Plus de trois ans après son entrée en vigueur, qui a mis fin à la gratuité des frais de port pour les commandes de livres, la loi « anti-Amazon » va faire l’objet d’une évaluation de l’Assemblée nationale. Les deux députés en charge de ces travaux devraient rendre leurs conclusions début 2018.
« Non seulement il n'y a eu aucune audition de faite en 2014, mais aujourd'hui, on a peu d'éléments chiffrés récents sur la situation des librairies indépendantes (en termes de consommation, de profil de consommateurs, de chiffre d'affaires...) » nous explique Yannick Kerlogot.
Avec son collègue Michel Larive (La France Insoumise), l’élu LREM vient de se voir confier par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale un rapport d’évaluation de la loi du 8 juillet 2014, dite « anti-Amazon ».
Des livres désormais plus chers sur Internet
Souvenez-vous... Dans l’espoir d’aider les libraires à faire face à la concurrence des géants du e-commerce, le Parlement a, dans un large consensus, décidé de mettre fin aux deux avantages que pouvaient jusqu’à lors accorder les cybermarchands au titre de la loi « Lang » sur le prix unique du livre : la gratuité des frais de port et un rabais de 5 %.
Dans la pratique, cela signifie que dorénavant, un livre acheté sur Internet coûte plus cher qu’en magasin. Les seules exceptions à cette réforme concernent les clients qui retirent leurs livres en boutique ou qui disposent d’un abonnement spécifique.
La suite est connue : les principaux cybermarchands ont pris le législateur au mot, en appliquant pour la plupart des frais de port d’un montant symbolique d’un centime d’euro. Ce fut notamment le choix fait par Amazon, La Fnac et CDiscount.
Le problème est qu’actuellement, « aucune » évaluation de cette réforme n’a été menée, constate Yannick Kerlogot. Nous avions nous même sollicité le ministère de la Culture à ce sujet cet été, à l’aune des trois ans de la loi « anti-Amazon », et attendons encore un retour...
Un cycle d’auditions avant un rapport, attendu pour le printemps prochain
Les députés comptent attaquer leurs travaux de manière très classique, par un cycle d’auditions. « Nous avons l'intention de rencontrer la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) du ministère de la Culture, le Centre national du livre, le Syndicat national de l'édition, l'Association pour le développement de la librairie de création,... » détaille Yannick Kerlogot. Amazon et La Fnac devraient également être entendus, de même que des représentants de libraires indépendants.
Cette évaluation devra permettre d’évaluer l’impact de la loi, et notamment faire état de ses conséquences juridiques, économiques, financières, sociales et environnementales.« Nous n’avons pas de contrainte de temps, mais on espère bien pouvoir boucler notre rapport pour le printemps 2018. Et puis pourquoi pas, au-delà, retenir des éléments pour peut-être aller sur une proposition de loi », envisage d’ores et déjà le député LREM.
L’élu explique que ces travaux visent plus largement à « faire un état des lieux de la librairie indépendante », mais aussi à « comprendre la fuite du consommateur vers le e-commerce ».
« On n'est pas là pour culpabiliser le consommateur » souligne celui qui, avant d'être élu, exerçait en tant qu'instituteur en école maternelle. « Il faut d’ailleurs reconnaître que le e-commerce a permis ou permet aujourd'hui à des gens qui sont en zone rurale de pouvoir disposer de livres comme n’importe quel citoyen urbain. »
Des effets pour l'instant difficiles à mesurer
Si aucune évaluation quantitative n’a pour l’instant été menée au sujet de la loi « anti-Amazon », certains parlementaires ont d’ores et déjà eu l’occasion de revenir sur ce dossier.
« Faille volontaire ou contournement mal anticipé par le législateur et le gouvernement, la loi surnommée « anti-Amazon » a été détournée de l’un de ses objectifs principaux en permettant à ladite entreprise de fixer légalement un prix de livraison à 1 centime d’euro. Si symboliquement la loi est respectée, il est évident que son impact économique et son objectif de rééquilibrage concurrentiel au profit des librairies en sont fortement affaiblis » déplorait par exemple le député Jean-Marie Beffara (PS) au travers d’un rapport annexé au projet de loi de finances pour 2015.
En 2016, au Sénat, Colette Mélot rapportait que selon le Syndicat national de la librairie française, la loi du 8 juillet 2014 aurait pourtant été « un élément majeur » de la reprise économique constatée à l’époque « par de nombreux établissements ». « L’espoir du législateur qu’il pourrait contenir la concurrence d’Amazon et contribuer à faire revenir une partie du public en magasin n’était pas vain » soutenait-elle alors.
Lors des débats autour de la loi Numérique, le rapporteur Luc Belot avait quant à lui décrié la méthode utilisée par le Parlement : « La livraison gratuite s’est transformée en livraison à un centime, et cette loi – que nous avions pourtant passé du temps à écrire – a perdu toute portée, parce qu’elle ne visait qu’à réguler une seule plateforme. C’est certainement le travers dans lequel nous tombons le plus souvent : viser un seul acteur. »
Interpelée par le député Lionel Tardy, Fleur Pellerin, alors ministre de la Culture, expliquait fin 2014 que la loi « anti-Amazon » avait avant tout un « objectif symbolique et pédagogique ». Celle qui fut également ministre déléguée à l'Économie numérique rappelait au passage que le gouvernement refusait d'encadrer davantage le prix de la livraison, dans la mesure où « imposer de facturer les frais de port aux coûts réels aurait, de fait, avantagé les acteurs de la vente en ligne les plus puissants, puisque le volume de leurs ventes leur permet de négocier des contrats de gros avec les transporteurs à des conditions préférentielles ».