Déjà en place chez certains professionnels, les fabricants de LiFi veulent s'attaquer au grand public. Ils se regroupent autour d'une Alliance afin de s'assurer que les produits estampillés LiFi sont bien ce qu'ils prétendent être. Un des acteurs du marché, Oledcomm qui vient d'intégrer la 5G-PPP, répond à nos questions.
Alors que le Wi-Fi utilise des ondes radio pour transmettre des données, le LiFi exploite la lumière et la haute capacité de commutation des LED (elles peuvent s'allumer et s'éteindre très rapidement). Cette technologie existe depuis déjà longtemps et, régulièrement, nous pouvons en voir des démonstrations sur les différents salons que nous couvrons. Afin de lui permettre de se développer, des acteurs ont décidé de se regrouper et de créer la LiFi Alliance.
Ce projet a été évoqué le 20 juin dernier, lors d'un séminaire sur le LiFi organisé par l'Université de Versailles (LISV) et la start-up Oledcomm. Cette société a été fondée par Suat Topsu, également co-inventeur de la technologie LiFi (en 2005) et professeur d'Université à Paris-Saclay. Contacté, il nous explique sa démarche et pourquoi la LiFi Alliance est une étape importante pour que cette technologie se démocratise, notamment auprès du grand public.
La norme existe déjà depuis des années, l'Alliance pour la faire respecter
Avant d'entrée dans le vif du sujet, rappelons que le LiFi dispose déjà d'une norme IEEE depuis fin 2011 et publiée en mars 2012 sous la référence la 802.15.7. Le cadre technique existe donc déjà, mais l'IEEE ne va pas vérifier que les produits LiFi respectent bien les préconisations nous explique Suat Topsu, d'où l'idée de mettre sur pied une LiFi Alliance afin d'éviter d'éventuelles dérives.
On pourrait en effet imaginer qu'un fabricant propose des produits affublés d'un autocollant « LiFi » alors qu'il utilise certes de la lumière, mais avec un protocole propriétaire, rendant ainsi toute interopérabilité caduque. Comme avec le Wi-Fi un consommateur doit pouvoir acheter une ampoule LiFi et un récepteur d'une marque différente sans se soucier de la question de la compatibilité tant que les deux sont certifiés LiFi. Dans le cas contraire, le LiFi restera un « gadget anecdotique dans un coin ».
Fédérer les acteurs du LiFi, des contrôles a posteriori
La LiFi Alliance aura donc pour mission de vérifier que la compatibilité est bien de mise entre les produits LiFi, mais a posteriori uniquement, pas avant leur commercialisation. En cas de problème, elle demandera au fabricant d'enlever le logo LiFi et, le cas échéant, pourra envisager des actions en justice. Un fonctionnement qui est calqué sur celui de la Wi-Fi Alliance nous précise Suat Topsu, y compris au niveau du modèle économique : les membres de l'Alliance devront payer une cotisation.
Afin d'être efficace, il faut que cette LiFi Alliance regroupe un maximum d'acteurs (fabricants, scientifiques, etc.). Oledcomm est évidemment de la partie, comme son concurrent PureLiFi et les universités d'Oxford et d'Édimbourg par exemple. Les professeurs Dominic O’Brien et Harald Haas étaient d'ailleurs présents à la conférence de la semaine dernière.
L'annonce officielle de la LiFi Alliance sera faite en février 2018, lors d'un congrès mondial sur le LiFi qui sera organisé au Palais Brongniart à Paris. Il sera alors temps de compter les membres qui auront répondu présents à l'appel. Il faut qu'ils soient nombreux pour que la LiFi Alliance ait un poids suffisant.
Des évolutions du LiFi pourront arriver dans un second temps, comme ce fût le cas avec le Wi-Fi 802.11b/g/n/ac... Il pourrait alors être question de 802.15.11, 802.15.13 (bref des déclinaisons sous la forme 802.15.x) avec des caractéristiques techniques un peu différentes.
Les professionnels d'abord, le grand public ensuite
Alliance ou pas, le LiFi est déjà une réalité et des expérimentations sont en cours, notamment dans des hôpitaux et des supermarchés. Avant de se lancer dans le grand public, il faut en effet faire ses armes sur le marché professionnel nous explique Suat Topsu.
Dans les entreprises, le fabricant s'adresse directement aux ingénieurs réseau pour l'installation et en cas de problème, ce qui permet généralement de résoudre les soucis rapidement... une situation que l'on ne retrouve pas toujours (très rarement même) avec Mme Michu qui achèterait des lampes LiFi et qui rencontrerait des soucis sur son installation.
