Bon anniversaire (légèrement en avance) ! Cela fait cinq ans que le rover Curiosity arpente le désert martien, tenant ainsi compagnie à Opportunity en place depuis 13 ans. Les retombées scientifiques (et médiatiques) de cette mission sont importantes. Pendant ce temps, la conquête de la planète rouge par l'Homme prend régulièrement du retard.
Le 26 novembre 2011, une fusée Atlas V d’United Launch Alliance (ULA) décollait de Cape Canaveral avec à son bord la mission Mars Science Laboratory de la NASA. Un de ses objectifs était de tenter de répondre à une délicate question : la planète rouge a-t-elle abrité la vie ?
Bon anniversaire Curiosity !
Le 6 août 2012, le rover Curiosity arrivait à destination et se posait sur Mars. Depuis, il sillonne les environs en analysant les roches et le sol. Il fête donc ce week-end son cinquième anniversaire sur place, largement plus que la durée de vie initialement prévue car elle n'était que de 22 mois (une année martienne environ).
Cet anniversaire est l’occasion d’une petite rétrospective sur les cinq dernières années, mais aussi d’évoquer le futur : une mission habitée vers la planète rouge, un serpent de mer vieux de 50 ans. Un des autres objectifs de Curiosity était d’ailleurs de préparer ce genre de mission. Mis en avant dans certains films de science-fiction, les programmes sont malheureusement régulièrement repoussés...
Explorer Mars, une aventure qui a débuté il y a près de 60 ans
L’exploration de Mars n’est pas récente, loin de là. Les premières missions remontent aux années... 1960 avec les sondes Mariner de la NASA. En 1971, les Soviétiques atteignent pour la première fois le sol de la planète rouge avec Mars 2 (elle s'est écrasée). La même année, Mars 3 parvient à se poser en douceur, mais cesse d’émettre au bout de 20 secondes. Qu'importe, l'Homme avait déposé délicatement une sonde sur Mars.
En 1976, le programme Viking prélève et analyse pour la première fois des échantillons du sol de la planète rouge, c’était donc il y a plus de quarante ans. Vingt ans plus tard, en 1997, Pathfinder arrive sur place et libère le petit rover Sojourner, le premier à rouler sur la surface de Mars... mais sur une centaine de mètres seulement.
Changement de braquet en 2004 avec Spirit et Opportunity (toujours en activité)
Il faudra attendre début 2004 et l’arrivée des rovers Spirit et Opportunity (mission Mars Exploration Rover) pour que les distances augmentent. Si le premier est abandonné depuis 2010 avec 7,7 km au compteur, le second est toujours en activité au bout de 13 ans et a parcouru près de 45 km, soit plus qu’un marathon (une étape symbolique). À titre de comparaison, Curiosity est encore loin d’égaler Opportunity avec seulement 17 km.
De gauche à droite : les routes de Spirit, Opportunity et Curiosity
L’année dernière, l’Agence spatiale européenne a tenté de poser un rover à la surface de Mars : Schiaparelli... avec le résultat que l’on connait : il s'est écrasé sur le sol, probablement à plus de 300 km/h. Il pensait en effet avoir atterri alors qu’il était encore à 3,7 km d’altitude.
Le rover avait décidé de détacher son parachute, de se séparer de carénage et d’actionner très brièvement les fusées avant de plonger à pleine vitesse vers le sol, paix à son âme. Peu de temps après, Mars Reconnaissance Orbiter (MRO) prenait une photo du site avec la trace laissé au sol par Schiaparelli.
Curiosity se pose au sol en douceur grâce à... une grue aéroportée
Mais revenons à nos moutons et plus précisément à Curiosity. Les premières études ont débuté en 2004, quelques mois après l’arrivée des deux rovers de la mission Mars Exploration Rover. La suite nous la connaissons : décollage en 2011 et atterrissage après un voyage dans l’espace de neuf mois.
Et quel atterrissage ! Il met en effet en œuvre un portique volant et des rétropropulseurs. À cause de la taille et du poids du rover (près de 900 kg), la méthode utilisée précédemment avec des airbags était interdite sur cette mission. Comme prévu, il se posa dans le cratère de Gale.
Bref, Curiosity est sur place, avec moult vidéos publiées par la NASA pour l’occasion (dont une bloquée brièvement par YouTube à la demande des ayants droit, mais c’est une autre histoire).
Deux mois plus tard, l'Agence spatiale américaine ayant bien compris l’intérêt de s’attirer les faveurs du public et tirant avec facilité les ficelles de la communication depuis le programme Voyager (voir cette actualité), Curiosity effectuait un check-in sur Foursquare.
