Hier, Emmanuel Macron et Xavier Niel inauguraient dans le 13e arrondissement de Paris Station F, un incubateur devant accueillir un millier de start-ups au sein de la Halle Freyssinet, fraîchement réhabilitée. Un projet pharaonique qui attire déjà le gratin de la Silicon Valley.
Hier soir, le président de la République tenait un discours d'entrepreneur, devant un parterre conquis. En plein Paris s'est donc ouvert Station F, « le plus grand incubateur de start-ups du monde », un événement majeur pour la scène numérique française et un symbole de la « start-up nation » qu'Emmanuel Macron appelle constamment de ses vœux, leur promettant récemment dix milliards d'euros de financement. L'ambiance était à la célébration des futures élites de la nation et à leur responsabilité sociale.
L'événement était éminemment politique, un enjeu qui transpirait dans chaque décision de cette soirée, notamment dans le traitement des journalistes. Placés à un étage réservé, avec une vue plongeante sur les invités et la scène, ils étaient identifiés par des badges édités par la « présidence de la République » et non Station F.
Sur et autour de la scène, Emmanuel Macron, Mounir Mahjoubi (secrétaire d'État au Numérique), Anne Hidalgo (maire de Paris) et Xavier Niel écoutaient Roxanne Varza, la directrice du projet et membre du CNNum. Les discours étaient à peine interrompus par des interventions des élèves de l'école 42, l'autre symbole de la nation numérique offert par Xavier Niel à l'État.
Côté start-ups, l'accueil public était sans surprise enthousiaste, la collation et l'alcool de cette « Big Fat Launch Party » aidant sûrement. C'est pourtant maintenant que tout commence pour elles et l'État, qui s'investit lourdement dans le projet, comme nous l'ont répété de futurs locataires et Mounir Mahjoubi, rencontré pour l'occasion.


Seconde photo, bas : Mounir Mahjoubi, Emmanuel Macron et Roxanne Varza - Crédits : Guénaël Pépin (licence: CC by SA 4.0)
Une halle reconvertie, des start-ups et des cartons
Bâtie à la fin des années 20, la Halle Freyssinet a abrité jusqu'en 2006 les messageries de la gare d'Austerlitz. Depuis 2014, ce bâtiment classé monument historique fait l'objet d'importants travaux de réhabilitation, afin de le transformer en un « temple du numérique », pour reprendre la formule employée alors par Challenges. Ceux-ci devaient initialement prendre fin en avril dernier, mais il aura fallu attendre presque trois mois de plus pour que la bâtisse ouvre ses portes.
Les premières entreprises doivent arriver la semaine prochaine. « Nous avons reçu plus de 2 300 candidatures de plus de 50 pays pour le Founders Program », qui sélectionne les entreprises pouvant s'y installer en premier, affirmait Roxanne Varza. Les États-Unis, le Royaume-Uni et la Chine seraient les pays ayant formulé le plus de demandes. Pour la première vague, un peu moins de 200 projets sélectionnés, dont 40 % fondés par des femmes.
« Oui, nous sommes dans les cartons ! Nous entrons le vendredi 7 juillet, donc on déménagera sûrement sur le week-end » anticipe Yassir Kazar, cofondateur de Yogosha, spécialiste des bug bounties. Au total, 3 000 entrepreneurs doivent franchir le pas de Station F dans les prochains jours, pour participer aux 26 programmes de l'endroit. Un début pour beaucoup, mais aussi l'aboutissement d'un travail de longue haleine.
130 millions d'euros et une idée
Tout a démarré en 2013 lorsqu'un certain Xavier Niel a décidé de s'offrir la bâtisse située dans le 13e arrondissement de Paris. Selon le schéma prévu à l'époque, la Mairie de Paris a d'abord acquis le bien, jadis propriété de la SNCF afin d'effectuer quelques travaux de voirie autour, avant de le céder à un consortium piloté par Niel et la Caisse des dépôts (minoritaire) pour 70 millions d'euros. Les travaux de rénovation eux, se chiffrent à 60 millions supplémentaires, pour un total de 130 millions d'euros.
Sous 34 000 m², on doit y retrouver « un écosystème entier dédié aux start-ups », selon les mots de Roxanne Varza, la directrice du projet. Au total, 1 000 jeunes pousses doivent prendre pied dans ce nouvel environnement, leur offrant 3 000 bureaux au sein d'un espace de co-working, et un peu plus encore.

Ces bureaux pourront être loués à temps plein pour 195 euros par mois, ou bien à 900 euros par an s'il n'est occupé que 5 jours par mois, sur réservation. À ce prix, les tours du propriétaire en poney ne sont toutefois pas inclus, mais il sera possible d'accéder à diverses salles de réunion, de profiter des snacks mis à disposition et de certains matériels communs comme des imprimantes et photocopieurs.
