La formation solennelle de la Cour européenne des droits de l’Homme va revenir sur une affaire déjà examinée en 2016 : le licenciement d’un salarié pour usage d’une messagerie professionnelle à titre privé. L'arrêt de la Grande chambre est programmé le 5 septembre prochain.
Dans ce dossier, un Roumain, Bogdan Mihai Bărbulescu, était employé comme ingénieur en charge des ventes. Pour répondre aux demandes des clients, son employeur lui avait demandé d’utiliser Yahoo Messenger.
Le 13 juillet 2007, ce salarié est informé que ses communications sur cette messagerie instantanée ont été surveillées durant plusieurs jours. Et dans les flux, sont apparus des échanges personnels. « Il se vit présenter un relevé de ses communications, notamment des transcriptions de messages échangés avec son frère et sa fiancée et portant sur des questions personnelles telles que sa santé et sa vie sexuelle » résume ce document.
Une surveillance de Yahoo Messenger jugée raisonnable
Le 1er août, il était licencié pour violation des règles internes qui prohibent justement l’usage des ressources de l’entreprise à des fins privées. Le salarié a attaqué cette décision devant les juridictions nationales qui ont malgré tout validé cette procédure au regard du Code du travail.
En appel, M. Bărbulescu a fait état de différentes dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme, en vain. Le 17 juin 2008, la cour d’appel a rejeté son recours. Elle a considéré que l’attitude de l’employeur était raisonnable et que cet espionnage était le seul moyen d’établir l’existence d’une infraction disciplinaire.
Ce licenciement est finalement remonté devant la Cour européenne avec pour tremplin l’article 8 du texte fondamental, qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que le secret des correspondances. En 2016, signale le juriste Nicolas Hervieu, la Chambre avait déjà jugé que ce licenciement consécutif à la surveillance comme « raisonnable dans le contexte d’une procédure disciplinaire », estimant que « les juridictions internes avaient ménagé un juste équilibre entre le droit du requérant au respect de sa vie privée et de sa correspondance en vertu de l’article 8 et les intérêts de son employeur ».
Un contexte particulier
Il faut dire que plusieurs points avaient été pris en compte en préparation de cet arrêt : « l’employeur avait accédé au compte Yahoo Messenger du requérant en partant du principe qu’il contenait des messages professionnels, l’intéressé ayant d’abord affirmé l’avoir utilisé pour conseiller les clients de l’entreprise ».
En outre, le salarié remercié a pu faire valoir ses droits devant les juridictions et jamais l’identité des personnes concernées par cet échange privé n’a été révélée, pas plus que le contenu des échanges. Enfin, cette surveillance a été ciblée puisque « seules ont été examinées les communications échangées sur le compte Yahoo Messenger (…) et non les autres données et documents enregistrés sur son ordinateur ».
En somme pour la Cour, « la surveillance exercée par l’employeur était de portée limitée et qu’elle était proportionnée au but visé ».
Saisie par renvoi, la Cour européenne des droits de l’homme, juridiction installée à Strasbourg par les États membres du Conseil de l’Europe, va néanmoins examiner ce dossier en Grande chambre. L’arrêt de cette formation très solennelle et exceptionnelle est prévu pour mardi, 5 septembre.
L'usage des messageries personnelles sous l'œil de la Cour de cassation
Ce litige s’inscrit dans le sillage d’une dense jurisprudence en France. Le 26 janvier 2016, la Cour de cassation avait par exemple estimé qu’un employeur ne pouvait briser le secret de la correspondance, quant aux emails envoyés ou lus par un salarié.
La situation était cependant différente, puisqu’il y avait cette fois usage d’une messagerie personnelle (via une adresse @sfr.fr) et professionnelle distincte : « ayant constaté que les messages électroniques litigieux provenaient de la messagerie personnelle de la salariée distincte de la messagerie professionnelle dont celle-ci disposait pour les besoins de son activité, la cour d'appel en a exactement déduit que ces messages électroniques devaient être écartés des débats en ce que leur production en justice portait atteinte au secret des correspondances ».