Le Conseil d’État a décidé aujourd’hui de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité aux Sages de la Rue de Montpensier. Cette QPC porte sur la surveillance en temps réel, prévue par la loi Renseignement, rendue nettement plus ample depuis la loi du 21 juillet 2016. Un dossier épineux pour le nouveau ministre de l'Intérieur.
La loi Renseignement autorisait la surveillance en temps réel d’une personne préalablement identifiée comme une menace terroriste. La loi du 21 juillet 2016 prorogeant l'état d'urgence et introduisant des mesures de renforcement de la lutte antiterroriste a considérablement étendu ces pouvoirs.
Depuis ce texte voté après l’attentat de Nice, les services peuvent coller leurs oreilles aux métadonnées d’une personne simplement « susceptible d'être en lien avec une menace ». Mieux, ces atteintes à la vie privée peuvent également porter sur l’entourage de cette personne dès lors que ce cercle est susceptible « de fournir des informations » sur la finalité antiterroriste.
Cette extension législative a été vertement dénoncée par French Data Network, la Fédération des fournisseurs d’accès à Internet associatifs et la Quadrature du Net qui en chœur avaient soulevé une QPC lors d’une instance devant le Conseil d’État. « En usant de l'expression "susceptible d’être en lien" avec une menace, le législateur a permis aux autorités administratives compétentes de placer des personnes sous surveillance à la faveur de simples soupçons et autres hypothèses » a regretté Me Patrice Spinosi, leur avocat.
Il faut dire que le Conseil constitutionnel avait validé sans sourciller la première mouture du texte lors de l’examen de la loi Renseignement. Au fil d’un test de proportionnalité, il avait estimé que l’atteinte à la vie privée était justifiée. Cette surveillance était notamment calibrée pour une durée de deux mois renouvelables et « uniquement à l'égard d'une personne préalablement identifiée comme présentant une menace ». Deux verrous qui ont justement sauté avec la loi de juillet 2016 : les délais ont été dédoublés et la surveillance peut depuis viser presque n’importe qui.
Le Conseil d’État, qui avec la Cour de cassation, joue le rôle de filtre des QPC, a jugé la question « sérieuse » notamment sur l’autel de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il a décidé de la transmettre au Conseil constitutionnel qui a désormais trois mois pour rendre sa décision. Il s’agit de l’un des premiers dossiers épineux sur le « Renseignement » pour Gérard Collomb, nouveau ministre de l’Intérieur. Au même moment, il aura à répondre aux différentes questions soulevées par la CEDH suite à un recours visant la loi de 2015 quant au statut des journalistes et des avocats.