Fichier des empreintes génétiques : la France condamnée par la CEDH pour défaut d’encadrement

Grégoire Lecomte rulez
Droit 5 min
Fichier des empreintes génétiques : la France condamnée par la CEDH pour défaut d’encadrement
Crédits : CherryX (CC BY-SA 3.0)

Le régime actuel du fichier national des empreintes génétiques (FNAEG) vient d’être jugé attentatoire à la vie privée par la Cour européenne des droits de l’Homme. Condamné pour avoir refusé un tel fichage durant 40 ans, un syndicaliste ayant donné des coups de parapluie à des agents, obtient gain de cause.

Le 13 mars 2008, un manifestant est condamné à deux mois d’emprisonnement avec sursis pour avoir donné des coups de parapluie à des gendarmes (non identifiés) sans incapacité de travail pour ces derniers.

Le 24 décembre 2008, il est convoqué par la police pour que soit effectué un prélèvement biologique sur le fondement des articles 706-55 et 706-56 du code de procédure pénale (CPP) afin de nourrir le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Il refuse ce prélèvement qui allait être enregistré durant 40 ans.

Le 27 octobre 2009, le tribunal de grande instance de Bayonne le condamne de ce fait à une peine d’amende de cinq cents euros. Le 3 février 2011, la cour d’appel de Pau confirme ce jugement contestant toute atteinte à sa vie privée. Le 28 septembre 2011, la Cour de cassation rejette son pourvoi estimant que la Cour d’appel avait « caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnels, le délit de refus de se soumettre à un prélèvement biologique dont elle a déclaré le prévenu coupable ».

Un an plus tard, la même Cour de cassation refusait de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité : « dès lors que s’il s’analyse en une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée, l’enregistrement des empreintes génétiques constitue une mesure, non manifestement disproportionnée, qui, dans une société démocratique, est nécessaire notamment, à la sûreté publique et à la prévention des infractions pénales et qui s’applique, sans discrimination, à toutes les personnes condamnées pour les infractions mentionnées à l’article 706-55 du code de procédure pénale (...). »

Refus d'être fiché 40 ans pour des coups de parapluie

Seulement, ce requérant n’a pas baissé les bras, portant l’affaire cette fois devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Il rappelle que le FNAEG avait été introduit dans notre droit uniquement afin de « regrouper les empreintes génétiques des délinquants sexuels ». Au fil des couches législatives, le fichage des traces biométriques a été étendu à un nombre important d’infractions énumérées à l’article 706-55 du CPP.

« Le fichage litigieux ne peut pas être considéré comme légitime pour toutes les infractions énumérées à l’article 706-55 du CPP, allant des crimes contre l’humanité aux actes commis dans le cadre de violences syndicales » estime-t-il avant de dénoncer une atteinte injustifiée à la vie privée du fait du caractère généralisé et indifférencié de ce fichage : «  il n’existe aucun pouvoir d’appréciation et aucune modulation en fonction de l’infraction commise ». De plus rien ne justifie un fichage durant 40 ans, alors que le Conseil constitutionnel a déjà émis des réserves sur ce point restées sans effet (point 18 de sa décision de 2010).

En face, le gouvernement soutient que ce fameux FNAEG est « destiné à faciliter l’identification et la recherche, à l’aide de leur profil génétique, des auteurs des infractions ». Mieux : les infractions de l’article du CPP sont limitativement énumérées. En outre, toutes « présentent un certain degré de gravité et sont, sauf une, passibles d’une peine de prison ». Si le fichier est placé sous le contrôle du Parquet et de la CNIL, ajoute Paris, « d’importantes garanties procédurales entourent les conditions d’utilisation, de consultation et de conservation des données » au FNAEG. L’accès est en outre réservé « aux personnels de la sous-direction de la police scientifique et technique, ainsi qu’à ceux de la gendarmerie dûment habilités ».

Toujours selon la France, « l’absence de procédure d’effacement pour les personnes condamnées n’apparaît pas excessive, la durée de conservation maximale étant limitée à quarante ans, l’inscription du profil génétique au FNAEG n’impliquant aucune obligation positive pour la personne concernée et les données n’étant utilisées qu’en cas de commission de nouveaux faits ». Et le pays des droits de l’Homme de promettre la publication d’un décret pour tenir compte des réserves du Conseil constitutionnel, qui avait demandé « de proportionner la durée de conservation de ces données personnelles, compte tenu de l’objet du fichier, à la nature ou à la gravité des infractions concernées ».

Une atteinte disproportionnée à la vie privée

Dans son arrêt, la CEDH va dynamiter le fichier FNAEG en vigueur en France : « aucune différenciation n’est actuellement prévue en fonction de la nature et de la gravité de l’infraction commise, et ce nonobstant l’importante disparité des situations susceptibles de se présenter dans le champ d’application de l’article 706-55 du CPP ». Toutes les personnes tombant sous les griffes du FNAEG sont fichées durant 40 ans, soit à vie pour celles d’un certain âge.

L’emballement français est tel que les dispositions permettent de ficher un individu pour de simples coups de parapluie sur des agents non identifiés (ou  condamner son refus de fichage). On est donc loin des infractions terroristes, sexuelles, ou des crimes contre l’humanité. De plus, il n’existe pas de procédure d’effacement, si ce n'est pour les personnes simplement soupçonnées.

Bref, elle considère que « le régime actuel de conservation des profils ADN dans le FNAEG, auquel le requérant s’est opposé en refusant le prélèvement, n’offre pas, en raison tant de sa durée que de l’absence de possibilité d’effacement, une protection suffisante à l’intéressé. Elle ne traduit donc pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu ».

Par contamination, la condamnation pénale de ce manifestant est considérée comme une « atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique ». La France devra verser 3 000 euros pour indemniser le dommage moral et 3 000 autres euros pour les frais et dépens.

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