Dans le jeu d’amendements déposés pour l’examen du projet de loi sur la sécurité publique et la lutte contre le terrorisme, la question de la remise des identifiants ne passe vraiment pas chez certains sénateurs, en particulier le rapporteur Michel Mercier (UDI) et le groupe socialiste.
Dans le texte gouvernemental examiné à partir du 18 juillet en séance, des mesures visent la personne à l’égard de laquelle « il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics ».
Dans l’armada des mesures administratives, elle se verra obligée de « déclarer les numéros d'abonnement et identifiants techniques de tout moyen de communication électronique dont elle dispose ou qu'elle utilise, ainsi que tout changement de ces numéros d'abonnement et identifiants ». Une déclaration qui ne concernera pas les mots de passe, prévient in extremis l’article 3 du projet de loi.
Si, pour Gérard Collomb, cette fourniture des identifiants n’a pas pour objectif la surveillance des conversations, d’autres voix sont beaucoup plus critiques.
Nul n’est tenu de participer à sa propre incrimination
Dans une note de 25 pages, le Syndicat de la Magistrature rappelle que l’an passé, le Parlement a rejeté cette obligation « car elle contredit le droit des personnes à ne pas s’incriminer, certes peu explicite en droit français ». Et selon sa grille de lecture, aux antipodes de celle du ministre de l'Intérieur, les données recueillies sont bien « destinées à faciliter le travail de surveillance et, potentiellement, à contourner certaines procédures d’identification en matière d’usage des techniques de renseignement, pour ensuite mettre en œuvre des mesures plus intrusives ».
Le sénateur Michel Mercier se joint aux critiques : « cette mesure porte une forte atteinte aux libertés constitutionnelles : respect de la vie privée, secret des correspondances et droits de la défense ». C'est ce qu'il affirme dans cet amendement en commission.
Il partage également l’analyse selon laquelle « nul n’est tenu de participer à sa propre incrimination ». Surtout, il pointe une absence abyssale : les données collectées par les services de l’Intérieur, sans autorisation préalable du juge judiciaire, ne sont pas encadrées, notamment s’agissant de leur délai de conservation et des conditions de leur utilisation. « Or selon le Conseil constitutionnel, des durées maximales de conservation des données participent du respect des exigences constitutionnelles, en particulier du droit au respect de la vie privée ».
Quand le droit commun devient plus exceptionnel que l’état d’urgence
Au-delà de la Rue de Montpensier, Michel Mercier cite la toute récente jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme concernant l’inscription au fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Pour la CEDH, en effet, la condamnation pénale d’une personne « qui a refusé de se soumettre au prélèvement destiné à l’enregistrement de son profil dans le FNAEG s’analyse en une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique. »
En plus de porter atteinte à plusieurs droits et libertés fondamentaux, l’obligation de déclarer ses identifiants est enfin jugée « non nécessaire » par le même sénateur UDI. Dans le champ de la police administrative, et donc dans une logique préventive, la loi Renseignement contient déjà une armada d’outils parfois très intrusifs si ce n’est massifs, pour collecter de l’identifiant à tour de bras.
Dernière baffe pour la route : « il serait paradoxal d’introduire cette obligation dans le droit commun alors même qu’elle ne peut être exigée des personnes assignées à résidence dans le cadre de l’état d’urgence ».
Au PS, les exégètes amateurs deviennent des observateurs avisés
Le sénateur est rejoint par le groupe PS au Sénat. Celui-ci a également déposé un amendement pour supprimer cette disposition, et même l’ensemble de l’article 3 du projet de loi. Pour motiver cette coupe franche, il considère dans une longue phrase que…
« Le législateur n’a cessé de conférer à l’autorité administrative de nombreux pouvoirs visant à prévenir la commission d’actes de terrorisme au point que des observateurs avisés en sont venus à dénoncer l’inflexion apportée au contenu de la liberté individuelle qui aboutit à retirer du contrôle exclusif du juge judiciaire la protection de la vie privée, le secret des correspondances, l’inviolabilité du domicile et la liberté d’aller et venir, et permet notamment que des perquisitions et saisies ou assignations à résidence soient contrôlées par le juge de l’administration, lorsqu’elle prescrit elle-même ces mesures ».
Petit rappel : si les « observateurs avisés », autrefois qualifiés d’ « exégètes amateurs » par Jean-Jacques Urvoas, avaient tant critiqué cette éviction du judiciaire, c’est en raison de la ribambelle de textes sécuritaires déposés par le précédent gouvernement socialiste.