Face à Waymo (Google), l'ex-PDG d'Uber nie son implication dans le vol de documents

Face à Waymo (Google), l’ex-PDG d’Uber nie son implication dans le vol de documents

« Je lui ai dit que c'était totalement con »

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Kevin Hottot

Publié dans

Droit

08/08/2017 7 minutes
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Face à Waymo (Google), l'ex-PDG d'Uber nie son implication dans le vol de documents

Uber a rendu publique une copie de la retranscription de la longue audition à laquelle son ex-PDG, Travis Kalanick, a été soumis la semaine dernière dans le cadre de la procédure lancée par Waymo. L'ancien dirigeant s'y étale largement sur de nombreux détails. 

Fin février, Waymo, la filiale d'Alphabet ayant pris le relai en 2016 des efforts de Google en matière de véhicules autonomes, a déposé plainte devant un tribunal de San Francisco. Sa cible : Uber, et plus particulièrement un de ses employés, Anthony Levandowski, un ingénieur ayant travaillé chez Google avant de rejoindre une autre entreprise, Otto, spécialisée dans la conception de poids-lourds autonomes. Cette société, Uber la rachètera quelques mois plus tard pour 680 millions de dollars, faisant de Levandowski le responsable de sa division véhicules autonomes.

14 000 documents et un paquet de millions

Selon Waymo, l'ingénieur serait parti de ses locaux avec plusieurs disques, contenant au total 9,7 Go de données confidentielles, dont environ 14 000 documents de conception. Un butin précieux renfermant des informations cruciales sur le  système Lidar (laser detection and ranging).

Pour rappel, c'était un fournisseur de composants de Waymo qui avait soulevé le lièvre, en envoyant un mail à l'entreprise pour lui faire part de très nombreuses similitudes entre une carte électronique signée Otto et une des siennes. Le fournisseur précisait même que certaines caractéristiques « uniques » semblaient également avoir été copiées.

Dans le cadre de la procédure, Travis Kalanick, alors PDG d'Uber au moment des faits, a dû répondre la semaine dernière aux questions des avocats de Waymo pendant six longues heures. La retranscription quasi intégrale de l'entretien (à quelques pages caviardées près), a été rendue publique par les avocats d'Uber. Un document de plus de 320 pages, que nous avons pris le temps de consulter et de résumer.

Uber Waymo Travis Kalanick Audition

La décontraction de Travis Kalanick

Si l'on se fie à la retranscription, Travis Kalanick apparaissait relativement détendu, n'hésitant pas à plaisanter afin d'essayer de détendre l'atmosphère. Interrogé par l'avocat de Waymo sur le système utilisé par son assistant pour gérer ses rendez-vous, il a répondu « Ça s'appelle Google Calendar, je suis certain que ça devrait faire plaisir à votre client ».

De même, un des passages où une conversation téléphonique entre Larry Page et Kalanick est évoqué, mérite d'être mentionné. 

« - De quoi vous vouliez lui parler ?
- Je voulais lui parler de voitures volantes.
- Vraiment ?
- Comment aurais-je pu oublier ça ? »

À la fin d'une pause prise après les deux premières heures d'audition, le dirigeant n'avait rien perdu de sa décontraction. Cette fois-ci l'avocat de Waymo lui avait demandé s'il s'est entretenu avec ses avocats pendant la coupure, ce à quoi il a répondu : « Non, je regardais des vidéos sur YouTube ».  L'histoire ne dit pas lesquelles. 

L'acquisition d'Otto, 680 millions pour 25 personnes

Le reste de l'entretien était plutôt studieux. L'un des principaux sujets concernait l'acquisition d'Otto par Uber en août 2016, pour un montant estimé à 680 millions d'euros. Otto n'était alors qu'une start-up comptant environ 25 employés. Pour justifier cette acquisition, Tralanick a défendu le principe d'« acqui-hire » qui consiste à dire que le meilleur moyen d'acquérir de jeunes ingénieurs talentueux reste de racheter l'entreprise pour laquelle ils travaillent. Et justement, les ingénieurs spécialisés dans les véhicules autonomes sont une denrée rare et chère dans la Silicon Valley. 

