La base de données d’affectation d’un quart des flux de la copie privée a été mise en ligne par les organismes de gestion collective. Épilogue d’un long chemin vers un peu plus de transparence.
La semaine dernière, une ribambelle de sociétés de perception et de répartition des droits ont mis en ligne une imposante base de données. Un document programmé par la loi du 7 juillet 2016 sur la liberté de création (article L326-2).
Pour comprendre sa genèse, il faut se souvenir que lorsqu’ils perçoivent des flux de redevance copie privée, ces acteurs ne redistribuent directement « que » 75 % des montants, tout en conservant 25 %. Ce reliquat, 66 millions d'euros des 266 millions collectés l'an passé, doit alors être dépensé dans certains secteurs fléchés par le législateur : l'aide à la création, la diffusion du spectacle vivant ou des actions de formation des artistes (L321-9 du CPI).
L’article R321-6 précise que l’aide à la création s’entend aussi « des actions de défense, de promotion et d'information engagées dans l'intérêt des créateurs et de leurs œuvres » soit le lobbying, les actions en justice, etc.
En 2013, nous avions tenté justement d’éprouver la transparence de ces circuits financiers. L’esprit de la loi semblait en notre faveur : les sociétés de gestion collective retracent chaque année le sort de ces 25 % dans un rapport qu'elles doivent remettre au ministère de la Culture.
Il nous suffisait d’obtenir le document pour jauger ensuite le bain de ces données. Bel aveu de naïveté...
Des rapports d'affectation disponibles jusqu'alors qu'en version papier
En effet, le ministère n'avait pu nous transmettre ces rapports d’affectation par voie électronique, pour la simple et bonne raison que ceux-ci n’étant jusqu’à très récemment disponibles qu’en version papier ! Quant à l’idée de les explorer plus en profondeur, autant oublier…
En pratique, nous avions à l'époque été contraints de nous rendre Rue de Valois pour consulter un océan de milliers de pages. Un épisode retracé dans ce compte-rendu kafkaïen.
Sensibilisée par notre action, l’eurodéputée Françoise Castex avait fort heureusement ajouté une ligne dans sa résolution votée au Parlement européen en 2014 portant sur la copie privée. Elle invitait « les États membres à publier des rapports décrivant ces affectations dans un format ouvert et des données interprétables » (point 23 du document voté par le Parlement européen).
Aurélie Filippetti, Fleur Pellerin et l'amendement Rogemont
Au même moment en France, dans l’avant-projet de loi Création, ces vœux avaient été aussi entendus. Informée de notre procédure, la ministre Aurélie Filippetti avait spécialement prévu que chaque société de gestion rende « public ce rapport [d’affectation, ndlr] sur un réseau de communication au public en ligne ».
Seulement, après le départ de la ministre le 25 août 2014, l’élan de la transparence a été obscurci… En juillet 2015, la disposition souhaitée par Filippetti a curieusement sauté du projet de loi Création finalement enregistré à l'Assemblée nationale et au Sénat par sa remplaçante, Fleur Pellerin.
Quelques jours plus tard, le député Marcel Rogemont avait néanmoins cité de larges extraits de notre piteuse expérience dans son rapport sur la copie privée. Il plaidait pour « une base de données regroupant l’ensemble des sommes versées par les SPRD au titre de l’action artistique et culturelle, consultable en ligne, gratuitement et dans un format ouvert (open data) » (proposition 11).
Le même député est donc revenu à la charge lors de l’examen du projet de loi création. Son amendement « transparence », soutenu par Isabelle Attard et Barbara Pompili a ainsi été inscrit dans le texte, avec cette fois avis favorable de la nouvelle ministre.
Des sommes rondelettes, d'autres beaucoup moins
La base mise en ligne la semaine dernière est désormais accessible sur le site AidesCreation.org. Elle ne mentionne que les aides 2016 pour l’heure, mais ses responsables promettent une mise à jour régulière.
Tous les projets soutenus par dix-sept organismes de gestion collective, dont l’Adami, la Spedidam, la SACEM, la SACD, la SCPP ou encore la SPFF y sont mentionnés, dans un format ouvert et réutilisable comme le veut la loi.
