Alors que la fibre reste très minoritaire chez les entreprises, SFR prendrait depuis quelques mois des positions d'autres opérateurs. Interrogés, certains de ces acteurs affirment devoir s'associer à la marque au carré rouge pour concurrencer ses offres, faute d'alternative immédiate sur le « low cost ».
Fin mai, SFR annonçait de nouvelles offres fibre pour entreprises, avec une connexion 100 Mb/s symétrique à partir de 400 euros HT par mois. Un coup de tonnerre sur un marché de la fibre dédiée (FTTO) habituellement bien plus cher, qui attend encore que les offres du consortium Kosc (OVH), fondées sur le réseau d'Orange, entrent en action. Le tout s'inscrit dans un mouvement général de baisse des prix, alors qu'à peine 7 % des entreprises françaises seraient connectées en fibre.
Ces offres de SFR « perturbent forcément le marché », avec des prix pouvant être divisés par deux, nous déclarait Pascal Caumont de l'opérateur Adista, à la mi-août. « Ça déstabilise tout le discours technico-commercial du marché » pense-t-il. Pour Antoine Darodes, directeur de l'Agence du numérique, « ce ne sera pas simple pour certains opérateurs, dont certains petits. On peut espérer que les autorités de régulation et de concurrence seront là pour rétablir les choses au besoin ».
Des prix qui forceraient la main de la concurrence
Tout l'enjeu des opérateurs spécialisés sur les entreprises, aujourd'hui, est de pouvoir répliquer ces prix partout en France. Selon plusieurs acteurs du marché, SFR attirerait en masse ces plus petits acteurs sur ses offres de gros, qui ont peu d'alternatives aujourd'hui pour tenir ces tarifs. C'est le cas d'Adista, qui reprend ses relations commerciales avec SFR, en partie pour inciter les autres fournisseurs à suivre la baisse des prix.
« On avait presque arrêté toutes relations avec SFR, suite à la dégradation de la qualité de service » précise Pascal Caumont, estimant que la marque au carré rouge délaissait les professionnels ces dernières années. Pour l'Agence du numérique, une offre de SFR sur l'ensemble du territoire peut être crédible, « via des réseaux un peu dormants ces dernières années ». « Comme sur le FTTH [la fibre pour particuliers], il y a une meilleure prise de conscience et une meilleure connaissance de ses réseaux dans les territoires » pense Antoine Darodes.
« Tous les opérateurs alternatifs n'ont pas d'autre choix, pour répondre aux offres de SFR de détail, que de recourir aux offres SFR de gros » appuie-t-il, sous la casquette de la Fédération des industriels des réseaux publics (Firip).
Les petits opérateurs demandent des garanties
Adista compte utiliser la collecte SFR comme « offre défensive » pour les clients privilégiant le prix, même si la question de la marge se pose bien. À la mi-août pourtant, l'opérateur attendait encore de voir les premières commandes concrètes chez SFR, qui devaient encore arriver.
Ce discours est relativisé par l'Association des opérateurs télécom alternatifs (Aota), qui représente certains des plus petits acteurs du marché entreprises. « Ce n'est pas une innovation majeure, puisque de nombreux opérateurs régionaux disposant d'infrastructures locales en propre avaient déjà entamé cette simplification et ont une approche souvent meilleure sur le volet économique » répond son secrétaire général, Nicolas Guillaume.
L'Aota se dit inquiète des offres de gros actuelles, « dont les tarifs ne nous permettent pas de travailler sereinement ». Des discussions seraient déjà engagées avec le groupe, invité à clarifier « au plus vite » sa position. L'association déclare que l'emprise commerciale de SFR se resserre déjà dans certaines régions, mais que la société aura besoin des opérateurs régionaux pour s'adresser aux TPE et PME, via le service de proximité que les grands groupes seraient incapables de fournir.
L'alternative Kosc
Face à SFR, les futures offres fibre du consortium Kosc concentrent les attentes, avec des tarifs aussi revus à la baisse. Via celles-ci, les opérateurs alternatifs doivent pouvoir accéder au réseau national d'Orange ; donc sortir d'une échelle locale pour certains. C'est une preuve de bonne foi de la part de l'opérateur historique face au régulateur, qui le menaçait en début d'année de contraintes importantes. Avec les deux tiers du marché entreprises en main, Orange devait ainsi montrer patte blanche.
Plutôt qu'une offre de référence pour des opérateurs de détail, Orange loue sa fibre (passive) à Kosc, qui l'active pour les opérateurs finaux. À eux de la commercialiser aux entreprises. Contacté, l'opérateur historique nous confirme que le contrat entre lui et Kosc n'est pas public, même s'il assure respecter « ses engagements et obligations d’égalité de traitement » pour ceux qui voudraient se lancer sur le même créneau. Il nous affirme par ailleurs ne pas prévoir d'offre FTTE en propre, laissant la place à Kosc.
« Si des offres sur le réseau d'Orange permettent de répliquer les offres [de SFR], qu'elles soient vendues en direct ou par Kosc n'est pas notre problème » lance Pascal Caumont, même si Adista et la Firip avaient d'abord réclamé des offres activées directement chez Orange. Notre interlocuteur doute tout de même de la capacité financière d'autres sociétés de se lancer en parallèle de Kosc sur le même réseau.
Il craint aussi que les offres fibre de Kosc n'arrivent que dans deux ou trois ans, laissant le champ libre à SFR. Officiellement, le consortium promet pourtant de livrer ses premières prises en janvier 2018.
La question des réseaux de collectivités
Du côté de la fibre publique, « la vraie concurrence se pose sur les réseaux publics de première génération [antérieurs au plan France THD de 2013], et non ceux de seconde génération », ceux du plan fibre actuel, selon Pascal Caumont d'Adista. En simplifiant les offres en trois paliers, avec des prix parfois divisés par deux, SFR pourrait grapiller des clients face aux plus vieux réseaux d'initiative publique, abonde un opérateur régional.
Il n'est pas encore certain que SFR affrontera frontalement les réseaux publics sur ce créneau, ceux opérés par SFR Collectivités compris. « Cela va compliquer le travail des collectivités territoriales concernées, notamment sur leurs réseaux publics de deuxième génération » pense tout de même le directeur général d'Adista. Selon nos différents interlocuteurs, les offres de ces réseaux de collectivités sont amenées à s'harmoniser à la rentrée, notamment pour répondre au coup de semonce de la marque au carré rouge.
« Sur le marché entreprises, il y a une marge assez substantielle de dynamisation et d'animation. C'est plutôt sain de voir SFR bouger les lignes, ce qui en fera bouger d'autres en conséquence » nous répond Antoine Darodes. « C'est vrai que c'est un peu un point faible du plan, de ne pas avoir réussi à prioriser les déploiements de réseaux d'initiative publique vers les entreprises, dont les petites », laissant la main à l'Arcep, reconnaît-il.
Interrogé, SFR n'a pas encore pu répondre à nos sollicitations. La question reste donc ouverte sur la contribution exacte de cette stratégie « entreprises » au plan de couverture de la France en fibre pour 2025, dont le gouvernement doute encore aujourd'hui, au même titre que l'Agence du numérique (voir notre entretien).