Les clichés plus spectaculaires les uns que les autres s’enchainent ensuite avec des photos panoramiques et même... un selfie en février 2016 (il s'agit en fait de l'assemblage de plusieurs dizaines de photos) :

La France impliquée dans la conception et l’exploitation de Curiosity
Pour mener à bien ses expériences scientifiques, Curiosity dispose d’un bras articulé afin de prélever et analyser des échantillons de sol et de roches. Deux mini laboratoires sont présents pour des analyses in situ : SAM (Sample Analysis at Mars) et CHEMIN (Chemistry & Mineralogy). Huit autres instruments scientifiques complètent l’ensemble : APX, CHEMIN, DAN, MAHLI, MARDI, MASTCAM, RAD et REM. Poids total des instruments scientifiques : 75 kg (5 kg pour Opportunity).
- Accéder à la liste détaillée des instruments scientifiques de Curiosity (et leur fonction)
Par l’intermédiaire du CNES, la France a d’ailleurs contribué à ce projet, notamment sur les instruments SAM et ChemCam. Deux centres sont principalement concernés : LATMOS (Laboratoire Atmosphères, Milieux, Observations Spatiales, Paris-Guyancourt) et l’IRAP (Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie, Toulouse).
Les deux missions avec des rovers que sont Mars Science Laboratory (Curiosity) et Mars Exploration Rovers (Spirit et Opportunity) sont bien différentes. Comme nous pouvons le constater sur le tableau ci-dessous, les rovers ne jouent pas du tout dans la même court :
Curiosity permet de confirmer que « Mars était une planète habitable dans le passé »
Sylvestre Maurice, astrophysicien à l’IRAP et co-responsable du développement de ChemCam, revient sur les cinq dernières années avec nos confrères de LaCroix. Il explique que l’élément principal est « la confirmation que Mars était une planète habitable dans le passé. Il y a trois milliards d’années, son atmosphère était plus dense qu’aujourd’hui et l’eau douce liquide coulait à sa surface, une situation propice à des formes de vie simples ».
Jusqu’à présent, seule la Terre était habitable, mais en trouver une seconde (et faire des mesures sur place) enlève cette singularité à notre planète bleue. Cette avancée « ouvre des perspectives plus statistiques : sur les milliards de milliards de planètes qui existent, on peut imaginer que d’autres sont aussi habitables ».
La présence d'eau a été confirmée par un autre fait marquant, au début de l’année cette fois-ci. Nathan Stein, un des chercheurs de l’équipe Curiosity, annonce avoir découvert de possibles traces de boues sur Mars, grâce à des clichés pris par Curiosity. Il s’agirait des « premières fissures de boue - techniquement appelées fissures de dessiccation - confirmées par la mission Curiosity ».
Des signes d’usures sur les roues... mais pas de quoi s’inquiéter pour le moment
Même si Curiosity continue de rouler sur Mars, son état de santé se dégrade, c'est logique. Fin 2013, un an et demi après son arrivée sur site, la NASA avait déjà identifié des déformations sur les roues du rover : des trous, des bosses et des déchirures sur ses « jantes » en aluminium.
Au mois de mars dernier, elle publiait une photo des roues de Curiosity (prise grâce à son mode Selfie depuis son bras télescopique). Elle montre des signes d’usures sur les bandes de roulement – appelées « grousers » servant de crampons – de la roue du milieu sur le flanc gauche.
Selon la NASA, une fois que trois grousers sont cassés, la roue est usée à 60 %. Sylvestre Maurice est également optimiste : « pour l’instant, on peut encore parcourir cinq ou six kilomètres compte tenu de l’état des roues, ce qui est amplement suffisant pour les données recherchées ».
Quelques chiffres et un récapitulatif en images
Quoi qu'il en soit, en l'espace de cinq ans la moisson de Curiosity est d'ores et déjà bonne avec 17 km parcourus, 200 000 images envoyées et 15 forages dans divers échantillons de roches :
Il reste encore de nombreuses questions à propos de la planète Mars
Il reste encore bien des choses à découvrir à propos de Mars. Une des grandes questions en suspens est de savoir si la vie a pu s’y développer à un moment donné (même il y a plusieurs millions/milliards d’années). En effet, réunir toutes les conditions n'est pas la même chose que trouver des traces d'une vie passée.
Ramener des échantillons sur Terre permettrait de les analyser avec des instruments bien plus performants (et d’en garder une partie pour plus tard, lorsque nous aurons éventuellement des machines encore plus puissantes). Sylvestre Maurice ajoute qu'il faudrait également réussir à comprendre pourquoi son atmosphère et son champ magnétique ont quasiment disparu.