« J'aurais adoré le recruter pour 100 000 dollars par an, ça aurait été génial, et de recruter un tas de merveilleux ingénieurs aussi, mais ça marche dans les deux sens hein ? De l'autre côté, ils doivent être enthousiasmés par ce qu'ils vont faire. Vous savez, ils doivent se sentir valorisés à leur juste valeur. Vous savez, ce que je comprend, c'est qu'un tas d'employés de Google reçoit d'énormes bonus. Donc on a davantage de difficultés à recruter dans une situation pareille », disserte Kalanick. Une allusion non dissimulée au bonus de 120 millions de dollars que Levandowsky a touché lors de son passage chez Google.

Les avocats de Waymo ont brandi un e-mail signé d'Emil Michael, un des principaux lieutenants de Kalanick, dans lequel il affirme que « [montant caviardé]... Mais c'est BEAUCOUP d'argent pour 25 personnes ». Réponse de l'intéressé : « je pense que ça dépend fortement de la manière dont cette compensation est structurée », et le prix serait en ligne avec ceux pratiqués dans cette industrie. 

Le cas Levandowski 

Les discussions préliminaires à l'embauche d'Anthony Levandowski ont elles aussi occupé une bonne partie des 329 pages de la retranscription. Assez rapidement, Travis Kalanick déclare que l'ingénieur lui a évoqué directement en mars 2016, lors de discussions préliminaires en vue du rachat d'Otto qu'il possédait des données appartenant à Google. 

« Je lui ai dit, dans les grandes lignes, que nous devions nous assurer que ce contenu n'arrive pas chez Uber, et qu'il aura besoin de parler avec des avocats pour trouver un moyen de s'assurer que ça sera fait proprement », rétorque Kalanick. « Je ne me souviens pas exactement quand ont eu lieu d'autres conversations sur ce point mais j'étais très sérieux avec lui quand je lui disais que ces fichiers ne devaient jamais arriver chez Uber [...] Il était très clair pour moi que rien de ce qu'il avait téléchargé ne devait arriver chez Uber, d'aucune manière ». 

Autre point épineux pour Uber, le temps mis par l'entreprise avant de licencier Anthony Levandowski, alors qu'il était sous un feu nourri de critiques et d'accusations. « Quand ce genre d'accusation arrive, vous avez besoin de vérifier deux ou trois fois que tout est en ordre », se défend l'ancien dirigeant. « Chez Uber, nous voyons un certain nombre d'accusations et de plaintes, nous prenons toujours cela très au sérieux. Nous regardons, nous enquêtons, nous allons au fond des choses et ensuite, nous prenons des décisions ».

Un peu plus loin, le responsable confirme qu'à la suite de l'arrivée de la plainte, Levandowski a reconnu avoir téléchargé des fichiers depuis chez lui afin de pouvoir travailler dessus. Il confirme également ne pas avoir infligé sur le coup de sanction disciplinaire à son ingénieur, évoquant encore la nécessité d'aller au bout des choses. 

Le souhait du dirigent était que son ingénieur témoigne et reconnaisse ses torts. Pendant un temps, Levandowski « semblait d'accord », avant de replier sa défense sur le cinquième amendement de la constitution américaine, selon lequel « nul ne pourra, dans une affaire criminelle, être obligé de témoigner contre lui-même ». Des errements qui justifieraient le délai de plusieurs mois entre l'arrivée de la plainte, et le licenciement effectif de l'ingénieur. 

Un vol pour convaincre Google

Selon l'ex-PDG d'Uber, pour justifier le vol des documents, Levandowski a affirmé qu'il en avait besoin pour montrer à Google qu'il devait bel et bien toucher son fameux bonus de 120 millions de dollars. 

