un ans, j'ai revendu mon entreprise, donc virtuellement, je suis à la retraite » nous a ainsi répondu Lionel Tardy, avec son habituel franc parler.
L’ancien député Les Républicains de Haute-Savoie admet être lui aussi en phase de réflexion : « Je suis en train de regarder ce que je vais faire. Est-ce que je reprends une activité salariée pour m'occuper, est-ce que je reprends une activité associative, est-ce que je remonte une société pour le fun... Je ne sais pas encore. »
Luc Belot, le rapporteur de la loi Numérique, est dans une situation analogue à ses deux anciens collègues. « Je passe mon temps à présenter mon rapport sur les smarts cities, afin de le faire vivre », confie l’ancien élu PS. C’est d’ailleurs au salon de la data de Nantes que nous avons pu le croiser. Ce proche de François Hollande a visiblement des projets en tête, « mais il est un peu tôt pour en parler », nous a-t-il expliqué.
Patrick Bloche et Christian Paul, deux anciens « mousquetaires » des lois DADVSI et Hadopi, se sont quant à eux recentrés sur leurs mandats locaux. Le premier, qui cumulait ses fonctions de député avec celles de conseiller municipal dans le 11ème arrondissement de Paris, a été élu début octobre adjoint à la maire de Paris en charge de l'Éducation, de la petite enfance et des familles. Le second, lui aussi socialiste, reste conseiller municipal et – surtout – président du pays Nivernais-Morvan.
Christian Paul explique néanmoins avoir l'intention de « continuer à réfléchir et à travailler à la fois sur les questions d'innovation publique et de numérique d’une manière plus générale » : « Je voudrais vraiment prolonger tous les débats qui ont eu lieu autour de l'élection présidentielle sur l'avenir du travail dans la civilisation numérique, dans un cadre qui restera à définir (peut-être un think tank, un livre...) » nous a confié l’ancien « frondeur ».
Des regards très critiques sur la nouvelle Assemblée
Quand on leur a demandé quel regard ils portaient sur l’action des parlementaires nouvellement élus, nos interlocuteurs ont rarement été tendres... « C'est une catastrophe, lâche carrément Lionel Tardy. On a des députés hors-sol, c'est le vide sidéral ! Pour l'instant, vu de l'extérieur, les députés passent pour des béni-oui-oui parce qu'ils disent amen à tout. Les gens ont l'impression que l'Assemblée ne sert plus à rien. »
« Je me pose des questions sur l'existence même du pouvoir législatif dans notre pays », le rejoint Isabelle Attard. Avec l'état d'urgence et la loi Renseignement, notamment, l’élue avait constaté « un effritement du pouvoir judiciaire ». « Mais aujourd’hui, je ne sais pas du tout vers quoi on va... »
Elle poursuit : « Même sur des sujets sur lesquels on pouvait s'attendre à des progrès, sur la loi Confiance par exemple, j'ai vraiment eu la sensation en suivant les débats d'un ridicule absolu. Si l’on prend la suppression de la réserve parlementaire, à titre d’illustration, c'est très bien. Mais j'attends de voir comment ce sera remplacé ! Est-ce que cet argent va-t-être totalement économisé, auquel cas des associations pourraient notamment avoir des difficultés ? Ou va-t-on créer du clientélisme sous une autre forme, avec potentiellement toujours autant d’opacité ? »

Christian Paul a du mal à cacher qu’il n’est lui non plus « pas très indulgent » : « On perçoit à la fois une grande disparité de points de vue, beaucoup d'improvisation et une tentative disciplinaire qu'on a connu à d'autres époques mais qui fait que les députés de la majorité sont quand même très verrouillés... Ce qui va vite leur coûter très cher, puisque les premières décisions sont mal ressenties dans beaucoup de territoires. Et ils auront à en rendre compte, y compris de leurs silences » prévient-il.