Malgré tout, les produits LiFi grand public « vont arriver » nous affirme notre interlocuteur, probablement aux alentours de 2020. Avant tout, il faut continuer de miniaturiser les dispositifs (ce qui permet également de réduire les coûts de fabricant et donc le tarif final) et disposer d'un SAV adapté. Avec 30/40 personnes, Oledcomm ne peut pas assurer ce service déplore Suat Topsu.
L'idée est donc de nouer des partenariats avec des sociétés disposant déjà d'un service après-vente conséquent, notamment les opérateurs de téléphonie mobile et les FAI. On peut ainsi imaginer qu'une box intégrerait des « plugs LiFi », comme c'est déjà le cas avec les CPL. En France, des discussions sont en cours avec Orange nous indique le PDG d'Oledcomm, mais aussi avec Deutsche Telekom outre-Rhin. Reste maintenant à voir si elles aboutiront à du concret.
Le LiFi ne veut pas remplacer le Wi-Fi, mais le compléter
Dans tous les cas, le LiFi se veut un complément aux réseaux sans fil existants (Wi-Fi, 4G, 5G..), pas un remplaçant : il dispose de ses propres avantages, mais aussi d'inconvénients. Comparé au Wi-Fi, le LiFi permettrait d'obtenir une géolocalisation bien plus précise et des débits bien plus importants (224 Gb/s ont été réalisés en laboratoire), mais avec beaucoup moins de mobilité. La lumière ne se diffuse que sur une zone définie et ne passe pas à travers les murs, contrairement aux ondes radio.
Mais d'un inconvénient, cela peut devenir un avantage pour la confidentialité des données : pour intercepter une communication LiFi, il faut être sous le faisceau de lumière. On peut ainsi imaginer une lampe LiFi sur un bureau à laquelle se connecte un ordinateur portable. Pour intercepter les communications, il faudrait donc venir se placer sur le bureau, alors qu'en Wi-Fi il suffit de capter les ondes qui « s'échappent » de la maison.

Allumer une ampoule en pleine journée, une bonne idée ?
Intrinsèquement, le LiFi a un autre problème : il faut allumer une lumière pour disposer d'une connexion... on a vu plus écologique et économique pour une utilisation en pleine journée, quand bien même les ampoules utilisent des LED qui consomment moins que celles à filament.
Une solution pourrait être de passer par de la « lumière noire », c'est-à-dire dans un spectre qui n'est pas visible par l'œil humain. On évite ainsi d'éclairer en plein jour en ne faisant passer que les signaux nécessaires. Les débits sont par contre moins élevés dans ce cas de figure, avec 100 Mb/s à 1 Gb/s (nous sommes donc loin des 224 Gb/s sur le spectre visible).
Nous avons ensuite posé la question des risques liés à l'exposition pour les consommateurs. Pour Suat Topsu, elle « ne se pose pas pour le Lifi » car « la lumière ne traverse pas le corps », contrairement au Wi-Fi par exemple. De plus, la puissance d'émission ne serait pas assez forte pour endommager la peau. L'absence d'ondes radio est également un point intéressant dans certains usages où les interférences peuvent poser des problèmes comme les hôpitaux et les avions.
Oledcomm veut sa part du gâteau de la 5G
Oledcomm nous explique également qu'il est membre depuis peu de la 5G-PPP – un partenariat public-privé créé à l’initiative de la Commission européenne – afin « d'inclure le LiFi dans la 5G ». Pour rappel, une des philosophies de la 5G est justement d'utiliser au mieux les différents réseaux à sa disposition en fonction des besoins.
Suat Topsu nous explique ainsi qu'un utilisateur pourrait utiliser du LiFi sur son smartphone lorsqu'il est chez lui et basculer automatiquement sur de la 5G lorsqu'il se déplace... ce que l'on retrouve déjà avec le Wi-Fi et la 4G par exemple, les téléphones étant capables de changer automatiquement de réseau. L'intégration à la norme 5G pourrait permettre plus de fluidité, reste maintenant à voir si cela aboutira.
Séduire le grand public, une opération qui s'annonce difficile
Déjà en place chez certains professionnels, avec des résultats qui semblent satisfaisants, le LiFi se prépare donc à entrer dans les maisons des particuliers. La route est encore longue et détrôner le Wi-Fi ne sera pas aisé tant cette technologie est ancrée dans l'utilisation courante.
Même si les débits annoncés sont supérieurs pour le LiFi, ceux du Wi-Fi sont déjà largement suffisants pour une très large majorité des utilisateurs. La sécurisation des données pourrait plaire à certains, mais il est assez facile de sécuriser un point d'accès Wi-Fi pour un particulier (avec chiffrement et mot de passe suffisamment robuste).