Pour l'UFC-Que Choisir, le déploiement de la fibre s'achèverait en 2035 en maintenant le rythme actuel. L'association critique fortement la domination d'Orange sur le nouveau réseau, ainsi que l'oubli des Français les moins bien lotis. Malgré une approche chiffrée, ce constat grave s'appuie sur une analyse aux détails parfois bancals.
Sonnette d'alarme sur l'accès Internet. L'UFC-Que Choisir publie les résultats d'une étude, selon laquelle 7,5 millions de Français seraient aujourd'hui sans « connexion de qualité » (au moins 3 Mb/s descendant), quand 500 000 personnes n'auraient pas d'accès au réseau. Cette connectivité est pourtant « indispensable pour accéder à de nombreux services essentiels », comme le notait ce matin Alain Bazot, le président de l'association.
Celle-ci pointe le retard français face aux autres pays européens, qui demeurerait malgré le plan France THD, lancé en 2013. Mais l'important est la fracture numérique. « Ainsi, dans les communes de moins de 1 000 habitants, moins des deux tiers de la population a en moyenne accès à Internet dans de bonnes conditions alors que c’est le cas pour au moins 86,8 % des consommateurs dans les autres zones », écrit l'association.
Certains départements sont plus touchés que d'autres. 31,8 % des habitants de la Meuse n'auraient pas de bon accès Internet, contre 29,8 % en Guyane et 28,9 % dans la Creuse. « Il y a au moins 16 départements où [au moins 20 %] de consommateurs n'ont pas un accès Internet minimal » note l'association. Dans l'autre sens, l'Ile-de-France affiche une part de moins de 1 %.
Un objectif de 80 % de fibre en 2022 « chimérique »
Le constat est accablant et l'association n'a pas de mots assez durs sur la situation. Avec 21,4 % des logements en fibre début 2017, le rythme actuel des déploiements ne permettrait pas d'obtenir la fibre partout avant 2035. En janvier, la Cour des comptes rappelait l'échéance 2030 de certains réseaux publics. L'échéance 2022, avec 100 % de très haut débit dont 80 % de fibre, est « totalement chimérique ».
Rappelons que ce rythme de déploiement accélère tout de même d'année en année. Suffisamment pour atteindre l'objectif 2022 ? L'Agence du numérique, qui pilote le plan, affiche une assurance (presque) sans faille, admettant qu'il faudra une accélération nette entre 2020 et 2022 pour tenir l'objectif, après l'escale du bon débit pour tous en 2020 (8 Mb/s minimum).

L'association reprend tout de même le chiffre de 50 % de la population en très haut débit cette année, alors que la plupart des prises actuellement posées feront sûrement l'objet d'un doublon ou d'un remplacement en fibre. La tendance pourrait d'ailleurs continuer dans les prochaines années, si des centaines de milliers de lignes en zones rurales passent en 4G fixe (sur réseau dédié ou via une carte SIM mobile), en attendant une fibre pérenne.
Pour combler ce « retard inacceptable », l'UFC-Que Choisir demande d'ailleurs de sortir de l'objectif absolu de la fibre, pour opter pour d'autres solutions. L'organisation propose des investissements supplémentaires de l'État, en partie sortis du plan France THD, pour traiter en priorité les zones sans bon Internet.
Interrogée sur l'articulation avec les financements actuels et les plans de chaque département, dont les réseaux publics visent déjà à réduire cette fracture numérique, l'association a botté en touche. Elle invite les pouvoirs publics à en discuter avec elle.
Une domination de la fibre par Orange surestimée
Sur la fibre, l'autre grande inquiétude de l'UFC-Que Choisir est la domination des déploiements et du marché de détail par Orange, dont nous vous parlions à la mi-2016. Pour l'organisation, il faut envisager des solutions réglementaires pour corriger le tir. Problème : l'analyse a quelques faiblesses.
La part de marché d'Orange fléchit depuis plusieurs trimestres. Quand l'UFC-Que Choisir prend la situation fin 2016, avec une part d'environ 66 % pour l'opérateur historique, elle était de 63 % fin juin (1,69 million d'abonnés sur un total de 2,65 millions). Avec la montée des fournisseurs d'accès concurrents, notamment sur les zones de coinvestissement (au moins 12 millions de lignes), la tendance devrait s'accentuer dans les trimestres à venir.
