Profitant du projet de loi de finances, des députés de l’opposition proposent que la déclaration automatisée des revenus issus de plateformes telles qu’Airbnb, eBay ou Uber entre en vigueur dès l’année prochaine (et non en 2019). La majorité s’est toutefois déjà opposée à leur amendement en commission, au motif que le dispositif serait loin d’être prêt...
En complément du droit de communication dont bénéficie de longue date l’administration fiscale, les « opérateurs de plateformes en ligne » seront bientôt contraints d’adresser chaque année à Bercy une déclaration électronique mentionnant, pour chacun de leurs utilisateurs présumés redevables de l’impôt en France, tout un lot d’informations : adresse électronique, statut de professionnel ou de particulier, mais aussi – et surtout – le « montant total des revenus bruts » perçus par chaque internaute au titre de ses activités sur la plateforme, « ou versés par l’intermédiaire de celle-ci ».
À terme, l’objectif est que ces sommes soient imposées (si elles ont à l’être, ce qui n’est pas forcément le cas). Les déclarations de revenus des internautes percevant de l’argent via des plateformes devraient ainsi être automatiquement pré-remplies, à l’image de ce qui prévaut aujourd’hui pour les salaires par exemple.
Cette mesure, rejetée dans le cadre du projet de loi Numérique mais revenue en force lors du projet de loi de finances rectificatives pour 2016, doit entrer en vigueur pour les revenus perçus à compter du 1er janvier 2019.
Une date qui ne doit rien au hasard : au regard des difficultés techniques de mise en œuvre que risque de rencontrer cette réforme, le législateur a voulu laisser un certain temps de préparation à l’administration fiscale et aux plateformes concernées...
Éric Woerth veut « mettre l’épée dans les reins » des plateformes
Aux yeux du député Éric Woerth, les plateformes ont toutefois d’ores et déjà « eu tout le temps nécessaire pour s’organiser ». À l’occasion des débats sur le projet de loi de finances pour 2018, l’élu Les Républicains a déposé un amendement, soutenu par près d’une centaine de ses collègues de l’opposition, pour avancer cette réforme d'une année.
« Voilà deux ans que les opérateurs peuvent s’y préparer ; le moment est venu de leur mettre l’épée dans les reins » a-t-il déclaré mardi 10 octobre en commission, où sa proposition a été débattue une première fois. Celui qui est également président de la commission des finances estime que « l’impact économique et fiscal de ce mécanisme justifie que l’on avance la date d’applicabilité de cette mesure » à 2018.
Selon lui, les revenus issus des plateformes « sont très rarement déclarés, très rarement contrôlés, et in fine très rarement imposés. Il en résulte une perte de recettes pour l’État, une insécurité juridique pour le contribuable, et une concurrence déloyale pour certains secteurs ».
L'administration confrontée à la délicate identification des utilisateurs
Le rapporteur général, Joël Giraud (LREM), s’est toutefois opposé à ce changement de calendrier. « Le dispositif ne fonctionne pas » a-t-il carrément reconnu, en raison des difficultés à identifier précisément les utilisateurs de plateformes. « Contrairement aux banques et aux employeurs qui transmettent automatiquement les informations à l’administration fiscale », a expliqué l’élu, les sites de type Airbnb ou Priceminister « ne sont pas obligées de vérifier l’identité du bénéficiaire des revenus ».
Résultat, « si seul un pseudonyme est transmis à l’administration fiscale, il ne sera pas facile d’identifier les bénéficiaires des revenus » s’est justifié Joël Giraud. « C’est précisément pour permettre la résolution de ce problème persistant que l’entrée en vigueur du dispositif a été fixée en 2019. L’avancer d’un an ne permettra pas d’y remédier davantage » a-t-il prévenu.
Un argument qui n’a guère convaincu le député Jean-Paul Mattei (MODEM) : « Les paiements se font par des virements bancaires qui sont traçables et permettent de retrouver les noms, même si des pseudonymes sont utilisés. Où est donc le problème ? L’argent ne circule tout de même pas dans des enveloppes ! »
« L’argument du pseudonyme et d’autres ont déjà été échangés en 2016, mais il est temps de passer à l’acte » a de son côté exhorté Éric Woerth. « Dans le monde numérique, on n’obtient pas de résultat sans forcer la porte. » Son amendement a toutefois été rejeté. Restera à voir le sort qui lui sera réservé lors des débats en séance publique, qui débutent aujourd’hui.
En complément, l'instauration d'un abattement de 3 000 euros
Le président de la commission des finances soutiendra par ailleurs un autre amendement, là aussi vainement défendu en commission la semaine dernière, et qui vise cette fois à instaurer un abattement fiscal de 3 000 euros sur les revenus bruts issus générés via des plateformes.
« Le choix du seuil de 3 000 euros permet aux utilisateurs non professionnels de pouvoir bénéficier de l’économie collaborative tout en imposant justement ceux qui en font une véritable activité commerciale » se justifie Éric Woerth, rejoint encore une fois par près d’une centaine d’élus de l’opposition.
Fait notable : cette proposition a été reprise par onze députés de la majorité. « Les personnes gagnant moins de 3 000 euros par an via des plateformes en ligne (soit 250 euros par mois, ou 60 euros par semaine) seraient exonérées d’impôt sur ces revenus. Au-delà, l’avantage fiscal serait dégressif et s’annulerait progressivement » expliquent ces parlementaires menés par l’ancienne socialiste Anne-Christine Lang.
En appui de leur amendement, ils font valoir que l’instauration de cette sorte de franchise (imaginée initialement au Sénat) permettrait de créer « un critère simple et lisible permettant de distinguer un « particulier » d’un « professionnel ». Concrètement, l’affiliation à la sécurité sociale en tant que travailleur indépendant ne serait jamais obligatoire en-deçà de ce seuil « plancher » – mais demeurerait toujours possible pour ceux qui se considèrent comme professionnels et souhaitent bénéficier d’une couverture sociale à ce titre ».
Un risque de « rupture d'égalité » selon le rapporteur
Sauf que là encore, le rapporteur s’y est opposé la semaine dernière, lors des débats en commission. « Un tel abattement ne va pas de soi car il suppose que l’on assume de ne pas imposer l’ensemble du revenu » a fait valoir Joël Giraud. L’intéressé craint que ce mécanisme génère « des abus importants, qui pourraient prendre la forme de montages organisés pour rester sous ce plafond ».
D’un point de vue plus juridique, la réforme envisagée risque dans le même temps de créer « une importante distorsion de concurrence et une rupture d’égalité entre les professionnels et les personnes exerçant ce type d’activités de façon épisodique », a poursuivi le rapporteur. « À titre d’exemple, alors qu’un antiquaire ou un brocanteur professionnel paie l’impôt sur le revenu sur l’ensemble de son bénéfice, une personne qui vend ses biens en ligne en serait exonérée jusqu’à 3 000 euros. » Cette différence de traitement selon les modalités de l’activité, en ligne ou non, « encourt donc la censure du Conseil constitutionnel » a conclu Joël Giraud.