Il est ainsi question d'un restaurant d'entreprise ouvert 24h/24 et tous les jours de la semaine, capable de servir 1 000 couverts ou d'un immense FabLab de 1 000 m², géré par les américains de TechShop. Un auditorium de plus de 350 places est également mis à disposition pour l'organisation d'évènements. Les services publics sont aussi présents : La Poste, le fonds (hyperactif) Bpifrance, la CNIL, l'Urssaf et Pôle emploi. L'idée est bien entendu de faciliter la vie des entreprises sur place, pour qui l'administration doit être vue comme amie.
En 2018, un deuxième bâtiment sera ouvert aux entreprises, à Ivry-sur-Seine cette fois-ci, avec de quoi loger 600 des entrepreneurs installés dans la halle. Un deuxième volet qui aura nécessité à lui seul 120 millions d'euros supplémentaires. Une autre tranche de travaux est également prévue, avec l'aménagement de salles de sport et d'autres espaces complémentaires. Niel affirme donc avoir sorti 250 millions d'euros de sa poche, par « mécénat ».
Un espace, mais aussi des gens
Pour attirer les start-ups, Station F ne compte pas seulement sur son infrastructure, mais aussi sur les personnes et entreprises qui viendront peupler l'écosystème environnant les jeunes pousses. Plusieurs sociétés de renom, comme Amazon, Facebook, Microsoft, Ubisoft, Vente-privée ou Zendesk ont ainsi prévu d'y installer une partie de leurs équipes.
Des fonds d'investissement font donc partie de l'aventure. On y retrouve évidemment Kima Ventures, le fonds monté par Xavier Niel himself, mais également Daphni ou encore Ventech, qui a notamment investi dans Withings et Viadeo. L'école de commerce HEC est également présente, avec un espace dédié aux start-ups montées par ses élèves. « En créant quelque chose d'aussi fort, on pousse toute personne intéressée à regarder et on crée une ambiance qui donne envie à des jeunes de se lancer dans l'entrepreneuriat » affirmait hier Xavier Niel à France Inter.
Pourtant, à la soirée, quelques craintes émergeaient sur le phagocytage d'incubateurs existants par le nouvel ensemble. « C'est partir du principe qu'il n'y a pas assez de start-ups et de projets, nous répond Mounir Mahjoubi. Aujourd'hui, à Paris, on arrive à attirer toujours plus de projets. L'enjeu maintenant est que tous les incubateurs trouvent leur utilité. »
Les sociétés choisies n'ont que le mot « écosystème » à la bouche : avec 1 000 entreprises prévues, le lieu tient presque de l'incontournable. « À chacun de vos problèmes, il y a forcément une start-up pour y répondre, parce qu'elle est à un stade plus avancé que vous, nous affirme Charlotte Muller, présidente de Le Service App, lancée depuis mars. En intégrant le Founders Program, j'ai l'assurance que mes techs seront en contact avec d'autres de super niveau. »
Pour les entreprises, la concentration possible de concurrents est-elle un problème ? Non, nous répondent-elles. « C'est une bonne chose d'avoir des concurrents. [...] C'est mieux que d'être tout seul sur un marché. Là, les gens te prennent pour un fou avec son projet. Quand tu en as plusieurs, ils voient l'intérêt et cherchent les différences entre les services » affirme Yassir Kazar de Yogosha, qui dit toucher plus de secteurs qu'initialement espéré, malgré un lancement proche de ceux d'autres services comme B0unty Factory.
Une opportunité pour Xavier Niel
Le patron d'Iliad a tout intérêt à ce que ce projet fleurisse et subsiste et pas seulement parce que l'investissement de départ est conséquent. À une époque où les grands groupes ont parfois du mal à se donner les moyens de se transformer, Xavier Niel aura sous les yeux un millier de jeunes pousses fourmillantes, qui n'auront pas peur d'essayer de faire bouger les lignes.
Chacune d'elle peut devenir une opportunité d'investissement pour l'homme d'affaires et son fonds Kima Ventures. « On n'est pas dans le but de générer un profit quelconque » tempère tout de même Niel chez France inter, pour qui il s'agit d'« accompagner les incubateurs privés actuels, pas les concurrencer ».
Les frais courants doivent être couverts. Si le projet veut surtout se montrer sous son angle presque philanthropique, l'envers du décor est potentiellement moins idyllique. Il faudra néanmoins attendre quelques mois avant de tirer des conclusions. C'est aussi pour Niel la concrétisation de son discours de « self-made man » et de défenseur de l'entreprenariat en France, qui en a par exemple fait le chouchou de Stéphane Soumier, le présentateur vedette de BFM Business.
