La marque au carré rouge propose à des communautés de communes de le laisser déployer la fibre, à ses frais, sur leur territoire. Face à la promesse d'un réseau pérenne à bas coût, les collectivités pourraient se retrouver sans levier sur l'action du groupe privé.
Les communautés de communes intéressent SFR. L'opérateur a contacté plusieurs d'entre elles en Alsace, comme nous l'affirme Alain Sommerlatt, directeur général du réseau d'initiative publique Rosace. Au moins une dizaine auraient été approchées, parmi les plus peuplées, sur les 40 que compte la région historique.
Contacté, SFR nous confirme des démarches auprès de collectivités, « d’autant que certaines d’entre-elles nous sollicitent directement dans le cadre de notre plan Fibrer La France ». Interrogé sur les actions en Alsace, il nous répond « Pas uniquement ! ». Pour sa part, l'Avicca, une association de collectivités, constate aussi des mouvements de l'opérateur.
Il y a quatre mois, l'entreprise perdait le contrat de construction du réseau public du Grand Est, pour 900 000 lignes et un budget de 1,3 milliard d'euros. Un camouflet que n'a pas apprécié l'opérateur, qui a déposé un recours contre le choix de l'autre finaliste, NGE-Altitude. Ce revers l'avait amené à promettre de fibrer l'ensemble du pays sur ses deniers, d'ici 2025, soit « Fibrer La France ».
Une promesse en forme de menace, principalement pour les réseaux d'initiative publique, en plein démarrage commercial aujourd'hui, avec peu d'appui des fournisseurs d'accès nationaux. Qu'un opérateur privé amène sa fibre en parallèle de celle des départements et régions, pourrait bien nuire à la santé de cette dernière.
Pour l'Agence du numérique, ces doublons sont une « ligne rouge » que SFR ne devrait pas franchir (voir notre entretien). En Alsace, cette perspective ne semble pas si éloignée.
Mille feuilles territorial
Selon nos informations, l'entreprise mène un travail de fourmi pour convaincre des collectivités de lui donner le blanc-seing pour déployer sa fibre. En passant par les communautés de communes, la marque au carré rouge s'adresse au maillon territorial sous le département, celui qui gère habituellement les réseaux publics.
Selon Alain Sommerlatt de Rosace, SFR s'est adressée à des collectivités sur lesquelles le réseau public a lui-même commencé à déployer de la fibre, à destination des zones les moins bien loties en ADSL. Cela veut donc dire que Rosace attaque le travail commune par commune, pour traiter les pires cas, avant de revenir plus tard connecter le reste. « Sur certains nœuds de raccordement [NRO] les travaux sont étalés sur cinq ans » note le directeur général du réseau public.
Il n'est pas certain que SFR doublerait la fibre dans des zones déjà couvertes, la fameuse « ligne rouge ». Il s'approcherait au moins de communes où les travaux ont été entamés par le réseau d'initiative publique.
Cet effort local de SFR se serait intensifié depuis la défaite, en juillet, sur le réseau public du Grand Est. Le responsable de Rosace nous déclare ne pas avoir eu d'écho similaire de la part autres départements de la nouvelle région.
Cette stratégie rappelle, à s'y méprendre, celle d'Orange pour proposer sa montée en débit aux élus locaux. Comme nous le révélions en 2015, le groupe conseillait activement à nombre de communes, partout en France, d'attendre la fibre avec une amélioration des débits sur le vénérable réseau téléphonique (ADSL et VDSL).
Un discours que combattaient certains réseaux publics, d'autant que les collectivités financent l'opération, sans qu'Orange ne souligne toujours cet investissement public. Ici, SFR déploie bien son réseau à ses frais, en proposant un coinvestissement à certains endroits.
Des cas signalés ailleurs en France
Ces récents mouvements alsaciens n'inquiètent pas aujourd'hui le réseau public, qui voit SFR comme un partenaire, non un concurrent. S'il juge peu logique de déployer deux réseaux fibre en parallèle, Alain Sommerlatt précise ne pas avoir reçu de retrait de communauté de communes du plan départemental public. Les lignes fibre afficheraient un taux de pénétration d'environ 25 % après deux mois d'installation, un rythme rapide, même dans le cas de zones au mauvais ADSL.
Ces derniers jours, d'autres cas de contacts la communauté de communes de Charente limousine (62 communes en Charente) et au Pays fléchois (12 communes dans la Sarthe) sont remontés dans la presse régionale. Deux endroits où la fibre publique est prévue, voire promue. En Charente, on souligne une opération à « coût zéro », quand dans la Sarthe, SFR promet de rester cohérente avec les déploiements de fibre du département.
Il reste que, dans les deux cas, les communes ont peu de leviers sur ces travaux, quand bien même elles se diraient vigilantes sur les délais. Même dans les zones moins denses, soit les agglomérations moyennes où les opérateurs privés coinvestissent, les communes agissent peu face à Orange et SFR, n'assurant que parfois le suivi même des déploiements.
Les zones moins denses, aussi concurrentielles
Le travail de fourmi de SFR s'étend d'ailleurs aux zones moins denses. Sur trois millions de lignes, laissées dans un flou réglementaire, c'est au plus rapide de poser ses armoires et de connecter les clients... SFR complète donc avec sa fibre les endroits laissés libres par Orange sur nombre de communes (voir notre enquête).
Les négociations entre le gouvernement et les opérateurs, débutées en juillet, devraient porter leurs fruits d'ici la fin de l'année. En attendant, la puissance publique prévoit de laisser plus de place à l'investissement privé (voir notre analyse), idéalement en couvrant des zones (rentables) où les réseaux publics n'ont pas encore concrètement mis les pieds.
Contactée, l'Agence du numérique n'a pas encore répondu à nos sollicitations.