Alors que la rentrée s’annonce tendue pour le gouvernement, qui présentera cette semaine ses ordonnances relatives à la réforme du droit du travail, l’exécutif est revenu ces derniers jours sur l’une des mesures à venir (et passée quasiment inaperçue jusqu'ici) : la création d'un « Code du travail numérique ».
« Aujourd'hui, quand vous prenez le Code du travail dans les versions imprimées, quand vous allez sur Légifrance, vous ne pouvez pas naviguer » a fait valoir Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État au Numérique, ce matin sur l’antenne de France Inter. Les critiques sont en effet loin d’être nouvelles : non seulement le droit du travail est très dense, mais en plus il se révèle souvent bien peu « lisible » pour tout un chacun...
Pour faciliter la compréhension du droit du travail par le plus grand nombre, la ministre du Travail l’a souligné ce week-end dans une interview au Monde : le gouvernement va « créer un Code du travail numérique ».
Il ne s’agit toutefois ni de proposer une version PDF du Code du travail, ni de mettre à part les règles qui s’appliqueraient spécifiquement aux acteurs « numériques » (Uber, Deliveroo, etc.). « Mettre le Code du travail de façon numérique, c'est le faire pour que des gens comme vous et comme moi puissions le comprendre autant que tous les salariés et que tous les chefs d'entreprises » a expliqué Mounir Mahjoubi. En pratique, le dispositif imaginé par l’exécutif devrait même aller plus loin qu’une simple explicitation du droit existant.
Possibilité de se prévaloir des informations fournies par ce nouvel outil
Ce projet de « Code du travail numérique » figure depuis plusieurs mois à l’article 3 du projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances diverses mesures « pour le renforcement du dialogue social ». Suite à la saisine du Conseil constitutionnel, qui rendra son avis la semaine prochaine, le texte n’a pas encore été promulgué par Emmanuel Macron.
Sauf censure des « Sages », l’exécutif devrait néanmoins pouvoir prendre sous six mois toutes les dispositions législatives qu’il souhaite pour « faciliter l’accès par voie numérique de toute personne, y compris en situation de handicap, au droit du travail et aux dispositions légales et conventionnelles qui lui sont applicables ». D’autre part, le gouvernement sera amené à définir dans le même temps « les conditions dans lesquelles les personnes peuvent se prévaloir des informations obtenues » au travers de ce « Code du travail numérique ».
Autrement dit, il semble que l’utilisateur aura non seulement une information personnalisée, mais en plus, cette information pourra être considérée comme « fiable » – et devenir dès lors opposable à l’administration.
Laurent Pietraszewski, le député rapporteur du projet de loi de réforme du Code du travail, expliquait ainsi début juillet qu’une réflexion était en cours « pour déterminer dans quelle mesure les normes et informations ainsi regroupées pourraient servir de socle aux salariés comme aux employeurs dans le cadre de leurs démarches, sous la forme d’un quasi rescrit, qu’elles pourraient ainsi invoquer et dont elles pourraient se prévaloir, que ce soit auprès dans le cadre des relations individuelles ou collectives du travail, vis-à-vis de l’administration, ou encore dans le cadre d’une démarche contentieuse ».
Des propos qui cadrent avec ceux tenus en commission des affaires sociales par Muriel Pénicaud, la ministre du Travail :
« Il s’agit de compléter l’existant, et non de le remplacer, par un accès par voie numérique, pour tous ceux qui le souhaitent (...) au droit du travail, pas simplement le droit du travail en bloc dans un « grand PDF Dalloz » mais sur des questions précises. Une vision interactive permettrait un a priori sécurisant pour l’entreprise. (...) Lorsqu’elles seront face à l’administration, les petites entreprises bénéficieront d’une sorte de certification de bonne foi. L’administration fera preuve de bienveillance à leur égard. Bien sûr, cela ne vaut pas interprétation du droit mais cela fait partie du « droit à l’erreur », c’est-à-dire de cette démarche de présomption de bonne foi, surtout s’il y a une information de l’administration. »
L’étude d’impact annexée au projet de loi porté par Muriel Pénicaud reste toutefois bien discrète quant aux contours exact du futur dispositif (site Internet et/ou application mobile, date de mise en service, etc.), ainsi que sur son coût... Peut-être le gouvernement donnera-t-il plus de précisions sur cette réforme lors de la conférence de presse qu'il organise, jeudi 31 août, à 15h à Matignon, pour présenter ses ordonnances.
Bientôt une base Open Data des accords de branche, de groupe...
En attendant d’en savoir plus, rappelons que la loi El Khomri tentait déjà d’améliorer l’accès au droit du travail : son article 16 prévoit que sauf accord contraire des parties, « les conventions et accords de branche, de groupe, interentreprises, d'entreprise et d'établissement » doivent être « rendus publics et versés dans une base de données nationale, dont le contenu est publié en ligne dans un standard ouvert aisément réutilisable » – conformément aux principes de l’Open Data. Un décret publié en mai dernier fixe d'ailleurs l’entrée en vigueur de ces dispositions au 1er septembre prochain.
D’autres ordonnances en lien avec le numérique
Les ordonnances qui seront présentées en fin de semaine par Muriel Pénicaud sont enfin censées s’intéresser à d’autres sujets habituellement traités dans nos colonnes, comme le télétravail et « le droit d’expression des salariés, notamment par le développement du recours aux outils numériques ». Nous aurons l’occasion d’y revenir.