La mesure a été saluée au Parlement européen : la portabilité des contenus sera bientôt une réalité en Europe ! Après une longue gestation parlementaire, un abonné pourra profiter par exemple de ses films et séries TV dans les autres États membres. Mais les vannes sont loin d’être ouvertes.
Après l’étape devant la Commission européenne, ce 18 mai, les eurodéputés ont adopté la résolution législative sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil « visant à assurer la portabilité transfrontière des services de contenu en ligne dans le marché intérieur ».
Le texte, d’une quarantaine de pages, surfe sur la sacro-sainte liberté de circulation pour considérer que la portabilité des musiques, jeux, films, émissions, ou encore des manifestations sportives est une pierre angulaire du marché intérieur. Et pour cause, « les évolutions technologiques, qui ont entraîné la multiplication d’appareils portables tels que les ordinateurs portables, les tablettes et les smartphones, facilitent de plus en plus l’utilisation de services de contenu en ligne en donnant accès à ceux-ci indépendamment du lieu où se trouvent les consommateurs ».
L’idée est donc que le consommateur puisse avoir accès en Europe à des contenus acquis légalement dans son État de résidence, à savoir celui où il dispose d’une résidence « effective et stable ». Adieu géoblocage et autres barrières territoriales imposées par les accords de licence ! Seulement, à y regarder de plus près, pas d’empressement, car la révolution est limitée.
Le critère de la temporalité
D’abord, cette portabilité des Netflix, HBO Go, Amazon Prime, et autres Spotify ou Deezer ne concernera qu’une présence temporaire dans un autre État membre. Un déménagement ne permettra donc pas d’en profiter.
Le texte définit d’ailleurs l’expression « présent temporairement dans un État membre », par « le fait d'être présent dans un État membre autre que l'État membre de résidence pour une durée limitée ». Maigre apport qui laisse une belle marge de manœuvre pour jouer sur l’horloge ou l’agenda. Dit autrement, « temporaire », c’est entre quelques heures et 6 mois (moins un jour).
Lorsque le sujet était sur le grill européen, la France était d’ailleurs intervenue pour souligner qu’elle « sera attentive à ce que cette portabilité soit assurée de manière effective pour les déplacements temporaires sans remettre en cause le principe fondamental de l'exploitation des droits d'auteurs dans chaque État membre qui est au cœur du financement de la création et de la diversité culturelle ». En clair le sacro-saint droit d’auteur pourra réduire au strict minimum le critère de la temporalité. Une belle source de conflits en perspective.
Le critère de la rémunération
Autre limite : les services qui proposent des contenus à titre accessoires, une musique de fond sur un site de vente de marchandises en seront exclus. De même, cela ne frappera que les services fournis contre rémunération. La présence de publicité par exemple sur YouTube ne permet pas de remplir cette nouvelle case.
Il faudra d'ailleurs une vraie rémunération, sonnante et trébuchante. Le versement d’une redevance obligatoire ne permettra pas de répondre à cette condition, tout comme la présence de publicité qui aurait pu qualifier le service de commercial.
Pourquoi une telle limite ? Car « les fournisseurs de services de ce type sont en mesure de vérifier l’État membre de résidence de leurs abonnés » explique le texte source. Les sites devront d’ailleurs s’appuyer sur deux moyens de vérification, par exemple l’adresse de la facture, l’adresse IP de l’internaute, le numéro de compte ou de carte bancaire. La crainte des auteurs du texte était aussi que des utilisateurs contournent les règles territoriales pour se domicilier virtuellement dans un pays où les abonnements sont moins gourmands.
Les données collectées ne seront alors conservées pour la stricte durée nécessaire aux vérifications. Ceci achevé, elles seront « détruites immédiatement et de façon irréversible ».
Une porte entre-ouverte pour les services gratuits
L’inclusion des services gratuits n’a pas été jugée souhaitable au motif qu’elle « impliquerait un changement majeur de la manière dont ces services sont fournis et entraînerait des coûts disproportionnés ».
La porte n’est pas totalement fermée pour eux : ils pourront profiter du règlement à venir, mais « à condition qu’ils respectent les exigences relatives à la vérification de l’État membre de résidence de leurs abonnés ». Ils devront donc bétonner leurs vérifications pour espérer abaisser les barrières territoriales.
Last but not least, dans l’État membre, le fournisseur ne sera pas tenu de respecter les obligations de qualité auquel il est soumis dans le pays de résidence, sauf disposition contractuelle expresse.
Une entrée en vigueur dans plusieurs mois
« Les citoyens européens attendent depuis longtemps ces nouvelles dispositions, qui représentent une avancée vers un marché numérique commun » considère malgré tout Jean-Marie Cavada (ALDE) pour qui « ces règles renforcent la mobilité et permettent la portabilité du contenu en ligne pour les utilisateurs en Europe, sans pour autant affecter le droit d’auteur ».
L’eurodéputée Julia Reda ne partage pas l'enchantement de son collègue. Avec une série d’institutions, elle a publié une lettre ouverte pour considérer que ce texte ne devait être qu’une étape avant d’autres travaux pour faire tomber le géoblocking et assurer l'avènement d'une sphère commune en Europe.
Pour l'heure, le projet législatif adopté par 586 voix pour, 34 voix contre et 8 abstentions, n’est pas encore en vigueur. Après son adoption par le Conseil des ministres, chaque État membre disposera pour l’appliquer de neuf mois à partir de la date de publication au Journal officiel.