« Il pensait que Google allait le flouer et qu'il voulait récupérer le travail fait afin de pouvoir montrer qu'il méritait ce bonus ». Réplique de l'avocat de Waymo : « Pourquoi cela aurait-il du sens pour un employé de voler des fichiers dans le but de montrer qu'il a droit à un bonus ? ». « Je n'ai jamais dit que ce qu'il a fait était intelligent », retorque sèchement Kalanick.

Waymo demandera ensuite si Travis Kalanick a répondu à son employé en lui expliquant que tout ceci n'avait aucun sens. « J'ai insulté son intelligence », répondra le dirigeant. « Je lui ai dit que c'était totalement con », ce qui au bout du compte est peut-être un bon résumé de l'ensemble de cette affaire.

Écrit par Kevin Hottot

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

14 000 documents et un paquet de millions

La décontraction de Travis Kalanick

L'acquisition d'Otto, 680 millions pour 25 personnes

Le cas Levandowski 

Un vol pour convaincre Google

Commentaires (9)


il témoignait sous coke ou il est con ?


J’avoue avoir du mal à comprendre comment le travail d’une personne, dans le cadre d’un travail d’équipe, qui plus est payée pour ce travail avec un salaire, peut valoir 120 millions de dollars de bonus.



J’ai aussi beaucoup de mal à comprendre comment une entreprise, fondée en janvier 2016, peut valoir 680 millions de dollars, quelque sept ou huit mois plus tard, le tout grâce au travail de quelques dizaines de collaborateurs.



Oh, et enfin, j’ai encore plus de mal à comprendre comment une entreprise lancée en janvier 2016 peut envisager de produire une solution permettant de conduire des camions autonomes dès début 2017 rien que sur son propre travail.



Je me sens dépassé. Ne comprenant plus rien.








darkbeast a écrit :



il témoignait sous coke ou il est con ?







Au contraire, c’est bien joué de dire “il a fait XXX mais c’était pas dans la volonté de nuire.”







Sans intérêt a écrit :



J’avoue avoir du mal à comprendre comment le travail d’une personne, dans le cadre d’un travail d’équipe, qui plus est payée pour ce travail avec un salaire, peut valoir 120 millions de dollars de bonus.







Si pour être leader sur un marché de 500 milliards tu as besoin de vite trouver une solution technique, c’est pas cher payé de promettre une prime de 120 millions.









Sans intérêt a écrit :



Je me sens dépassé. Ne comprenant plus rien.





C’est dit dans l’article, ce sont des gens talentueux ! :-)









Sans intérêt a écrit :



J’avoue avoir du mal à comprendre comment le travail d’une personne, dans le cadre d’un travail d’équipe, qui plus est payée pour ce travail avec un salaire, peut valoir 120 millions de dollars de bonus.



J’ai aussi beaucoup de mal à comprendre comment une entreprise, fondée en janvier 2016, peut valoir 680 millions de dollars, quelque sept ou huit mois plus tard, le tout grâce au travail de quelques dizaines de collaborateurs.



Oh, et enfin, j’ai encore plus de mal à comprendre comment une entreprise lancée en janvier 2016 peut envisager de produire une solution permettant de conduire des camions autonomes dès début 2017 rien que sur son propre travail.



Je me sens dépassé. Ne comprenant plus rien.







Bah c’est les anglais et ricains ça.



J’ai lu dans un hors série de la tribune qu’en France on est plus prudent sur les investissement sur les start-up mais qu’en contrepartie plus de 80% des investissements ont tenu la route (la start-up n’a pas coulé).

Les anglais et américains, je ne sais même pas si c’est 50%….



Après c’est des choix sociétaux…









A-snowboard a écrit :



Bah c’est les anglais et ricains ça.



J’ai lu dans un hors série de la tribune qu’en France on est plus prudent sur les investissement sur les start-up mais qu’en contrepartie plus de 80% des investissements ont tenu la route (la start-up n’a pas coulé).

Les anglais et américains, je ne sais même pas si c’est 50%….



