Dans un jugement rendu en la forme des référés le 6 juillet dernier, le tribunal de grande instance de Paris a ordonné le blocage de Libertyland.tv, LibertyLand.co, StreamComplet.com, VoirFilms.org et VoirFilms.co. Next Inpact diffuse l’ordonnance en question.
En plein été, ces trois sites, représentés par cinq noms de domaine, ont été considérés par la justice comme massivement contrefaisants. Ils ont été bloqués et déréférencés.
La procédure a été initiée par la Fédération des distributeurs de films, le Syndicat de l’édition vidéo numérique, l’Association des producteurs indépendants, l’Union des producteurs de cinéma, épaulés par l’intervention du syndicat des producteurs indépendants.
En face, se trouvaient les principaux FAI français, à savoir Bouygues Télécom, Free, Numéricâble, Orange, SFR, outre le moteur Google.
Des courriers restés sans réponse
Le début du litige à 2015 et 2016 lorsque l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA) a dressé plusieurs procès-verbaux depuis ces services en ligne. Elle avait pris soin d’alerter leurs responsables respectifs dès mai et septembre 2016, vainement : soit les adresses mails indiquées généraient une erreur, soit les courriers sont restés sans réponse.
En décembre 2016, l’association a donc adressé une mise en demeure aux FAI précités, outre le moteur de recherche américain. En janvier 2017, le TGI de Paris a été saisi pour qu’il leur soit fait injonction d’empêcher l’accès à ces sites sur le fondement de l’article L336-2 du Code de la propriété intellectuelle, et ce durant un an.
Cet article, inspiré du droit européen et voté lors de la loi Hadopi, indique qu’en cas de contrefaçon sur Internet, le tribunal de grande instance peut imposer « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte » et ce, « à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ». Une disposition déjà initiée avec l'affaire AlloStreaming notamment.
Les requérants demandaient en outre que ces mesures soient prises en charge par les seuls FAI et Google. À titre subsidiaire, ils daignaient les assumer eux-mêmes, mais seulement à hauteur de 60 euros par nom de domaine.
La défense des intermédiaires a été pour le moins similaire. Orange et Bouygues ont accepté la mesure sollicitée à condition principalement qu’elle soit limitée dans le temps. Free, SFR et Numéricable ont été sur la même veine, non sans rappeler la prise en compte de la liberté d’expression et de communication ainsi que la liberté d’entreprendre.
Des « sites structurellement contrefaisants »
Dans sa décision, le TGI de Paris va rappeler une évidence : « Ni le téléchargement, ni le streaming ne sont en soi une activité illicite et ils sont tout à fait légaux quand ils interviennent dans le cadre d’une cession légale des droits ».
Seulement, ici, dans les constats réalisés sur ces sites financés par de la publicité, les agents assermentés de l’ALPA ont constaté que 71,3 % des liens sur LibertyLand, 74,75 % sur VoirFilms et 97.99 % sur StreamComplet mènent à des reproductions non autorisées.
De là, le TGI considère que ces sites « sont structurellement contrefaisants ». Le 6 juillet, il a donc ordonné le blocage des noms de domaine durant un an.
Dans la décision, Google a exploré une ligne de défense plus « subtile » : il a sollicité que la désindexation soit limitée aux URL menant vers les œuvres contrefaites, afin d’éviter un coup de gomme sur l’ensemble des noms de domaine. À son goût, seule cette mesure chirurgicale permettrait de respecter le principe de proportionnalité cher aux juristes. Mieux : le moteur américain soutient que « le blocage opéré au niveau des FAI serait suffisant et […] la mesure de déréférencement par Google ne serait pas totalement efficace ».
Un blocage qui vise l’ensemble des sites, non quelques URL
Ces arguments ont été balayés dans l’ordonnance : « il ressort des constatations faites par l’ALPA que le contenu éditorialisé des trois sites litigieux est dédié quasi exclusivement à permettre l’accès à des œuvres contrefaisantes ». Dès lors, « il n’est donc pas disproportionné au regard de la liberté d’expression de faire droit aux demandes de déréférencement de l’entier contenu des trois sites litigieux ».
Quant au manque d’efficacité, comme l’a déjà dit en substance la Cour de justice de l’Union européenne, ce n’est pas parce qu’il est impossible d’assécher le piratage qu’on ne doit rien tenter pour le diminuer. « Le déréférencement, anticipe l’ordonnance, privera un nombre considérable d’internautes de l‘accès par ce moteur de recherche aux sites litigieux et fera donc perdre à ces derniers une part d’audience substantielle ».
Fait notable, le tribunal de grande instance a refusé que les frais soient supportés par ces intermédiaires. Il a demandé en conséquence aux FAI et à Google de solliciter le remboursement des restrictions d’accès auprès des représentants de l’audiovisuel.
Un blocage même dans les Terres australes
Conclusion : Bouygues Télécom, Free, Numéricâble, Orange et SFR se sont vus contraints de bloquer :
- Libertyland.fr
- libertyland.co
- Streamcomplet.com
- Voirfilms.org
- voirfilms.co
… aussi bien en France métropolitaine, que dans les départements ou régions d’outre-mer ainsi que dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques, et ce durant un an, par tout « moyen efficace et notamment par le blocage des noms de domaine ».
Identiquement, Google Inc. (et non Google France) devra empêcher l’apparition sur l’ensemble des services de son moteur « l’apparition de toute réponse et tout résultat renvoyant vers l’une des pages respectivement des sites LibertyLand, StreamComplet et VoirFilms » sur la même zone géographique et selon le même calendrier.
Pourquoi cette décision sera frappée d’appel
La décision devrait sans trop de surprise être frappée d’appel par les demandeurs sachant que le même jour, la Cour de cassation a estimé que les FAI devraient en principe prendre en charge les coûts de ces mesures.
Ce 6 juillet, la haute juridiction a estimé en effet que ce n’est que « dans l’hypothèse où une mesure particulière devait s’avérer disproportionnée, eu égard à sa complexité, à son coût et à sa durée, au point de compromettre, à terme, la viabilité du modèle économique des intermédiaires techniques, qu’il conviendrait d’apprécier la nécessité d’en mettre le coût, en tout ou en partie, à la charge du titulaire de droits ».
Sans cette démonstration, aux intermédiaires d’assumer leur part de contribution dans « la lutte contre les contenus illicites ».
LibertyLand, StreamComplet et VoirFilms ont déjà contourné ce blocage
Un peu plus de deux mois après cette ordonnance du 6 juillet, Google a signé avec l’ALPA un accord visant non à désindexer, mais à déclasser les résultats « pirates » en réponse aux requêtes saisies sur son moteur. La ministre a cependant précisé que cet accord, signé sous l’égide du CNC, était sans effet sur les procédures en cours.
Quiconque pourra en faire le test : depuis cette décision, LibertyLand a changé de nom de domaine pour LibertyVF.com pas plus tard que le 7 août, soit à peu près au même moment que le déploiement des mesures de restrictions. Streamcomplet.com est lui aussi bloqué, mais StreamComplet.me, déposé de longue date, a pris la relève. Enfin, Voirfilms est accessible sur VoirFilms.info. Le nom de domaine a été déposé le 16 août 2016, mais ses caractéristiques ont été mises à jour le 1er août 2017.
Sans surprise, les requérants devraient donc déposer une nouvelle demande en la forme des référés devant le TGI afin d’actualiser la liste des sites à bloquer. Une démarche techniquement rapide, prévue par l’ordonnance, mais désormais tributaire d'un calendrier judiciaire surchargé.