Patrick Bloche, de son côté, dit ne pas vouloir tomber dans la nostalgie et le « c’était mieux avant ». « Je me dis qu'on est dans une nouvelle période politique », commente-t-il. L’ancien président de la commission des affaires culturelles admet néanmoins s'interroger sur « la place de l'Assemblée nationale » et « les marges de manœuvre des nouveaux députés ».
Quant à Luc Belot, il se refuse à tout commentaire : « À partir du moment où je ne suis plus député, les électeurs ont choisi que je ne sois plus un personnage public. »
Des députés invités à faire le bilan de leur action
Il nous a été difficile de ne pas demander à ces anciens députés quelle satisfaction et, inversement, quel regret ils retiendraient de leur action sous la précédente législature.
Isabelle Attard se dit ainsi « très heureuse d'avoir pu attirer l'attention sur ce qu'était la réserve parlementaire », en rendant public les projets qu’elle subventionnait avec cette enveloppe annuelle de 130 000 euros, puis en confiant à un jury citoyen le choix des associations et communes à épauler financièrement. « C'est à force de montrer qu'on pouvait faire autrement, et à quel point c'était du clientélisme qu’on arrive aujourd'hui à ce que tout le monde accepte la fin de la réserve parlementaire » sourit-elle.
Luc Belot, rapporteur de la loi Numérique, se plait de son côté à se remémorer le vote de l’exception de « text and data mining », « où l’on est allé au plus loin du plus loin sur la fouille de texte pour les chercheurs, contre le ministère de la Culture, contre les éditeurs, etc. »
Patrick Bloche se veut un peu plus généraliste, évoquant la loi Lemaire dans son ensemble. « On a fait du bon boulot, se félicite-t-il. On a fait une bonne loi ! » Christian Paul va dans la même direction : « La loi Numérique a été un moment intéressant, y compris dans la façon où elle a été mise en débat public. »
Lionel Tardy fait enfin valoir que sa satisfaction est « générale » : « C'est d'avoir bossé comme un malade à l'Assemblée, d'avoir respecté le deal avec un mandat unique. » Et l’ancien élu LR d’ajouter, un brin amer... « Même si à la fin ça n'a pas payé. »
« Tout ça pour ça ! »
Il s’agira d’ailleurs de son grand regret. « Tout ça pour ça ! Tu bosses comme un malade, t'as pas d'autre mandat, t'as plus de vie de famille, et à la fin, parce que tu n'as pas pris l'étiquette En Marche, tu n'es pas élu... » soupire l'ancien député de Haute Savoie.
Isabelle Attard aurait quant à elle aimé « qu'on progresse davantage sur la question des logiciels libres lors de la loi Numérique ». L’écologiste déplore que l’État continue de nouer des accords avec Microsoft, à l'image du récent renouvellement du contrat dit Open Bar du ministère de la Défense. « On n'avance pas sur ce sujet-là. Ça me déçoit profondément, surtout par rapport à l’Éducation nationale, alors que ça avait été largement plébiscité par les internautes lors de la consultation sur l'avant-projet de loi Numérique... »
Le frondeur Christian Paul évoque de son côté l’épisode de la loi Renseignement, et notamment du vote des fameuses « boîtes noires » : « Les parlementaires ont été pour beaucoup soit trop disciplinés, soit trop ignorants de ce que cela représentait. J'espère qu'on n'aura pas à l'avenir une affaire Snowden dans un an ou dans dix ans qui réveillera trop tardivement les consciences... »
« En termes de fiscalité numérique, on aurait pu aller plus loin » admet quant à lui le socialiste Patrick Bloche.
S’il dit avoir « plein » de regrets, son collègue Luc Belot s'inquiète que « globalement, les députés ne soient pas montés suffisamment en compétences sur les questions de numérique. Et que chacun, dans sa spécialité, ne gérait que son silo (Airbnb pour le logement, Uber pour le transport, Amazon pour la culture...). »
Les anciens députés Sergio Coronado et Axelle Lemaire n'ont pas donné suite à nos demandes d'interview.