L’arrivée de Netflix sur les marches de Cannes est visiblement considérée par des chefs étoilés de l’industrie culturelle comme le déballage d’un repas McDonald's sur une table de premier choix. Pour d'autres, elle est surtout le point d'orgue d'un psychodrame, celui de la chronologie des médias.
Okja et The Meyerowitz Stories, deux films du catalogue de la plateforme, ont été accueillis par des sifflets vendredi et dimanche. Pour les distributeurs, il s’agit bien d’une hérésie : voilà des films Netflix qui ne sortiront jamais en salles, destinés à être à portée de clics des seuls abonnés, qui osent fouler le tapis rouge du fameux escalier cannois.
Sur l’échafaud, comme déjà évoqué dans nos colonnes, pendouille la chronologie des médias, à laquelle est si attaché le monde du cinéma. Elle impose sa rythmique réglementaire à savoir qu’un film sorti en salle ne peut arriver sur les plateformes que trois longues années plus tard. Une logique de paliers, où le secteur du cinéma espère à chaque marche maximiser les retombées financières.
Un tempo que refuse Netflix : « Nous voulons offrir à nos abonnés français la possibilité de regarder ces films où et quand ils le souhaitent, comme le reste de nos abonnés à travers le monde ; nous sommes certains que les amateurs français de cinéma ne veulent pas attendre trois ans après le reste du monde. Ceci dit, nous explorons la distribution en salles des deux films, pour une période limitée, le jour de leur mise en ligne sur Netflix ».
Les critiques du CNC
Une décision qui agace. Au Centre national du cinéma, Frédérique Bredin « déplore profondément l'intransigeance de Netflix, qui a refusé toute sortie de ces films en salle ». Un choix qui « empêche les spectateurs français de voir librement ces œuvres dans les cinémas, comme c'est la tradition. Netflix limite ainsi la diffusion de ces films à ses seuls abonnés ».
Le pavé dans la mare a trouvé sa réponse : le Festival de Cannes a décidé de modifier sa réglementation pour l’édition 2018. Les films en compétition devront obligatoirement sortir dans les salles françaises, résume le CNC.
Pour Pascal Rogard, cité par notre confrère Jamal Henni de BFM Business, voilà malgré tout une « décision difficile à appliquer car beaucoup de films arrivent à Cannes sans distributeur et c'est justement leur exposition dans la compétition qui leur permet de trouver le chemin des salles ».
Netflix du riche vs salle de cinéma du pauvre
Le réalisateur Radu Mihaileanu, cité cette fois par Satellifax, regrette lui qu’un film Netflix ne sera finalement « disponible qu'aux riches qui peuvent s'abonner », suggérant que les films en salle sont eux accessibles à tout le monde et à moindres frais. La palme est cependant décrochée par Xavier Beauvois, acteur, réalisateur et scénariste, pour qui « Netflix c'est le type qui se branle devant un porno, boit un Perrier et dit "Ah les femmes et le champagne !" ».
Le conseil d’administration de la société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs, l’ARP, a quant à lui regretté la polémique et cette prise d’otage du grand rendez-vous annuel. « Elle instrumentalise le Festival de Cannes et met surtout en lumière notre incapacité collective à moderniser notre système vertueux de financement et de diffusion des œuvres ». Sa cible : l’évolution de la chronologie des médias, dont les négociations restent bloquées depuis des années.