Des missions habitées annoncées, mais régulièrement repoussées
Alors que les rovers sillonnent la planète rouge depuis plus de 10 ans, aucun être humain n'a pour le moment foulé la surface de la planète rouge. Pourtant les promesses de programmes habités ne manquent pas...
En 1969, un an après avoir posé le pied sur la Lune, des ingénieurs de la NASA imaginaient déjà envoyer un homme sur Mars en... 1984, comme le rapporte le CNRS. « Dans l’euphorie consécutive au premier pas de l’homme sur la Lune, Wernher von Braun, créateur de la fusée lunaire Saturne V a proposé au président américain Nixon un plan pour déposer des hommes sur Mars en 1982. À la place, Nixon a ordonné à la Nasa de construire la navette spatiale (du type de Discovery) » ajoute le National Géographic.
Les George Bush (père et fils) ont fait part de leur intention d'envoyer des hommes sur Mars durant leur mandat en tant que président des États-Unis, sans concrétisation. Changement de ton avec Barack Obama. Il ne veut pas continuer cette course et stoppe également le programme Constellation censé ramener des hommes sur la Lune et lancé par Bush (fils). Le vaisseau Orion continue par contre son développement avec la promesse de faire voyager des hommes dans l'espace.
Donal Trump relance l'idée, mais sans mettre de pièce dans la machine
De son côté, Donald Trump à une vision assez particulière. « Je crois que nous voulons le faire pendant mon premier mandat, ou au pire pendant mon second. Alors je crois qu'il va falloir que nous accélérions un peu ça » annonçait-il d'un côté, en réduisant le budget de la NASA de l'autre.
Au mois de juillet, l'agence spatiale américaine indiquait d'ailleurs qu'elle n'avait pas les moyens d'envoyer des hommes sur Mars. Comme le rapporte la Cité de l'espace, William H. Gerstenmaier, responsable des vols spatiaux habités de la NASA, s'était exprimé sur le sujet : « Je ne peux pas fixer de date à laquelle des humains pourront embarquer pour Mars, pour la raison qu’avec le budget actuel [...], nous ne disposons pas des systèmes nécessaires ». Manière détournée d'essayer de grapiller des fonds supplémentaires ou réelle impossibilité ? À voir.
La spécialiste et géographe Isabelle Sourbès-Verger (CNRS) y va de son analyse : « Se poser sur Mars et en revenir sera extrêmement coûteux et suppose le développement de technologies dont on envisage mal les autres applications. Dans le contexte actuel, j’imagine difficilement un politique se lancer dans un programme pareil ».
Elon Musk souffle le chaud et le froid
Lorsque le patron de SpaceX avait dévoilé son ambitieux projet de coloniser Mars en septembre dernier, il annonçait un calendrier très serré. Il prévoyait en effet d'envoyer une capsule Dragon 2 sur Mars en 2018, une date repoussée à 2020 (pour rappel, la fenêtre de tir vers Mars est optimale tous les deux ans environ, quand les planètes sont au plus proche l'une de l'autre).
Problème, l'idée de départ ne fonctionnera finalement pas, comme l'avoue Elon Musk himself. Il était prévu que la capsule Dragon se pose avec des rétrofusées et quatre pieds, mais « la mise au point de ce système poserait plus de difficultés que prévu, ce qui ne permettrait pas à la capsule de se poser en toute sécurité » note la Cité de l'espace.
Le PDG de SpaceX n'abandonne pas la partie pour autant : « L’idée est de faire des atterrissages avec des rétrofusées sur Mars, mais avec un vaisseau beaucoup plus important ». Quant au calendrier, impossible à dire pour le moment.
Une course à la conquête martienne, mais des participants pas trop pressés
Bref, les participants sont toujours en lice pour la course à la victoire, mais chacun se regarde en chiens de faïence en attendant de voir celui qui bougera (pour de vrai) en premier. Elon Musk a tout de même franchi une étape importante lors de la présentation de son programme l'année dernière : « c'est dangereux et des gens vont probablement mourir, mais ils le savent ». Un risque que les politiques sont peu enclins à prendre...
Quoi qu'il en soit, Mars est scruté de près par les scientifiques de tout bord, que ce soit avec des vaisseaux en orbite autour de la planète, ou avec des rovers (deux encore en service). De nouvelles missions sont prévues, notamment avec la mission ExoMars 2020 (initialement prévue pour 2018) validée en fin d'année par l'ESA.