Dans un manifeste, un ingénieur de Google déclarait que des différences biologiques contribueraient à la faible représentation des femmes dans le secteur technologique. L'entreprise l'a licencié quelques jours plus tard, après une réponse publique. La polémique a grandi au point d'impliquer le PDG Sundar Pichai.
Un ingénieur a été remercié par Google après avoir diffusé un manifeste sur « la bulle idéologique » de l'entreprise. Sur dix pages, James Damore affirme que l'exclusion des femmes du secteur technologique ne tiendrait pas qu'au sexisme, mais aussi à des différences « objectives » entre les deux sexes. Contacté par Bloomberg, il confirme son licenciement, qu'il attribue directement à ce texte, affirmant explorer les recours légaux possibles.
Le manifeste a été relayé au sein de l'entreprise, avant d'être publié le 5 août par Gizmodo. Il aurait causé une vaste polémique parmi les employés, dont certains ont demandé publiquement son renvoi. Dans un secteur où le manque de diversité est un problème de plus en plus prégnant, l'écrit serait un symbole supplémentaire de l'ambiance de ces sociétés, accusées de tolérer la discrimination au quotidien.
Selon ses statistiques, Google compte aujourd'hui 69 % d'hommes et 56 % de personnes blanches, avec l'objectif officiel d'amener plus de diversité. La question est sensible pour le groupe, dont le PDG Sundar Pichai a publié un message interne condamnant le texte de James Damore. Pour lui, « des portions violent notre code de conduite et franchissent la ligne rouge en diffusant des stéréotypes de genre dangereux dans notre lieu de travail ».
Des initiatives pro-diversité vues comme malvenues
Le manifeste de James Damore a pour but de dénoncer un « biais de gauche » et une « monoculture » que perçoit son auteur dans l'entreprise, qui empêcheraient les voix dissonantes de s'exprimer, de peur de représailles ou de licenciement. Plus largement, la diversité serait considérée comme plus importante que l'avancée technologique, ce qu'il voit d'un mauvais œil.
S'il reconnaît l'existence de sexisme, il questionne les initiatives de l'entreprise pour favoriser l'embauche de minorités dans la société, en premier lieu de femmes. Une liste de diffusion interne, nommée « Yes, at Google », liste depuis un an les comportements déplacés, voire le harcèlement, que subissent certains employés, notamment à la tête du groupe.
Pour Damore, au-delà de la discrimination, les différences d'accès aux métiers de la « tech » entre hommes et femmes tiendraient à des différences biologiques « objectives », prouvées scientifiquement. Les femmes seraient ainsi plus intéressées par les émotions et les gens que par les « choses ». Elles auraient plus de mal à négocier leur salaire, avec une propension moindre au carriérisme que les hommes, estime l'ingénieur. Le nier serait faire preuve de biais.
Damore propose ses solutions, notamment d'insister sur la collaboration plus que la compétition dans le développement des produits, réduire l'investissement en temps des postes hauts placés ou encore déconstruire les rôles masculins. Ce discours, pourtant, encouragerait bien les stéréotypes selon d'autres employés.
Épreuve du feu sur l'inclusion
La publication du manifeste a forcé Google à réagir. Danielle Brown, la nouvelle vice-présidente en charge de la diversité, de l'intégrité et de la gouvernance, a répondu au texte controversé. Elle évoque la difficulté de changer la culture d'un tel groupe, et félicite son employeur du nombre de plateformes internes sur lesquelles les salariés peuvent s'exprimer.
Pourtant, « comme beaucoup d'entre vous, j'ai trouvé qu'il avançait beaucoup de suppositions erronées sur le genre », écrit-elle. « Construire un environnement ouvert et inclusif consiste aussi à encourager une culture où ceux qui pensent différemment (y compris politiquement) se sentent en sécurité pour les partager. Mais ce discours doit fonctionner avec les principes d'égalité dans l'emploi de notre code de conduite et dans les lois anti-discrimination » pointe la responsable.
Si un lien entre le texte et le licenciement de son auteur peut être établi, ce serait par la violation du code de conduite de la société, cette dernière n'ayant pas encore confirmé que c'est bien le cas.
Google sous le coup d'une enquête
La question de la diversité au sein du groupe ne se limite pas qu'aux conditions de travail ou au nombre d'employés. Le ministère du Travail américain enquête sur un écart de rémunération entre hommes et femmes, déclaré systémique. L'administration a réclamé les fiches de salaire complètes de 21 000 employés. La demande a été rejetée par un juge administratif à la mi-juillet, arguant des risques importants en termes de vie privée pour les salariés, notamment en cas de fuite.
Le débat autour du manifeste contribue aussi aux larges tensions sur la discrimination dans le secteur technologique. L'inclusion des minorités est devenue l'un des principaux points de critique de la Silicon Valley. Un des cas les plus visibles est celui d'Uber, où 20 employés ont été remerciés début juin, après une vaste enquête sur plus de 200 plaintes, entre autres pour harcèlement sexuel. Un directeur a aussi été licencié pour avoir diffusé le dossier médical d'une cliente victime de viol. L'entreprise cherche actuellement un remplaçant au cofondateur Travis Kalanick, remercié en juin pour une série de scandales le concernant.
En parallèle, ces sociétés insistent elles-mêmes sur leur responsabilité sociale, pour appuyer leur légitimité politique, donc leurs revendications auprès des pouvoirs publics. Facebook se voit comme la future infrastructure sociale de l'humanité, quand Microsoft pense que les géants du Net doivent défendre les données des internautes contre les États, rappelant souvent le rôle important de la diversité pour atteindre ces buts.