De plus, l'association écrit que « 70 % des prises raccordables FTTH le sont exclusivement via Orange ». Que Choisir confond ici le fait qu'Orange déploie la fibre avec l'accès au réseau. Si l'opérateur historique est bien responsable de 70 % des déploiements, une part (en zones très denses) est doublonnée par les autres opérateurs nationaux. Dans les zones de coinvestissement, les lignes posées par l'opérateur sont utilisables par les FAI qui les cofinancent (comme Bouygues Telecom et Free, selon les endroits).
En réaction à l'article, Antoine Autier, responsable adjoint du service des études, apporte quelques précisions. « Nous indiquons que [ces 70 % de lignes FTTH] sont raccordables en utilisant impérativement le réseau déployé par Orange (pour les autres opérateurs commerciaux), et non pas utilisables exclusivement par Orange. Autrement dit, nous n’indiquons pas qu’Orange bénéficie d’un monopole sur le marché du détail sur les logements qu’il raccorde. »
La situation est donc bien plus nuancée que ce qu'affirme d'abord l'association. Il reste tout de même un tiers des 10,9 millions de lignes FTTH qui ne disposaient que d'un opérateur. Ce taux se réduit ici très lentement, de trimestre en trimestre.
Crainte d'une hausse globale des prix
L'association s'inquiète aussi d'une hausse des tarifs « La fibre enterrera définitivement les offres d’accès à Internet à 30 euros ! » s'alarme l'UFC-Que Choisir. Selon ses calculs, avec un prix d'accès au dernier segment du réseau d'Orange qui passerait de 9,45 à 18,23 euros par mois, les offres qui en découleront atteindraient plutôt 40 euros... Sachant que les deux principaux déployeurs de fibre (Orange et SFR) ne sont pas connus pour leur politique tarifaire agressive sur le marché de détail (hors RED et Sosh).
C'est ici considérer que les autres opérateurs s'appuieront massivement sur cette part du réseau fibre d'Orange, comme ils l'ont fait sur l'ADSL. Une perspective qui risque de se nuancer fortement dans les prochaines années, malgré l'avance très nette prise par l'opérateur historique en matière de réseau.

Sur l'ADSL, l'organisation craint fortement un effet néfaste des « zones fibrées », censées permettre aux collectivités et opérateurs d'encourager la bascule vers la fibre une fois une commune entièrement couverte. Que Choisir reprend la proposition du rapport Champsaur de 2015, prévoyant d'augmenter le prix de l'ADSL une fois la fibre suffisamment présente. L'idée aurait même « les faveurs du régulateur », selon l'association.
Pourtant, elle n'a été reprise nulle part. En avril comme en juillet, le régulateur a affirmé (et réaffirmé) qu'il n'est pas nécessaire de changer le prix de l'ADSL pour amener les consommateurs vers la fibre. Si elle conserve cette possibilité dans l'absolu, elle a proposé au gouvernement de ne pas l'appliquer. La zone fibrée version Arcep est d'ailleurs largement vidée de son sens initial.
Une absence de transparence, deux demandes
L'UFC-Que Choisir pointe enfin un manque de transparence sur l'Internet fixe. L'an dernier, l'Arcep a abandonné son observatoire de la qualité de service fixe, après de nombreuses critiques de la méthodologie. Côté factures, le contrôle du régulateur seraient aussi minimes, ne tenant par exemple pas compte du surcoût quasi-systématique de location de box. Autant de points sur lesquels l'organisation compte être plus vigilante.
Elle demande donc à l'autorité une analyse approfondie de l'évolution du coût de l'Internet fixe. À l'État, elle réclame de prioriser les financements dans les zones sans bon Internet fixe.
Rappelons que le plan décidé en 2013 réserve justement les subventions aux réseaux d'initiative publique (RIP) déployés en zones rurales, loin des zones urbaines les plus rentables, où les opérateurs privés déploient leur fibre. L'UFC-Que Choisir veut donc faire de la qualité actuelle d'accès un facteur central dans les choix de subventions, donc de déploiements publics.