Pour ses dix ans, Nolife revient avec nous sur son histoire

Y a pas que la télé dans la vie !
Pour ses dix ans, Nolife revient avec nous sur son histoire

Le 1er juin 2007, une petite chaine de télé « geek » se lançait sur l'ADSL. Elle célèbre aujourd'hui ses dix ans, faits de hauts et de bas, qui ont vu certaines passions de niche devenir des phénomènes grand public et le paysage de la diffusion grandement chamboulé.

À partir de 21h, Nolife présente une soirée spéciale pour ses dix ans. Le chiffre est symbolique, d'autant plus pour un projet mis en ligne sans grande visibilité. « On a un peu de mal à réaliser. Au lancement, on savait que ce serait difficile, mais pas combien de temps ça allait tenir. En dix ans, on a aussi vu de nombreuses créations et fins de chaines » résume Sébastien Ruchet, qui a cofondé la chaine avec Alex Pilot, son directeur des programmes.

En quelques années, l'entité est devenue un marqueur des cultures « geek », les portant dans un petit écran loin d'être tendre avec le jeu vidéo ou la musique japonaise, qui constitue une bonne part du temps d'antenne. « Pour nous, il était important d'être sur un même degré de diffusion, d'avoir voix au chapitre » se souvient Ruchet.

Atteindre les 11 ans

Aujourd'hui, l'équipe d'une dizaine de permanents produit une heure d'émissions quotidiennes, pour environ un million de téléspectateurs mensuels. L'équilibre est difficile, la petite entreprise étant en redressement judiciaire depuis plusieurs mois. Un épisode qui en rappelle un autre, à la mi-2008, quand la chaine a été sauvée par l'éditeur de jeux roubaisien Ankama. En septembre 2016, elle a dû se séparer de sa rédaction jeux vidéo pour tenir.

Face à la chute du marché publicitaire, « pour autant que ça nous embête, licencier était nécessaire. On a rendez-vous fin juin au tribunal pour essayer de sortir de redressement, convaincre et voir si on peut tenir » répond le patron de Nolife. Pour lui, se projeter est « malheureusement encore un luxe », alors que l'équipe a toujours des projets plein la tête.

De l'ADSL et de la débrouille

En 2007, Nolife est d'abord arrivé sur la Freebox, après avoir présenté son projet au fournisseur d'accès. « Passer par l'ADSL était indispensable. L'environnement s'était diversifié et était prêt à lancer de nouvelles choses. Ça n'aurait pas pu arriver avec le système monolithique de la télé d'avant. On se disait qu'on était à l'avant-garde, comme les radios libres à l'époque » affirme Ruchet. Désormais, la chaine est un flux diffusé à la fois via les box, Twitch, Molotov et des outils de direct des réseaux sociaux à l'occasion.

La chaine s'est formée autour d'un groupe d'amis et de motivés, comme le présentateur Marcus, qui tient ses essais de jeu Chez Marcus depuis une décennie. « On avait organisé une petite soirée pour présenter le projet à nos proches. Beaucoup ont travaillé sur la chaine en dix ans, aujourd'hui encore. Marcus a été la première personne à promettre une émission. Il a tenu parole. »

Malgré ces contributions, la petite équipe a dû beaucoup user du système D pour se diffuser à moindre coût. Le développement de logiciels maison est une seconde nature pour la chaine, qui a récemment présenté ses créations dans un Debug Mode. « La télé traditionnelle demande beaucoup d'intervention humaine, assez fastidieuse parfois, par exemple pour passer les cassettes nécessaires à l'antenne. C'est grâce à l'arrivée du numérique, qu'avec relativement peu de moyens humains, on a pu automatiser une énorme part de la gestion des programmes » raconte le PDG de Nolife.

La chaine demande pourtant toujours beaucoup de travail. « Il y a toujours une constante d'incertitude.. On a un peu plus de matériel, des locaux mieux agencés, mais on a surtout plus d'expérience, après avoir géré des transitions, le passage à la HD [en 2013], l'arrivée de plus de box, des bandes-annonces, les hauts et les bas dans le marché pub'... »

« L'Arte des geeks »

Une communauté s'est rapidement formée autour du projet. Si Ruchet ne saurait définir l'influence de la chaine, « on sait qu'on est importants pour des gens, qui viennent nous voir en festival, en nous disant qu'on doit se battre pour continuer, avec des étoiles dans les yeux ». La chaine est connue pour son traitement pointu de passions évoquées avec un goût de « panique morale » par le petit écran. 

