La pression monte pour Canal+, accusé de ne plus rémunérer les auteurs depuis des mois

Tout est une question de vertu
La pression monte pour Canal+, accusé de ne plus rémunérer les auteurs depuis des mois

Mauvaise passe pour Canal+, qui affirme avoir perdu 500 000 abonnés du fait du piratage, malgré les bonnes performances des intégrations aux offres télécoms. De quoi justifier une révision (tant réclamée) de la chronologie des médias, alors que le groupe est assigné en justice par des sociétés d'auteurs pour des paiements qui tardent à venir.

L'été est chaud pour Canal+, pris entre ses baisses de revenus, une concurrence renouvelée et une nouvelle pression publique de sociétés d'auteurs, qui l'accusent d'avoir coupé les rémunérations depuis la fin 2016. Dans un entretien au Journal du dimanche, son président Maxime Saada liste les nombreuses doléances de la filiale de Vivendi.

Les relations sont de plus en plus tendues avec le secteur, comme nous l'explique Mathieu Debusschère de la Société civile des auteurs-réalisateurs producteurs (ARP). L'entreprise est accusée d'avoir coupé la rémunération de ces auteurs depuis le quatrième trimestre 2016, alors qu'elle voudrait revoir les accords signés avec leurs représentants.

Des sociétés d'auteurs s'attaquent à Canal+

Maxime Saada demande un soutien public aux acteurs vertueux, en opposition à Amazon et Netflix, qui menaceraient le financement de la création (notamment via l'optimisation fiscale). Si Canal+ est habituellement légitime sur ce type de position, ce ne serait plus le cas ces derniers mois. « Quand Netflix, Amazon et d'autres viennent, avec un nouveau besoin de réguler, on a besoin d'être en confiance avec les acteurs classiques » nous affirme l'ARP. Pour elle, si les négociations entre le diffuseur et les « auteurs » peuvent être dures, elles ne devraient jamais atteindre les tensions actuelles.

La semaine dernière, plusieurs sociétés de perception des droits d'auteurs ont assigné Canal+ devant le tribunal de grande instance de Paris. La société aurait ainsi cessé ses paiements, pour une ardoise estimée à 50 millions d'euros par Electron Libre, pour 50 000 auteurs lésés. Dans un communiqué diffusé hier, plusieurs de ces sociétés menacent d'interdire la diffusion des œuvres concernées par Canal si la situation devait persister.

« Nous sommes dans le dur du contentieux » note l'ARP, qui dit ne pas avoir eu de contact récent avec Canal à ce sujet. Avant-hier, la société se disait elle-même « profondément choquée » par l'attitude dont le groupe audiovisuel est accusé.  « Canal décide de se comporter de manière complètement hallucinante, commente Mathieu Debusschère, pour qui il s'agit d'une première. C'est un comportement très étonnant, alors même qu'on appelle de nos voeux une réforme de la chronologie des médias » réclamée à cors et à cris par Canal+.

Selon Libération, l'entreprise est en pleine renégociation de certains contrats. Elle souhaite voir le montant de certains fondre de 20 %. La méthode rappelle celle de SFR lors de sa reprise par Altice, avec des prestataires impayés s'ils refusaient de consentir à un important rabais. 

« Des auteurs sont dans une réelle situation de précarité. C'est un rapport de force dont nous ne voulons pas. C'est incompréhensible que Canal décide de cesser les paiements à ceux qui contribuent à son succès » nous affirme encore Mathieu Busschère. « Pour être vertueux il faut respecter ses contrats et assurer la rémunération des auteurs. Actuellement Canal + est tout sauf vertueux » lâchait hier Pascal Rogard, le directeur général de la SACD.

Canal+ reste muet sur le sujet, malgré des demandes de certains médias, dont Télérama. Rappelons que les plateformes du groupe sont labellisées par la Hadopi, avec l'engagement de rémunérer la création. Dans le conflit entre Canal et les sociétés d'auteurs, l'ARP joue le rôle de porte-voix pour ces derniers. Elle envisage de communiquer à nouveau à la rentrée sur le sujet, si le besoin s'en fait sentir.

