Une trentaine d’ONG (parmi lesquelles figure Open Rights Group, la fondation Libre Office, openSUSE...) viennent de lancer une campagne à l’échelle européenne en faveur du logiciel libre et de l’open source. Avec un leitmotiv : faire en sorte que tout programme informatique financé grâce à des deniers publics soit accessible à tous.
« Argent Public ? Code Public ! » Tel est l’intitulé de la campagne lancée mercredi 13 septembre sous l'impulsion de la Free software foundation Europe (FSFE). L’organisation de défense du logiciel libre explique que chaque année, les pouvoirs publics des différents États membres de l’Union européenne dépensent « des millions d'euros dans le développement de nouveaux logiciels sur mesure pour leurs besoins ».
Rien que pour la France, les exemples en la matière sont assez nombreux (sans pour autant être tous très glorieux) : « Chorus » pour la comptabilité de l’État, « Louvois » pour la solde des militaires, « VITAM » pour l’archivage électronique, « France Visas » pour la gestion des demandes de visas, etc.
Or le problème est double, aux yeux de la FSFE. D’une part, parce que les États ont parfois recours à des logiciels propriétaires, dont le code source ne peut donc pas être ausculté. D’autre part, parce que même en cas de développement d’une solution libre, il n’y a pas forcément de publication du code source. « Les administrations publiques à différents niveaux rencontrent souvent des problèmes pour partager le code source du logiciel entre elles, même si elles ont entièrement financé son développement », déplore à cet égard l’organisation.
Des problèmes de sécurité, mais aussi de dépendance à de grands acteurs
Dans une lettre ouverte co-signée par une trentaine d’ONG, dont Wikimédia Allemagne ou, s’agissant de la France, de l’Association de promotion du logiciel libre (April), la FSFE dénonce les risques de telles pratiques, tout d’abord en matière de sécurité. Elle cite le lanceur d’alerte Edward Snowden, pour qui l’ouverture du code source permet de « trouver et réparer les failles avant qu’elles ne soient utilisées » par des personnes malintentionnées, par exemple « pour éteindre la lumière dans l’hôpital d'à côté » (en ce qui concerne les systèmes d’information de la sphère publique).
L’organisation rappelle également la problématique de souveraineté liée à l’usage des logiciels propriétaires : « Nos administrations sont dans une situation de captivité vis-à-vis d’une poignée d’entreprises comme Microsoft, et dont la conséquence est l’impossibilité de vérifier les failles de sécurité et d’adapter le logiciel aux besoins. » Des critiques entendues à maintes reprises, et répétées il y a peu en France suite à la décision prise par le ministère de la Défense de renouveler son contrat dit « Open Bar » avec le concepteur de Windows.
Les initiateurs de la campagne « Argent Public ? Code Public ! » ne manquent pas de vanter les avantages du logiciel libre : économies budgétaires dans la mesure où « des applications similaires n’ont pas besoin d’être programmées à partir de zéro à chaque fois », coopération – parfois avec la société civile – qui permet de « partager l'expertise et les coûts », etc.
Lutte d’influence pour faire évoluer les législations
Mais comment comptent-ils agir pour faire bouger les choses ? Chacun est invité à signer la lettre ouverte rédigée par la FSFE, qui appelle les responsables publics à « mettre en œuvre une législation » selon laquelle tout « logiciel financé par le contribuable pour le secteur public » deviendrait « disponible publiquement sous une licence de Logiciel Libre et Open Source ».
Cette sorte de pétition sera très prochainement envoyée aux candidats allemands aux législatives, puis, à terme, aux autres responsables politiques de l'Union européenne et des États membres, ainsi qu’aux candidats aux élections européennes de 2019.
Bientôt le retour du débat sur la « priorité » à accorder aux logiciels libres ?
En France, deux types de réformes pourraient être introduites, selon l’April. « Il y a des fois où des solutions privatrices sont explicitement demandées dans les appels d’offres », nous explique Frédéric Couchet, le délégué général de l’Association de promotion du logiciel libre – en référence notamment aux achats de licences Microsoft. « Si déjà le Code des marchés publics n’autorisait pas ce type de pratiques, ça permettrait aux entreprises de répondre aux appels d'offres en proposant du logiciel libre », soutient-il.
Ce pourfendeur du logiciel propriétaire espère d’autre part que le Parlement rouvrira prochainement le débat sur la « priorité » à accorder (ou non) aux logiciels libres au sein de l’administration. La mesure avait en effet été largement plébiscitée lors de la consultation sur l’avant-projet de loi Numérique, sans pour autant être retenue par le législateur. Rappelons-en le principe : que les ministères, services déconcentrés, autorités publiques en tout genre... « donnent la priorité aux logiciels libres et aux formats ouverts lors du développement, de l'achat ou de l'utilisation, de tout ou partie, de [leurs] systèmes d'information ».

« Ce sujet-là reviendra sur le tapis pour qu’on puisse inscrire dans la loi la priorité aux logiciels libres, et préciser, peut-être dans un décret ou un dans autre document, la mise en œuvre pratique de cette priorité » croit désormais Frédéric Couchet. « Ça ne viendra peut-être pas tout de suite, mais ça va venir à un moment ou à un autre » ajoute-t-il.
L’intéressé mise beaucoup sur les nouveaux députés, dont plus d’une vingtaine ont signé le Pacte du logiciel libre. Les ambitions portées par Paula Forteza (LREM) ont d’ailleurs suscité beaucoup d’intérêt de la part de l’April. Et pour cause : cette ancienne employée de la mission Etalab entend proposer des outils libres répondant à des besoins concrets des députés – par exemple sur la gestion des amendements – en s’inspirant des méthodes agiles, chères au logiciel libre (voir notre portrait).
« Les tentatives d'expérimentation au sein de l'Assemblée nationale qu'annonce Paula Forteza devraient convaincre ses collègues parlementaires de l'intérêt du logiciel libre et de l'importance d’y recourir » affirme Frédéric Couchet. « Ça va leur montrer que ça fonctionne ! Et peut-être que dans un an, deux ans... Il deviendra finalement naturel qu'il y ait une proposition de loi pour consacrer la priorité au logiciel libre. »
Codes sources : l’ouverture est (en principe) acquise
Quant à la publication des codes sources de logiciels développés ou commandés par l’administration, rappelons que la loi « CADA » assimile les codes sources à des documents administratifs « communicables » de droit à tout citoyen qui en fait la demande. De nombreuses procédures ont ainsi conduit ces dernières années à l’ouverture de différents codes sources, à l’image de celui du logiciel qui permet à Bercy de calculer l’impôt sur le revenu.
Il ne faut cependant pas oublier que l’administration peut refuser cette communication dès lors qu’il s’agit par exemple de protéger le secret défense ou la sécurité des systèmes d’information des administrations.