« Des gens nous appelaient l'Arte des geeks, parce qu'on est pointus dans les mots qu'on utilise, dans le sous-titrage. On a trop entendu des interviews de Japonais dans les grandes télés à l'époque, où la traduction ne correspondait pas à ce qui était dit. Nous, on ne triche pas » défend le cofondateur de Nolife.

Avec une grille qui a peu bougé au fil des années, la chaine est parfois vue comme immobile, voire trop « pure ». « Nolife se définit par son contenu, mais aussi par ce qu'on ne diffuse pas, comme les campagnes de SMS surtaxés, qui peuvent dégoûter les spectateurs. Tu ne compromets pas un bébé pour trois sous » répond Ruchet.


France Five, projet de fondateurs de Nolife et d'autres figures « geek » françaises

En 2009, Nolife lançait sa plateforme de vidéo à la demande Nolife Online, devenu noco.tv (et accessible via La Presse Libre), censée compenser la baisse du marché publicitaire en misant sur le soutien des internautes et l'agrégation de catalogues de tiers. Si le service fonctionne bien et propose 12 000 émissions (souvent en HD), le nombre d'abonnés « n'est pas en explosion », regrette l'équipe.

« Malheureusement, regrouper d'autres catalogues demande beaucoup de travail, alors que les gens ne sont pas forcément prêts à le faire. Parce que c'est un fonctionnement parfois archaïque, parce que les droits ne sont pas forcément prêts pour le numérique... » pointe Sébastien Ruchet.

Dix ans d'émissions en flux tendu

Au fil des années, les émissions à l'antenne se sont enchainées, avec des constantes. Des projets des débuts, à l'image de Wall of shame, sont tombés dans les limbes, quand d'autres émissions continuent leur chemin, à l'image de La Minute du geek ou Retro & Magic, toujours animées par Julien Pirou. D'autres programmes ont changé de présentateurs, comme Superplay, initialement présenté par « Radigo ».

« Radigo est un vrai fan du Superplay. Il a donné l'impulsion à l'émission. On garde une formule où il reste capable d'intervenir de temps en temps. C'est vraiment génial » s'enthousiasme encore le patron de la chaine. Même après ces années, d'autres continuent de multiplier les concepts, comme Julien Pirou, derrière la série Roleplay. « C'est un forçat de travail, très organisé, qui mène complètement le projet. Ce n'est pas un hasard s'il a fait pas mal de soirées spéciales sur Nolife » félicite encore le responsable.

La chaine est aussi connue pour la diffusion d'émissions dédiées au Japon, certaines en provenant directement, comme Japan In Motion depuis six ans. « Nous sommes très fiers d'avoir pu jeter ces ponts entre la France et le Japon. Des Français là-bas passent dire bonjour à leur rédaction, en français... Ils ne comprenaient pas, mais ils ont pris l'habitude ! » affirme notre interlocuteur.

Que répondre à ceux pour qui Nolife diffuse trop de musique japonaise ? « Ils sont un peu de mauvaise foi !, répond Ruchet en riant. En fait non, on reste une chaine musicale assumée. On a tenu une grille assez similaire sur dix ans, avec un rendez-vous quotidien à 19h. C'est une stabilité rare en dehors du 20h sur les grandes chaines. Et puis beaucoup de gens aiment ça aussi, la musique ! » 

L'e-sport comme reconnaissance

Sous l'impulsion de son patron, Nolife renforce sa couverture de l'e-sport, qui attire les fonds et les institutions. « J'aime bien l'e-sport » lâche Ruchet en forme d'euphémisme. Depuis cinq ans et demi, il anime Skill, une émission d'abord centrée sur le commentaire de matchs, avant de s'ouvrir à la couverture d'événements cyberathlétiques.

« Je faisais les premières émissions entièrement seul. Je pouvais seulement me remonter les manches et y aller ! Quand tu commences dans le milieu, il n'y a pas énormément d'opportunités, mais tu dois t'assurer que tout est carré en télé » se souvient son présentateur. Depuis, des entreprises ont racheté des clubs e-sportifs, voire ouvert les leurs, la filière s'organise et le législateur met son nez dans ce jeune milieu.

