Dans les agglomérations de taille moyenne, Orange et SFR se déchirent sur la répartition des déploiements de fibre jusqu'à l'abonné, cofinancée par les autres fournisseurs d'accès. Une bataille au milieu de laquelle les collectivités se sentent démunies, faute de conventions assez drastiques, et en appellent à la vigilance des pouvoirs publics.
La situation est pour le moins tendue entre Orange et SFR, les deux opérateurs chargés de déployer la fibre dans 3 400 communes en zones moins denses, soit les agglomérations de taille moyenne, avec un cofinancement des concurrents. Au Journal du dimanche, Stéphane Richard d'Orange évoque des « débats » avec son concurrent, cherchant « un compromis raisonnable »... Après que SFR a porté plainte contre l'opérateur historique, accusé de se réserver la part du lion (80 %) des 14 millions de prises concernées.
La guerre ouverte se déroule donc dans les « zones AMII », situées entre les zones très denses (les agglomérations les plus peuplées, où chaque opérateur privé déploie sa fibre, excepté Bouygues) et les zones rurales couvertes par des réseaux d'initiative publique (portés par les départements et régions, avec trois milliards d'euros de subventions). Nous avons évoqué les conséquences concrètes de ce conflit avec Patrick Vuitton, délégué général de l'Avicca.
La réalité des déploiements fait débat
Ces zones intermédiaires ont été délimitées par les opérateurs privés en 2011. Trois ans plus tard, Numericable rachetait SFR et gelait les déploiements, menant à des réprimandes publiques, notamment à Lille Métropole. Orange réclamait de pouvoir déployer dans ces zones, ce que refusait SFR. L'Autorité de la concurrence a tranché en 2015, en acceptant qu'Orange pose sa fibre dans ces communes.
Depuis, SFR est revenu à de meilleurs sentiments sur la fibre et réclame sa part du gâteau, que lui refuse Orange. Ce dernier nous affirmait ne rien vouloir changer, vu les engagements pris auprès des communes. L'opérateur historique taclait son concurrent, accusé de ne pas tenir ses promesses sur les 20 % des zones moins denses dont il a la charge, quand lui-même respecterait bien les siens. Faux, rétorque l'Avicca, une association d'élus, qui déclare constater l'oubli de millions de lignes dans les déploiements d'Orange.
Moins de 20 % des zones moins denses raccordable, selon les collectivités
Lors du dernier colloque de l'association, le TRIP du printemps 2017, son président Patrick Chaize pointait des manquements dans ces zones, à partir des données ouvertes fournies par l'Agence du numérique.
« Fin 2016, moins de 20 % de la zone AMII était raccordable, et dans les 80 % restants, il y a des zones à mauvais débit, des entreprises qui attendent. Aujourd’hui les opérateurs refusent de nous dire combien de prises raccordables ils vont construire en 2018, 2019 et 2020 sur les 3 400 communes concernées » fustigeait le sénateur dans son discours. Seules deux communes seraient traitées à 95 %, après des années de coinvestissement.
Interrogé, le délégué général de l'Avicca, Patrick Vuitton, précise ce point de vue. Orange « a une stratégie de préemption de territoire extrêmement prégnante. Ils ont mis des points de mutualisation sur dix millions de locaux, mais n'en ont que cinq millions de raccordables. Les cinq autres millions de logements et d'entreprises, nous les baptisons maintenant « gelés ». Concrètement, ils ne peuvent s'abonner à rien et un autre opérateur ne peut pas venir, parce que la partie la plus rentable a déjà été prise » pointe-t-il.
Pour l'association, si l'opérateur historique est bien le premier déployeur de fibre du pays, elle constate qu'il déploie « essentiellement en face des réseaux câblés » de SFR... En clair, les zones les plus intéressantes, où il est possible de damer le pion à la marque au carré rouge.

Le jeu du chat et de la souris
L'association refuse d'entendre parler d'extension de la zone « AMII » à des communes pour le moment traitées par les réseaux d'initiative publique. « On ne va pas demander à un opérateur privé de faire de l'aménagement du territoire ! On ne reproche pas à Orange d'être une entreprise privée, mais ils ont bien une logique privée. Ce n'est pas de la morale, mais du réalisme » estime par ailleurs Vuitton.
Comme le révélait Le Monde, Orange et SFR se disputent le déploiement du FTTH à Chennevières-sur-Marne, dans le Val-de-Marne. Là où l'opérateur historique a trainé à lancer les travaux, SFR s'est rué à la rescousse des élus en leur promettant de premières prises en 2018... Alors qu'Orange avait précédemment récupéré les travaux dans des zones oubliées par SFR, comme Lille Métropole et Versailles.
Ce mouvement n'étonne pas l'Avicca. « Cela fait partie de la stratégie de SFR, dans le bras de fer pour négocier avec Orange. L'accord ne comprenait pas toutes les communes, donc SFR se positionne sur celles hors accord » nous répond Patrick Vuitton. Face à cela, « Orange va déployer des sous-traitants sur des communes qu'il avait commencées pour les déployer sur celles où SFR se positionne » au détriment d'autres, déclare-t-il.
Des collectivités à l'emprise minime
Au milieu, les communes et agglomérations sont parfois prises au dépourvu. Le principal problème, qui dure, est le manque de conventions entre collectivités et opérateurs. À la mi-2015, le ministre de l'Économie Emmanuel Macron promettait la signature de l'ensemble des conventions de déploiement à fin 2015, quitte à forcer la main aux opérateurs.
Plus d'un an après, à peine plus de 50 % sont concrètement conclues. Autrement dit, près de la moitié des communes que se sont répartis les opérateurs en zones moins denses n'ont qu'une idée très superficielle de ce qui se passe. Fin mars, l'Agence du numérique (qui pilote le plan France THD) nous affirmait constater une course entre Orange et SFR pour sécuriser les conventions, histoire de couper l'herbe sous le pied du concurrent. Face à eux, des collectivités traineraient à signer les documents proposés, avec une possible concurrence entre strates territoriales.
« Quelque part, cette volonté affichée de SFR [sur le FTTH] a réveillé tout le monde, tant mieux. Mais le principe d'une convention n'est pas de geler un territoire, mais de le faire ! » ironise Vuitton, qui pointe un autre phénomène. Si des conventions sont bien signées, avec un objectif officiel fixé à 2020, des communes les verraient progressivement repoussées, avec des logements qui deviennent « programmés » et non plus « raccordables ». Sans visibilité directe sur l'état des déploiements trimestre par trimestre, ou année par année, il reste difficile de tenir les opérateurs à leur mot.
Plus largement, les problèmes ne s'expriment pas qu'en zones moins denses. Si la situation s'améliore sur mobile (avec de lourds investissements publics en zones blanches), le président de l'Avicca pointait également « d’énormes difficultés d’accès au génie civil » d'Orange. Un point sur lequel l'Arcep a proposé des « remèdes » en début d'année, ce qui n'est pas assez rapide pour l'Avicca.
L'an dernier, des réseaux publics nous évoquaient ces difficultés, l'une d'elle déployant son propre génie civil en parallèle de celui de l'opérateur historique. Des « difficultés opérationnelles » temporaires, nous répondait Orange. Il reste que ces situations sont à débloquer, le régulateur et l'Agence du numérique y ayant leur rôle, comme le rappelait l'association de collectivités.