L’Autorité de la concurrence vient d’infliger 117 millions d’euros à Orange et 65 millions d’euros à SFR pour pratiques anticoncurrentielles sur le marché de la téléphonie mobile. C’est un désaveu cinglant des effets de clubs ou de tribu, ces formules mises en œuvre par les opérateurs et qui permettent d'appeler en illimité uniquement au sein des abonnés de leurs réseaux.
L’affaire va faire grand bruit : saisi par Bouygues Télécom, l'Autorité de la concurrence vient d’infliger au total 183 millions d’euros à France Télécom, Orange France et SFR pour leurs formules d’abonnement permettant aux abonnés d'appeler en illimité les seuls interlocuteurs clients du même réseau.
Pour le gendarme de la concurrence, ces opérateurs ont bien abusé de leur position dominante sur les marchés de leur terminaison d'appel respective. « Attractives de prime abord pour les consommateurs, ces offres ont entravé la dynamique du marché en verrouillant les abonnés et en fragilisant Bouygues Télécom, le plus susceptible d'animer le marché en tant que dernier entrant à l'époque des faits » commente l’Autorité de la concurrence. Dès 2005, Orange et SFR détenaient 83 % du marché de la téléphonie mobile « grand public. »
Les offres d’abondance « On Net » (appels entre abonnés du même opérateur) ont eu un réel succès, d’autant que les « clients qui souhaitaient souscrire ou renouveler leur forfait auprès d'Orange et de SFR n'avaient pas d'autre choix que les offres d'abondance on net entre 2005 et le début de l'année 2008 ». L'effet était mécanique : « elles ont représenté jusqu'à un tiers du chiffre d'affaires des offres grand public pour SFR et jusqu'à plus de 40 % pour Orange».
Effet tribu, marché verrouillé
Pour l’Autorité de la concurrence, Orange et SFR n’ont su trouver les arguments convaincants pour expliquer cette différence de traitement. Au contraire, précise-t-elle, « ces offres ont amplifié l'effet « tribu » et dégradé la fluidité du marché ». Effet tribu car 70 % des consommations d’un abonné sont destinés à ses trois interlocuteurs favoris. Du coup, « une fois les tribus constituées, ces offres ont « verrouillé » durablement les consommateurs auprès de leur opérateur en augmentant significativement les coûts de sortie encourus par les abonnés aux offres illimitées on net comme par leurs proches qui souhaitent souscrire une nouvelle offre auprès d'un opérateur concurrent. »
Et voilà comment Orange et SFR ont découragé le changement d’opérateur, et donc le jeu vertueux de la libre concurrence. Ces offres en tribu ont par ailleurs favorisé les gros opérateurs au détriment des opérateurs plus petits comme Bouygues, tout simplement parce qu’Orange et SFR disposaient du plus grand nombre d’abonné. « De cette façon, en effet, ils maximisaient leur chance de trouver des interlocuteurs abonnés auprès du même opérateur qu'eux et tiraient ainsi davantage parti de l'offre on net ». L’ADLC rappelle à ce titre que Bougues Télécom « s'est par conséquent vu contraint de commercialiser des offres d'abondance « cross net » permettant à ses clients d'appeler leurs interlocuteurs « en illimité », quel que soit leur réseau (lancement de l'offre Néo en 2006) mais au prix d'une forte hausse de ses coûts », le tout en supportant des charges de terminaison d'appel beaucoup plus lourdes.
Orange et SFR contraints d'alerter les abonnés concernés, qui pourront résilier
Au total, l’ADLC inflige 117 419 000 euros à Orange France et France Télécom et 65 708 000 d'euros à SFR. La décision est susceptible de faire l'objet d'un recours devant la cour d'appel de Paris. Pour l’évaluation de la sanction, l’ADLC a tenu compte du fait que Bouygues Télécom a pu se maintenir sur ce marché, ce qui a raboté un peu la sanctione finale. Cependant, à l’encontre d’Orange, ce montant a été majoré de 50 % « due à la réitération, en raison de six infractions au droit de la concurrence similaires déjà commises par l'entreprise au cours des quinze dernières années. »
Derniers détails douloureux pour les deux acteurs : outre une publication dans la presse, l’autorité enjoint Orange France et SFR de prendre toutes les mesures utiles pour nettoyer son marché et de s’abstenir à l’avenir de retenter l’expérience. Mais surtout elle les contraint à porter à la connaissance des abonnés aux offres on net visées par la présente décision qu’ils disposent désormais de la faculté de résilier leur abonnement sans indemnité et à tout moment.