Après c’est des choix sociétaux…







On dirait que ces choix sociétaux reposent beaucoup sur la spéculation. Et des choix sociétaux que les Etats-Unis imposent de fait au monde entier. Car ce profil de spéculateur n’a-t-il pas engendré les crises financières mondiales des années 1929 et de 2007 ?



Autant la libre entreprise est indispensable à une économie saine, autant ici, les centaines de millions de dollars semblent bel et bien correspondre non pas au travail d’“ingénieurs talentueux” rémunéré à sa juste valeur, mais à un siphonnage, puis recel de propriété intellectuelle et de secrets industriels d’un concurrent leader dans son domaine (encore balbutiant).



Boarf, ils sont quelques dizaines dans le monde à maitriser des technologies qui vont rapporter des centaines de milliards à coup sur (renouvellement complet du parc routier mondial, au moins des pays “riches”), du coup les prix s’envolent, ça n’a rien de spéculatif.

Après le type à partir du moment où il passe à la concurrence, documents ou pas, son savoir passe à la concurrence… là il est juste totalement “maladroit” dans sa façon de faire mais recruter un lead engenieer c’est dans tous les cas “siphonner de la propriété intellectuelle”.



Pour ce qui est des crises de 1929 et de 2007 elle ne sont pas liées à la spéculation, en 1929 elles sont liées au marché non régulé qui ne fonctionne pas quand la croissance mondiale est en panne et en 2008 la crise est liée aux injections massives de liquidités par les banques centrales qui ont crée des bulles financières et à des régulations douteuses. Ces bulles auraient existé, spéculation ou pas, tellement il y a des flots de pognon qui se déversent en permanence et d’autres sont d’ailleurs en train de gonfler dans d’autres domaines que l’immobilier américain parce que les politiques n’ont pas changé.








yvan a écrit :



 en 2008 la crise est liée aux injections massives de liquidités par les banques centrales qui ont crée des bulles financières et à des régulations douteuses. Ces bulles auraient existé, spéculation ou pas, tellement il y a des flots de pognon qui se déversent en permanence et d’autres sont d’ailleurs en train de gonfler dans d’autres domaines que l’immobilier américain parce que les politiques n’ont pas changé.





Elle est pas mal celle là : 2008 c’est la faute des banques centrales et surtout pas la faute de Subprime. Surprenant comme inversion de la faute.



Quand les états poussent les banques à faire des crédits avec du financement facile sauf à être de totale mauvaise foi oui les banques font des prêts ce qui est leur métier, dans les conditions prévues par la loi ce qui est leur cadre. Et si les banques centrales jouent trop à la magie de l’helicopter money oui à un moment les prêts deviennent trop risqués et ça casse et c’est la faute des régulateurs qui dérégulent. Les banques elles s’inscrivent en tant qu’intermédiaire, certes puissants mais intermédiaires quand même.

Et les banques fautives ont d’ailleurs fait faillite, donc ont payé.

Et ce sont les états qui ont garanti les autres de la faillite avec nos impôts faisant d’un pb de banquiers un pb de société.



Ce n’est pas comme si les banques faisaient tout ce qu’elles voulaient en la matière. Ce sont les états qui régulent les niveaux de garanties en fonds propres, les conditions de financement des banques, les conditions légales d’attribution de prêts, d’hypothèques etc. via les banques centrales et la loi.



Ce ne sont pas les banques qui ont choisi de désindexer la monnaie de l’or pour soutenir la croissance via la dette.

Ce ne sont pas les banques qui ont inventé les régulations Keynesiennes et la relance par la croissance sur fonds publics.



Donc oui ce sont les états qui font de la merde sur le sujet, sachant que c’est avec notre argent qu’ils le font ça n’a pas l’air d’être trop un problème… et étonnamment les niveaux d’endettement explosent depuis les années 70 et la fin de bretton woods, oui étonnamment. Mais il y a une idéologie qui s’appelle le capitalisme, dont on sait qu’elle ne marche pas en l’absence de croissance mais qu’il faut protéger à tout prix visiblement, même au prix de l’endettement infini de gamins pas encore nés.