« L'e-sport a énormément évolué en cinq ans et demi d'émission. On a pu accompagner cette montée avec League of Legends et d'autres jeux. On a vu l'arrivée d'infrastructures, des coachs, on parle de franchisation, on se voit mainstream » résume Ruchet. Cela même si le chemin semble encore long avant d'atteindre le niveau de reconnaissance des grands sports traditionnels.

DreamHack eSport 2012
Crédits : Jon Åslund (licence: CC by SA 2.0)

La montée de l'offre légale en animation

En dix ans, un autre phénomène a rapproché la France du Japon : la diffusion légale d'animation japonaise, qui était encore une chimère en 2007. À partir de 2009, des services se sont montés de toutes pièces (comme AnimeDigitalNetwork et Wakanim) ou se sont implantés en France, à l'image de l'américain Crunchyroll. Si l'histoire du domaine est longue, depuis le Club Dorothée en passant par le fansub, l'offre légale a marqué un nouveau pas.

« C'est une preuve du dynamisme en France dans l'animation japonaise. Moi-même, j'ai appris le japonais au lycée et passé des années à Animeland pendant mes études... » rappelle Sébastien Ruchet, pour qui le peu d'intérêt des Japonais à l'international a contribué au développement du piratage, malgré l'arrivée d'éditeurs physiques dans l'Hexagone, comme Kaze.

« Quand on a commencé en 2007, il était difficile de seulement parler des nouveautés, de montrer l'intérieur d'un manga. L'organisation là-bas est très différente, souvent avec de grosses chaines de droits sur les animes » explique notre interlocuteur. Il se félicite de l'offre légale actuelle (via du simulcast, gage de la confiance des ayants droit) et de la sortie en salles de films comme Sword Art Online ou Your Name, avec des créateurs bien plus accessibles. « Des gens se sont beaucoup impliqués pour y arriver. »

Certains services, comme Wakanim, appartiennent désormais aux Japonais. « D'un côté, en France, ça reste aussi des plateformes fragiles avec une petite économie. De l'autre, c'est la solidification mondiale logique jusqu'à la diffusion. ADN, c'est VIZ Media Europe, c'est Shūeisha, du manga à son adaptation animée jusqu'à l'abonnement aux plateformes pour les regarder à l'international, avec toujours la télé derrière ! » met en perspective Nolife.

Une différence et des projets à cultiver

La chaine revendique sa différence, avec un ton « qui peut choquer, intriguer » et une équipe qui montre souvent les rouages, notamment lors des difficultés. « Il n'y a pas beaucoup de chaines dont le patron vient donner des nouvelles de la situation à l'antenne ! Mine de rien, c'est un lien assez fort avec les spectateurs. Ils nous ont beaucoup soutenu, on est là grâce à eux, après dix ans... » s'émeut Ruchet.

Après dix ans, l'incertitude sur l'avenir reste tout de même la règle. « On est moins jeunes !, note-t-il Mais ce que nous faisons est tellement rare que ça vaut le coup de se battre encore et toujours. C'est usant de toujours être dans l'incertitude, même si on a appris à mieux gérer qu'au début. » La chaine a pourtant ses projets, en matière d'e-sport, de fiction ou de séries.

« Ça a changé notre vie. Est-ce qu'on allait être des guignols qui voulaient faire de la télé sans jamais avoir lancé un truc ? Aujourd'hui, même si on a un peu souffert en chemin, on a mené une chaine de télé pendant dix ans et ce n'est pas commun » se remémore le patron, qui a compris son engagement le vendredi soir de la première diffusion. « Revenir le samedi pour programmer l'antenne ? Tu n'es plus libre ! Tu n'as pas le choix. On est dans cette situation depuis dix ans, à poser les rails devant la locomotive. Je trouve qu'on a bien assuré quand même ! » rigole-t-il.

« Comme le dit Cyril Lambin, [le directeur technique de l'entreprise], dans le monde de la télé, Nolife est un putain de miracle... Un miracle qui a tenu dix ans à force de ténacité, d'acharnement, d'aide extérieure parfois (comme Ankama qui nous a sauvé au début). C'est quelque chose qu'on a construit avec un tas de personnes qui se sont impliquées dans la chaine », dont l'avenir reste encore à définir.

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