En scrutant l’aide à la création, on voit ainsi que la SCPP – qui représente les principaux producteurs de musique – a versé 1,50 euro HT pour le projet de CD « l’Amour de la Vie » de Marc Hamon, via la société Le Livre Qui Parle. La vidéo « Human Tribe » de David Krakauer et Anakronic a profité de 7 euros HT cette fois par l'intermédiaire de Balagan Box. Universal Music France a reçu 8,23 euros pour la vidéo « Chaque Jour reste le nôtre » de Louise Attaque.
D’autres sommes plus conséquentes sont à relever, au profit des valeurs plus sûres de la chanson française : plus de 122 000 euros pour Warner Music France pour le dernier CD de Patricia Kaas, et 123 000 autres euros cette fois pour la création du CD-Audio de Christophe Maé.
D’autres montants plus importants encore sont à relever. Le SNEP, par exemple, a touché en 2016 très exactement 996 093 euros de la même société au titre des « actions de défense et d’autres à la création ». La SACD a versé de son côté près d’un million d’euros à l’Association Beaumarchais SACD pour des soutiens à des auteurs sous forme d’aides individuelles.
Des actions de défense en passant par la Hadopi
Ces structures bénéficiaires n’étant pas des sociétés de perception, elles ne sont pas astreintes à leur niveau de transparence et font d’une certaine manière écran, loin des vœux du législateur.
Remarquons dans le flot que la SCPP a payé également 178 102,43 euros de frais d’avocats en 2016. C’est la seule société de perception à faire directement état de ce poste budgétaire. Chez les autres SPRD, les interventions de ces professionnels du droit sont le plus souvent noyées sous des appellations trop génériques pour être identifiées, voire identifiables.
Le « fonds culturel franco-américain » créé par la SACEM avec la Directors Guild of America (DGA), la Writers Guild of America West (WGAW) et la Motion Picture Association (MPA), a perçu 201 374,12 autres euros, outre 488 840,64 euros pour un coup de pouce au Festival Colcoa organisé à Los Angeles.
Dans l'inventaire à la Prévert, la même SPRD a affecté 282 368,13 euros pour « l’aide à la défense du droit d’auteur – lutte contre la piraterie, notamment Hadopi », sans qu’on ait une connaissance plus fine de la ventilation. Le nom de Trident Media Guard, organisme chargé de récolter les adresses IP de ceux qui mettent à disposition des œuvres sur les réseaux P2P, n’apparaît d’ailleurs pas dans la base alors que la société est bien mandatée pour cette mission en amont de la riposte graduée.
204 040,10 euros ont fait grossir les « actions de sensibilisation et de pédagogie sur le droit d’auteur ». S’y ajoutent près de 130 000 euros pour financer notamment « des contenus pédagogiques à destination des scolaires », histoire de sensibiliser les plus jeunes à la beauté de cette branche juridique.
La SACEM, toujours, a fait un chèque de près de 110 000 euros pour la « revue internationale de droit d’auteur », avec laquelle d’ailleurs elle a organisé un prix sur le sujet de la copie privée. Une revue qui compte pour directeur de publication David El Sayegh, secrétaire général de la SACEM.
Festival de festivals
Le syndicat professionnel CGT « des artistes dramatiques, chorégraphiques, lyriques, de variété, de cirque, des marionnettistes et des artistes traditionnels » a pu toucher 88 495 euros de l’ADAMI au titre du soutien aux actions de défense des droits des artistes-interprètes.
Pour la petite histoire, la CGT n'est pas totalement étrangère à la Commission Copie privée, celle chargée d’établir barème et assiette. Elle intervient déjà sous les habits des associations de consommateurs, via l’INDECOSA-CGT (l'Association pour l’information et la défense des consommateurs salariés).
Des festivals ont surtout perçu des sommes importantes, parfois plusieurs dizaines de milliers quand ce n’est pas plusieurs centaines comme le Festival d’Avignon.
En 2012, aux Rencontres de Dijon, le président de la SACEM avait d’ailleurs expliqué que l’ « une des raisons pour lesquelles un grand nombre de parlementaires, c’était à dire des élus nationaux, se sont mobilisés quand on leur a demandé de le faire, c’est que la copie privée, ils ont en tout cas un bénéfice : c’est celui des 25 % qui contribuent dans leur commune, dans leur département, dans leur région, à aider ce qui [soutient] la création (…) notamment tout ce qui tourne autour du spectacle vivant. »