Dans un entretien, le sénateur Patrick Chaize nous annonce préparer une proposition de loi pour garantir le rôle des collectivités sur le déploiement de la fibre. Pour lui, évoquer une privatisation de la fibre dans certaines zones rurales, comme l'a fait l'Agence du numérique, revient à « ouvrir la boite de Pandore ».
D'abord évoquée dans nos colonnes début août, la proposition de loi pour protéger les réseaux publics est en chemin. Pour mémoire, ces réseaux de collectivités doivent couvrir en très haut débit 43 % de la population, dans des zones que les opérateurs privés n'ont pas voulu fibrer eux-mêmes en 2011.
Au moment où SFR promet (voire menace) de fibrer lui-même tout le pays d'ici 2025 et qu'Orange multiplie les accords avec des départements pour empiéter sur des réseaux publics, Patrick Chaize veut garantir la pérennité de ces derniers. Le parlementaire est aussi président de l'Avicca, association de collectivités sur le numérique, très critique des déploiements privés, au rythme jugé trop lent.
Avec le président du Sénat, Gérard Larcher, et Jean-Claude Lenoir, Patrick Chaize avait saisi l'Arcep pour tirer au clair les annonces de SFR, soit jauger leur réalisme. Il faut dire que l'annonce de la marque au carré rouge a causé un séisme dans le secteur, alors que la plupart des réseaux d'initiative publique (RIP) sont déjà lancés.
« SFR fait une déclaration d'intention qui n'est étayée par rien », pas même un calendrier précis, fait aujourd'hui valoir Patrick Chaize, même si l'opérateur promet de premières prises commercialisées d'ici la fin de l'année. SFR aurait « un discours un peu simpliste », qu'il s'agit tout de même de contrer avec une proposition de loi. Cette dernière devra aussi passer l'épreuve de la réalité, en commençant par le processus législatif.
Des demandes des tenants des réseaux publics, une proposition de loi
Cette proposition de loi, initiée par Chaize mais portée par le groupe LR, est une demande des acteurs des réseaux d'initiative publique. D'un côté, l'Avicca a émis 43 propositions pour les négociations en cours entre gouvernement et opérateurs. Les premières concernent la protection des réseaux publics, demandant aux autorités de tracer une « ligne rouge » : dupliquer la fibre posée par les collectivités. C'était déjà le message d'Antoine Darodes, directeur de l'Agence du numérique, dans un entretien fin août.
La Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique (Firip) a proposé sept changements, dont le premier est aussi d'éviter qu'un opérateur privé ne déploie sa fibre face à un réseau public. Comme nous le détaillait Antoine Darodes, la prochaine feuille de route gouvernementale doit donner plus de place à l'investissement privé, quitte à rogner sur des zones attribuées à l'investissement public.
Attendu entre le 27 septembre et le 15 octobre, le texte doit accorder les violons de l'État et des opérateurs privés. Ne rendra-t-il pas une proposition de loi sur les réseaux publics caduque ? « Je serais le premier satisfait, mais je ne suis pas persuadé que ma démarche soit caduque » répond Patrick Chaize, qui s'attend à des avancées sur le mobile (pour couvrir une partie du pays en 4G fixe d'ici 2020), mais pas à de grande avancée sur les réseaux filaires.
« Je ne vois pas comment la feuille de route pourrait tout régler » ajoute le sénateur, qui veut lui-même « protéger les RIP des agressions » privées.
Une proposition de loi pour la seconde moitié d'octobre
Entre temps, les sénateurs doivent recevoir la réponse de l'autorité des télécoms à leur saisine ; semble-t-il avant le 1er octobre. Patrick Chaize compte l'utiliser pour sa proposition de loi, qu'il espère déposer entre le 15 et le 30 octobre. Les grandes lignes seraient écrites, les articles étant harmonisés juridiquement avec les textes français et européens ; par exemple pour éviter une question prioritaire de constitutionnalité.
« Construire deux réseaux de communication électronique, en parallèle dans nos territoires, paraît absolument ubuesque » nous lance le parlementaire. Il compte donc assimiler les réseaux fibre à un réseau de service public local, comme les réseaux d'eau ou d'électricité. Si la collectivité ne construit pas forcément elle-même, elle doit rester maître des déploiements des réseaux publics sur son territoire, pense-t-il.
Il faudrait donc protéger les réseaux publics, notamment les recettes d'exploitation attendues des millions de prise fibre attendues. « Je considère qu'il est du devoir du législateur de faire en sorte qu'on n'entraine pas les opérateurs privés et collectivités territoriales » dans la logique du groupe luxembourgeois, poursuit Chaize.
En annonçant fibrer la France, même en zone d'initiative publique, « SFR a rappelé le fait que ce réseau était rentable à terme. Patrick Drahi n'est pas un philanthrope ». Altice, chouchou des marchés financiers, a lui-même critiqué vertement la financiarisation des réseaux publics, via la montée de fonds d'infrastructure, en remplacement de l'argent public.
« Une fois qu'on a choisi le plan France THD, on ne peut pas abandonner le bébé à la première occasion. Il faut donc protéger les investissements publics et privés. Le sujet n'est pas de faire de l'anti-SFR ! » comme titrait pourtant hier Le Monde.
Ne pas « ouvrir la boite de Pandore »
Fin août, Antoine Darodes, le directeur de l'Agence du numérique, se disait en faveur d'une extension de la zone de coinvestissement des opérateurs (voir notre entretien). Dans celle-ci, Orange et SFR déploient aujourd'hui le réseau, pour le compte des quatre acteurs nationaux.
Ils se verraient bien rogner sur des zones jusqu'ici attribuées aux réseaux d'initiative publique, Antoine Darodes chiffrant le nombre de lignes reprenables en millions... Sur les sept millions que doivent accueillir les réseaux de collectivités en 2022.
Réponse de Patrick Chaize : « Je trouve scandaleux les propos d'Antoine Darodes du moment qu'il n'associe pas les collectivités. Il faut laisser la main aux collectivités », même quand elles décident de se décharger de déploiements sur Orange, comme deux départements au premier semestre.
« Il est dangereux, de la part de quelqu'un garant du plan France THD, que d'ouvrir la boite de Pandore. Ce n'est pas très judicieux » appuie le parlementaire.
« Quand je demande de la transparence aux opérateurs, quand je demande à l'Arcep ou l'Agence du numérique d'être plus inquisiteurs, on ne se précipite pas. A contrario, on est hyper exigeants sur les collectivités territoriales et réseaux publics » note encore le sénateur. Rappelons que l'État subventionne les réseaux publics et contrôle chaque denier dépensé, quand les opérateurs privés déploient à leurs frais.
Le mois dernier, l'Agence du numérique reconnaissait d'importantes lacunes dans le suivi local des déploiements privés. Elle nous annonçait une évolution vers un contrôle national, avec publication d'indicateurs réguliers par l'Arcep (voir notre analyse). Même dans ce cas, des trous de régulation devraient rester, notamment en zone de coinvestissement (12 millions de lignes en agglomérations moyennes) où Orange et SFR se battent quartier par quartier (voir notre enquête).