La chronologie des médias, serpent de mer culturel

Pour le groupe Canal, le combat du moment est celui de la chronologie des médias. En fait, c'est même le sujet qui agite le secteur depuis des années, notamment face à l'arrivée de nouveaux acteurs dans la production audiovisuelle, Amazon et Netflix en tête. Le dernier scandale sur le sujet date de mai, à l'occasion du Festival de Cannes, qui avait sélectionné deux films produits par Netflix, sans sortie en salle française.

La décision était inadmissible pour une partie des distributeurs classiques, qui voient les plateformes de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) comme des pirates, sans respect pour la sacro-sainte chronologie (qui protège les salles) et la fiscalité, que ces entreprises étrangères sont accusées d'esquiver.

Dans tout cela, Canal+ demande à passer le délai de diffusion des films sur ses chaines de dix mois à six mois après leur sortie cinéma. Une demande qui pourrait signer une réduction globale des fenêtres de diffusion (cinéma, TV payante, vidéo à la demande...), déjà explorée par le CNC en février, sans résultat faute d'accord dans une filière où chaque acteur défend avant tout ses propres intérêts.

La dernière demande de Canal est importante, surtout venant de l'un des principaux financeurs du cinéma en France, indispensable à certaines catégories de films, comme le « genre ». Un poids qui rend d'autant plus insupportable le comportement allégué du groupe ces derniers mois pour les sociétés d'auteurs. « On a apprécié que Canal propose quelque chose pour tenir compte des nouveaux usages, dont la SVOD. Tout est une question de registre et d'état d'esprit » commente l'ARP, qui s'alarme d'une « prise en otage » des auteurs.

Objectif 10 millions d'abonnés, le piratage pointé du doigt

Au JDD, Maxime Saada annonce vouloir passer de cinq à dix millions d'abonnés. Alors que l'entreprise peine à attirer par elle-même les clients, malgré de nouvelles offres, elle semble bien aidée par son intégration chez les fournisseurs d'accès. Orange et Free ont ainsi ajouté des bouquets à leurs fixes pour un supplément. Selon Saada, ces accords ont amené trois millions d'abonnés sur les six derniers mois. Une jolie performance qui bénéficie des jeux de TVA que permettent ces alliances.

Canal doit faire face à plus de concurrence, notamment de SFR sur le sport, le cinéma et les séries, avec SFR Play et Sport, dans lesquels Altice mise gros. Le groupe a notamment décroché les droits de la Ligue des champions, pour 370 millions d'euros par saison sur trois ans. Les plateformes de SVOD grignotent aussi le marché de Canal, amenant l'Autorité de la concurrence à assouplir les règles d'acquisitions de contenus du groupe (voir notre analyse).

Mais le problème n'est pas là pour Saada, toujours chez le JDD. Le piratage est encore la cause de tous les maux, malgré les fermetures de Zone Téléchargement et de T411. « La France est championne du monde dans le domaine. La perte pour le seul groupe Canal+ est de 500.000 abonnés ! » insiste le patron de Canal, qui estime avoir perdu 500 000 abonnés en un an au profit de l'offre illicite. En rétorsion, il demande que toutes les personnes repérées soient sanctionnées. La riposte graduée de la Hadopi a de quoi bien se tenir.

La rengaine de Canal sur le piratage a de quoi agacer l'ARP, qui représente les auteurs-réalisateurs et producteurs du cinéma en France... Que la filiale de Vivendi a cessé de payer. Ce double discours « est ahurissant » estime Mathieu Debusschère, qui rappelle que le piratage consiste à profiter d'une œuvre sans en rémunérer les auteurs. « Je ne compare pas Canal+ aux pirates » précise-t-il tout de même, alors que ce financeur du secteur (100 millions d'euros annuels) ferait pression sur le porte-monnaie des membres de l'ARP. 

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