La commission d’accès aux documents administratifs (CADA) a donné un avis favorable - avec réserves - à notre demande de communication d’un rapport de l’Inspection générale des finances jalousement gardé par le ministère de la Culture. Il concerne la question des frais d’indemnisation des fournisseurs d’accès à Internet.
Toutes proportions gardées, le 23 mars 2017 est une date historique dans l’écosystème de la Hadopi. Ce jour, le gouvernement a enfin daigné publier le décret relatif à l’indemnisation des FAI. Un texte attendu depuis près de huit ans.
Jusqu’alors, les géants de l’accès à Internet, Free, Bouygues, Orange, Numéricâble et SFR, travaillaient pour ainsi dire gratuitement : ils devaient identifier les abonnés derrière les adresses IP envoyées chaque jour par la Hadopi, sans pouvoir prétendre à une quelconque compensation pour ce travail imposé par la loi. Un déséquilibre aux antipodes de ce qu’avait prévu le législateur en 2009 et qui avait suscité devant le Conseil d’État une action de Bouygues et Free.
On pourra relire notre actualité sur le tarif finalement adopté, mais on retiendra surtout que ce barème a été établi suite à un précieux rapport réalisé en amont par l’Inspection générale des finances.
Un précieux rapport de l'IGF
Ce document avait été mentionné au détour d’un avis de l’Arcep portant sur le décret « indemnisation ». Immédiatement, nous avions demandé à l’IGF mais également au commanditaire du document, le ministère de la Culture, communication de cette pièce. Après des semaines d’attente, la Rue de Valois nous avait finalement transmis un document d’une quinzaine de pages, présentation et annexes non comprises. Bien loin de la soixantaine de pages qui garnissait le document complet, selon nos informations.
Nous avons donc saisi la Commission d’accès aux documents administratifs en avril 2017. Voilà quelques jours, celles-ci nous a fait connaître son avis sur le caractère public ou non de ce rapport de l’IGF.
Silence du ministère de la Culture, réticence de l'IGF
Avant de rédiger ses avis, la CADA a pris soin de contacter les deux entités réticentes. Manque de chance, le ministère de la Culture et de la Communication n’a pas souhaité répondre à ses sollicitations. L’Inspection générale des finances a, elle, été plus bavarde, en témoigne ce passage extrait de l’avis qui nous a été adressé : « Le chef du service de l'IGF a informé la commission que le rapport sollicité contenait des données de coûts des différents opérateurs, tels que les coûts d’investissement ou les coûts de frais de personnel et de fonctionnement, qui relèvent du secret en matière industrielle et commerciale ainsi que des informations sur l’architecture informatique des différents opérateurs ».
En clair, des éléments sensibles qui ne peuvent, selon l’IGF, être communiqués au public via la presse. La CADA a suivi l’analyse sur ce point, en s’appuyant sur l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration.
Cet article dresse la liste des documents non « communicables ». Parmi eux, on trouve bien le secret en matière commerciale et industrielle divisé en plusieurs catégories (à savoir le secret des procédés, le secret des informations économiques et financières et le secret des stratégies commerciales ou industrielles). Or, explique la CADA, « les informations relatives à l’architecture informatique des différents fournisseurs d'accès à l'internet et aux coûts encourus évoquées par le chef du service de l'IGF relèvent respectivement des première et deuxième catégories et doivent, partant, faire l'objet d'une occultation avant toute communication du rapport ».
Le taux de déchets dans l'identification des IP
Par une lecture a contrario, tous les autres éléments sont a priori communicables. Justement. Selon nos informations, l’un des éléments recensés par le rapport décrit aussi le taux d’identification des adresses IP, classé par fournisseur d’accès.
Selon le chef de service de l’Inspection, hors de question de divulguer de telles informations. Une telle diffusion en effet « serait susceptible d’avoir un impact sur la situation concurrentielle entre fournisseurs d’accès à internet ». En clair, des abonnés gourmands d’échanges sur P2P pourraient être tentés de changer de crémerie au motif qu'un FAI concurrent ne parvient qu’à identifier qu’un tout petit nombre d’adresses IP.
Un œil attentif sur le Code des relations entre le public et l'administration, la CADA n’a pas partagé cette analyse : de telles informations ne sont « pas couvertes par le secret en matière industrielle et commerciale et (…) leur communication ne saurait dès lors être refusée au seul motif qu'elle aurait un impact en termes de concurrence sur le marché des fournisseurs d'accès à Internet », explique-t-elle sans détour dans son avis. Dit autrement, le taux de déchet dans l’identification des IP classé par fournisseur d’accès n’entre pas dans le périmètre des secrets de l’article L311-6.
Au final, la CADA a émis « sous ces réserves, un avis favorable » à notre demande de communication. IGF et ministère de la Culture doivent donc nous transmettre l’intégralité du rapport, en prenant soin d’occulter les seuls secrets commerciaux et industriels, mais pas les autres données qui doivent être librement accessibles. Nous allons poursuivre notre demande de communication, sachant que les dernières résistances seront tranchées au besoin par le Conseil d’État.
L'avis visant le ministère de la Culture, celui visant l'IGF