Le Parquet de la Juridiction Inter-régionale Spécialisée de Rennes a confirmé l’ouverture d’une « information judiciaire des chefs de contrefaçon, association de malfaiteurs et blanchiment, visant le site internet T411 ». Nous avons obtenu d'autres détails sur ce gros dossier de la lutte anti-contrefaçon.
Dans un communiqué, il épingle le chiffre de « 700 000 liens « torrent » vers des copies illégales de films, séries et albums audio ». L’affaire a été initiée en 2014 par un gendarme suivi par une plainte de SACEM et de l’ALPA, l’association de lutte contre la piraterie audiovisuelle.
C’est le groupe cyber de la section de recherche de Rennes qui s’est chargée de l’enquête, en collaboration avec ses équivalents à Angers, Lyon, Montpellier et Strasbourg ainsi que du groupement des Côtes-d’Armor. Au final, six personnes ont été arrêtées, quatre en France et deux en Suède à Stockholm. Elles sont « soupçonnées d'être les administrateurs du site » indique le Procureur de la République Nicolas Jacquet.
La France, la Suède et d'autres pays impliqués
Outre la France et la Suède, « il y a d’autres pays impliqués, en particulier en Europe. Nous souhaitons cependant avoir une communication très limitée compte tenu des investigations en cours » nous indique la Gendarmerie de Rennes.
Le site est inaccessible depuis dimanche, et l’information soufflée ce matin dans la presse suédoise a finalement conduit le parquet à sortir du bois. Le communiqué indique toutefois avec prudence l’« interpellation d’un groupe d’administration du site T411 », laissant entendre que d’autres personnes sont recherchées. « Nous n’avons pas la certitude d’avoir identifié et interpellé tout le monde » nous confirme en ce sens la gendarmerie de Rennes.
Des retards expliqués en partie par le contexte terroriste
Comment expliquer l’agenda de cette enquête née d’une plainte déposée en 2014 ? « Il y a plusieurs explications dont l’une est liée au contexte terroriste. De tels dossiers ne sont pas une priorité stratégique pour la gendarmerie. C’est le genre de dossier que l’on traite lorsque d’autres ont pu être traités ». Autre souci : le contexte international qui fait appel à la coopération judiciaire, rendant plus longues encore les procédures.
Selon le Parquet, T411 a « généré au bénéfice de ses administrateurs plusieurs millions d’euros de revenus, notamment issus de recettes publicitaires ». La gendarmerie ajoute que « depuis le début de la mise en ligne du site, on est sur plusieurs millions de chiffres d’affaires, une partie a pu être dépensée, une autre investie dans des biens matériels ou immatériels ». Le montant de ces avoirs criminels, dans le jargon, se compte en centaines de milliers d’euros selon notre interlocuteur : matériels informatiques et biens mobiliers, mais aussi des biens immobiliers sont sur la liste.
Que va-t-il se passer maintenant ? « Les gardes à vue vont se poursuivre. Nous allons procéder à l’analyse du matériel informatique et téléphonique et continuer les investigations financières, sans compter l’exploitation des éléments nouveaux ». L’un des chapitres qui intéresse la gendarmerie est évidemment celui des régies publicitaires. Il s’agira de déterminer par exemple si ces régies sont un fournisseur de moyen « innocent » ou activement complice. « Dans des affaires, on a vu des régies publicitaires gérées par les administrateurs eux-mêmes… »
Plus d’un milliard d’euros de préjudice global selon l’ALPA
Les chiffres de T411 font tourner la tête. Selon le décompte réalisé par l’ALPA, il y a eu 257 millions de téléchargements d’émissions, de films et séries, tous catalogues confondus. « Nous n’avons pas encore reconnu l’ensemble de nos œuvres, mais le préjudice global peut excéder le milliard d’euros » table Frédéric Delacroix, délégué général de l’association. 77 605 liens torrent de films et 101 050 liens de séries ont été identifiés par ce groupe de défense des intérêts de l'audiovisuel.
« Ce dossier est pour nous majeur, il concerne le premier site BitTorrent en France, en termes de fréquentation d’après les chiffres Médiamétrie ». Les pics de fréquentation relevés par l'association ont pu grimper jusqu'à 2 millions de visiteurs uniques par mois (et non "jour", comme mentionné par erreur), avant de tomber à plus d’un million ces derniers temps. « Les pirates qui se croient inaccessibles en opérant depuis l’étranger ne le sont plus forcément. D’autres personnes vont pouvoir être inquiétées à travers le monde ».
Qu’en est-il des utilisateurs qui auraient laissé des traces sur les serveurs saisis en Suède ? « Les utilisateurs finaux, les petits partageurs du dimanche ne sont pas des cibles qui nous intéressent » nous précise la gendarmerie. Mais l’ALPA nous indique déjà vouloir s’intéresser de près aux plus gros uploaders.