Le 1er juillet, le décret relatif au statut des joueurs professionnels de jeux vidéo est entré en vigueur. Un véritable casse-tête pour les équipes professionnelles qui ne sont pas encore prêtes à s'adapter à ce nouveau règlement, parfois peu clair.
Ce week-end, deux évènements importants se déroulaient pour les équipes françaises de sport électronique. D'abord, l'ESWC Summer, un tournoi organisé par Webedia visant à réunir sur les rives de la Garonne la scène française une dernière fois avant les grandes vacances, ce qui est plutôt sympathique.
Vient ensuite l'entrée en vigueur du décret n°2017-872 « relatif au statut des joueurs professionnels salariés de jeux vidéo compétitifs ». Un sujet un peu moins sexy sur le papier, mais qui anime de nombreuses discussions au sein de la communauté, notamment du côté des responsables d'équipes, qui ne savent pas exactement sur quel pied ils peuvent encore danser.
Le texte prévoit en effet la mise en place d'un statut de joueur professionnel de jeu vidéo, un point que les équipes voient unanimement comme une avancée positive, mais les conditions de son application sont encore trop floues à leurs yeux. Nous avons recueilli les réactions de certaines d'entre elles.
Ce que dit la loi pour une République numérique
Dans la loi 2016-1321 du 7 octobre 2016, il est inscrit que « le joueur professionnel salarié de jeu vidéo compétitif est défini comme toute personne ayant pour activité rémunérée la participation à des compétitions de jeu vidéo dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d'un agrément du ministre chargé du numérique, précisé par voie réglementaire ».
Un joueur rejoignant un club e-sport agréé par le secrétariat d'État au numérique peut ainsi prétendre à un contrat se rapprochant de ceux proposés aux sportifs dans des disciplines traditionnelles, soit un CDD d'un minimum de 12 mois et d'un maximum de 5 ans. Une avancée majeure sur le plan social pour les joueurs professionnels, qui peuvent alors bénéficier d'un accès à la sécurité sociale et cotiser pour leur retraite, ce qui n'est pas nécessairement le cas quand ils optent pour une structure type auto-entrepreneur ou EURL.
Le contrat peut être signé pour une durée plus courte, tant qu'il s'étend au moins jusqu'à la fin de la saison e-sportive en cours, dont les limites sont fixées par un arrêté du secrétaire d'État au numérique, en l'occurrence Mounir Mahjoubi.
Les termes de l'agrément sont eux aussi encadrés par le secrétariat d'État au numérique. Ses contours sont dessinés par les quatre premiers articles du décret n°2017-872, ainsi que ceux du dossier accompagnant la demande d'agrément.
Pour plusieurs équipes, le texte est inapplicable en l'état
« Nous venons tout juste d'apprendre comment déposer notre demande d'agrément de Club e-sportif : une page web officielle vient d'être publiée pour renseigner les clubs et permettre de remplir un formulaire de déclaration. Mais il existe cependant encore quelques points à clarifier », nous confie Stefan Euthine, directeur général de LDLC Event et élu depuis peu président de l'association France eSports. « France eSports échange toujours avec le gouvernement grâce au soutien du service de l'économie numérique de la DGE (Direction Générale des Entreprises) afin de permettre à notre activité de répondre aux contraintes du code du travail dans les meilleures conditions. »

L'équipe liée au revendeur informatique est également inquiète de l'absence de précisions sur certains points du contrat de travail, notamment sur le choix de la convention collective à laquelle s'adosser, la définition de ce qui est du temps de travail ou non. Le rôle même du joueur de jeux vidéo n'a pas non plus été défini avec le ministère du travail.
« On ne sait pas encore si l'on doit dépendre d'une convention collective particulière. Aujourd'hui, notre club fonctionne sur la convention SYNTEC, mais si demain il faut en changer, ce sera compliqué... notre filiale dépend d'un groupe côté en bourse, un changement de convention collective doit passer en conseil d'administration et ça peut nécessiter plusieurs mois de délai, pendant lesquels nous ne nous voyons pas suspendre notre activité » constate son responsable.
Le dossier en lui-même n'est pas le seul hic au programme. « Si on applique la loi comme elle doit être appliquée aujourd'hui, tout le monde coule », résume un cadre d'une autre structure française. En cause, le montant des cotisations salariales et patronales à verser dans le cadre de CDD, qui sont nettement plus élevées que dans le cadre d'une relation d'entreprise à auto-entrepreneur (AE), le mode de fonctionnement aujourd'hui privilégié dans l'e-sport.
« Un joueur qui nous coûte 1 500 euros en AE nous revient à 3 000 euros en CDD », poursuit le responsable. « Alors soit on continue de payer 1 500 euros, il n'en touche que 750 et il s'en va ailleurs en Europe parce qu'on n'est plus assez compétitifs, soit on aligne le double de budget, mais on fait faillite. »
La question du salaire minimum se pose également. « Sur certains petits jeux, le salaire du marché pour un joueur c'est 500 euros par mois... Je ne vais pas pouvoir me permettre de doubler leur salaire d'un coup si l'économie du jeu ne me permet pas de le faire » s'inquiète Nicolas Maurer, directeur général de Vitality.
Quelle fiscalité pour les gains en compétition ?
Dernier point soulevé par Stefan Euthine, celui de la fiscalité des gains en compétition. Aujourd'hui, ce sont les joueurs qui s'inscrivent directement aux compétitions au nom de leur équipe, les gains leur sont donc directement reversés. « Le joueur indépendant déclarait ses gains dans son chiffre d'affaire et sa fiscalité personnelle de façon légale, dans la mesure où la plupart des équipes ne prennent pas de parts sur ces revenus », explique-t-il.

« Maintenant, le statut d'employé implique que ce sont aux clubs de s'inscrire et de toucher ces gains, avant de les reverser sous forme de primes au joueur salarié. Ce qui implique la fiscalité du club, avec ses cotisations patronales et salariales, comme dans le sport. L'ennui, c'est que seuls les clubs français auront l'obligation de passer par ce régime », conclut le président de France eSports.
La crainte d'une distorsion de concurrence en Europe
L'ensemble de ces éléments fait craindre aux équipes françaises une perte de compétitivité par rapport à leurs concurrents étrangers. « Demain, si une équipe étrangère vient recruter un de mes joueurs, même s'il reste vivre et travailler en France, elle ne fera pas face à tous ces obstacles-là » s'inquiète Stefan Euthine.
« Ça reste quand même un signal extrêmement positif pour le long terme, même si ça peut créer des frictions dans l'immédiat », tempère Nicolas Maurer. « La reconnaissance par les pouvoirs publics du statut du joueur c'est indispensable à partir du moment où on ambitionne d'être présent sur un marché mature. Et pour ça, le business doit être clarifié », assure-t-il tout en reconnaissant que la transition pourrait être assez compliquée pour certaines équipes, même s'il n'imagine pas encore ce type de contrat devenir rapidement la norme.
L'un des problèmes pour les équipes françaises est que les joueurs vont avoir tendance à aller là où le salaire leur paraîtra le plus élevé. « Dans le foot on observe déjà ces distorsions de concurrence, les meilleurs joueurs vont à l'étranger où la fiscalité leur est le plus favorable. Dans notre cas, on ne sera clairement pas avantagés pendant un temps mais ça finira par se lisser. À nous d'être plus attractifs sur d'autres points », résume-t-on chez Vitality.