Niel, modèle affiché de l'entreprenariat français
« La perception de la fiscalité [en France] parait délirante. Ce n'est pas l'image que vous en avez, mais l'environnement fiscal réel est favorable à la création d'entreprise » martelait ainsi en 2013 la dixième fortune de France, lors d'une conférence devant de jeunes entrepreneurs, jurant qu'il n'est pas nécessaire de s'expatrier pour réussir.
L'érection de ce temple dédié à la French Tech peut alors être perçu comme une manière de matérialiser cette conviction, et de prouver que l'environnement de l'Hexagone est favorable à l'éclosion du prochain Google. Une marotte qui trouve un certain écho auprès d'Emmanuel Macron, et de ses idéaux de « start-up nation ».
« Niel est un modèle pour tous les entrepreneurs. C'est aussi celui qui a de l'argent pour de tels projets, concorde Nicolas Arnaud, cofondateur de Magileads.com, spécialisé dans la prospection clients B2B. Avec Kima Ventures, il a des centaines de startups en portefeuille, quand les grands fonds sur Paris en ont une cinquantaine. Il a la culture du risque. »
L'engouement des pouvoirs publics interroge peu. « L'argent privé appelle l'argent public. Il a investi 250 millions, l'argent public suit » pense Nicolas Arnaud. « Il ne faut pas être crédule, c'est aussi lié au réseau de Xavier Niel » concorde Charlotte Muller, qui remarque que les jeunes sortis d'école de commerce passent de la finance à l'entreprenariat. « Aujourd'hui s'ils ont pour ambition de créer des boites et de la valeur sans nécessairement lever plus qu'ils ne sont capables de générer, ça reste une démarche louable » souligne-t-elle.
Les enjeux de la diversité et du financement
Si les jeunes diplômés sont une cible, les responsables du projet et publics martèlent le besoin de diversité. « Ne pensez pas une seule seconde que si, demain, vous réussissez votre investissement ou votre startup, la chose est faite » prévenait, en introduction, Emmanuel Macron. Pour lui, l'entrepreneur a une responsabilité, « que sa réussite oblige quand d'autres sont plus démunis ». « La réalité est que vous avez la French Tech qui est là, avec la French Tech Diversité, avec pour critères vos origines sociales et ce que vous voulez lancer, pas l'état d'avancement du projet » pense Charlotte Muller de The Service App.
Mounir Mahjoubi, lui, attend un investissement de tous les acteurs : « Normalement, en faisant la somme de tous les incubateurs (dont FrenchTech), les projets portés directement par Station F, par chacun, il y a le bon bouillon. Mais il faut que tout le monde tienne ses promesses. C'est toujours plus facile de recruter des diplômés jeunes, garçons, entrepreneurs, car ce sont eux qui postulent le plus souvent ». C'est bien le défi de la première année, qui demandera d'être très actifs, selon lui.
Un autre problème est celui du financement après les tous débuts, au moment où une société cherche à signer ses premiers gros contrats, voire s'exporter. Un problème connu, parfois attribué au trop bon travail de Bpifrance sur les premiers temps des projets, qui découragerait les investisseurs sur la suite. Comme un signe, l'accélérateur lyonnais Axeleo, le premier dans lequel a investi French Tech, ouvre son bureau parisien à Station F.

« On intervient à l'étape où la start-up a validé sa preuve de concept (dont des signatures avec de grands groupes), mais n'arrive pas à les convertir en contrat commercial dur » nous explique la société, qui s'occupe de projets B2B répondant à des problèmes très ciblés. « Les start-ups B2B, c'est compliqué, long et ça décourage les entrepreneurs. C'est là qu'on leur dit qu'il ne faut pas se décourager, parce qu'il y a de super opportunités. »
Compliqué, donc, le financement au-delà des premiers tickets ? « L'enjeu de ce lieu sera de démontrer que c'est faux, notamment avec la présence des services publics et de la French Tech, de mieux orienter, nous promet Mounir Mahjoubi. Les fonds existent, les capacités de financement de l'innovation existent. On aura des Venture Capitalists pour les étapes suivantes, des business angels qui viendront très régulièrement ici et les services publics qui feront de l'accompagnement et de l'innovation. Ici, on doit faire la démonstration que tout est possible. »
Le développement international de la French Tech, et de ses entreprises, est l'autre motto affiché. L'avenir proche, « c'est redonner une utilité puissante et forte à ces French Tech Hub à l'étranger pour continuer à soutenir le développement des startups françaises quand elles vont à l'étranger, à la conquête des marchés, dans le recrutement, dans le développement » nous affirme Mounir Mahjoubi, entre deux pitchs express d'entrepreneurs s'alignant pour lui parler.
Écrit à quatre mains avec Kevin Hottot.