L'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne a rendu hier un avis crucial concernant Uber. Saisie par la justice espagnole en juin 2015, il a estimé qu'Uber doit posséder les licences et agréments requis par le droit national en matière de transports de personnes.
Comment qualifier juridiquement Uber ? C'est l'épineuse question à laquelle la CJUE a dû répondre hier, non sans avoir potassé le dossier pendant de longs mois auparavant. En 2014, un syndicat espagnol de chauffeurs de taxis, Elite Taxi, avait formé un recours devant le tribunal de commerce de Barcelone, pour concurrence déloyale.
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L'association estimait en effet qu'Uber Spain n’avait pas le droit de fournir le service UberPop dans la ville de Barcelone, car ni ses chauffeurs, ni ses véhicules ne disposaient des licences et agréments requis par le règlement sur les services de taxi adopté par la municipalité.
Après avoir étudié le dossier, le tribunal avait considéré que la solution du litige nécessitait l'interprétation de plusieurs dispositions du droit européen, renvoyant donc plusieurs questions à la CJUE. Le nœud du problème était de déterminer comment qualifier les activités d'Uber au regard du droit de l'union, et de lister les conséquences qui en découlent. Sont-ce des prestations de services de la société de l'information, ou bien sont-ce des services de transport ?
Dans le premier cas, Uber profiterait du principe de libre prestation des services dans le domaine de la société de l'information, tandis que dans le second, les États membres seraient en mesure de réglementer son activité, s'ils le souhaitent. La réponse est donc importante, mais surtout plus compliquée qu'il n'y parait.
Une plateforme mixte ?
La première question à se poser et celle de savoir si Uber est une plateforme mixte. Maciej Szpunar, l'avocat général de la CJUE, se l'est posée, une partie du service rendu par l'entreprise se faisant par voie électronique, et l'autre non.
Seulement, pour obtenir ce statut, deux conditions sont à remplir. Premièrement, la prestation qui n'est pas fournie par voie électronique doit être économiquement indépendante de celle fournie par ce moyen. Un bon exemple pratique est celui des plateformes de vente de billets d'avion ou pour la réservation d'hôtels. Deuxièmement, le prestataire doit fournir l'intégralité du service, de manière à ce que les deux pans de la prestation forment un tout indissociable.
Problème, Uber n'est pas un simple intermédiaire. Uber contrôle en réalité la plupart des facteurs économiques de son service, estime l'avocat général, notamment les points suivants :
- Uber impose aux chauffeurs des conditions préalables pour l’accès à l’activité et pour sa poursuite,
- Récompense financièrement les chauffeurs qui accomplissent un nombre important de trajets et leur indique les endroits et les périodes où ils peuvent compter sur un nombre de courses important et/ou sur des tarifs avantageux,
- Exerce un contrôle, bien qu’indirect, sur la qualité du travail des chauffeurs, ce qui peut même conduire jusqu’à l’expulsion des chauffeurs de la plateforme,
- Détermine, dans les faits, le prix du service.
« Toutes ces caractéristiques excluent qu’Uber puisse être considérée comme un simple intermédiaire entre les chauffeurs et les passagers », relève Maciej Szpunar. Impossible donc de qualifier Uber de plateforme mixte dans ces conditions, d'autant plus que « dans le cadre du service mixte offert par la plateforme Uber, c’est indubitablement le transport, donc le service non fourni par voie électronique, qui est la principale prestation et qui lui confère son sens économique ». Patatras.
Un service de transport un peu particulier
De ce fait, oublions également la qualification de « service de la société de l'information » qui permettrait à la société de profiter du principe de libre prestation des services dans l'union. Reste donc la qualification de « service dans le domaine des transports ».
L'avocat général estime également qu'Uber n'est pas un service de covoiturage (façon BlaBlaCar), la destination étant choisie par les passagers du véhicule, et que les chauffeurs sont « rémunérés à concurrence d’un montant qui excède largement le simple remboursement des frais exposés ».
Sa conclusion : étant donné que le transport représente l'élément principal de la prestation économiquement parlant, et que la mise en relation entre clients et chauffeurs n'est qu'un fragment secondaire du service, il propose de qualifier le service offert par Uber de « service dans le domaine des transports ». Une deuxième gifle pour l'entreprise américaine.
Quelles sont les conséquences de cette classification ? Si la CJUE devait se ranger derrière l'avis de son avocat général, cela signifierait que chacun des États membres de l'Union européenne serait en mesure de soumettre Uber aux règlementations nationales concernant le transport de personnes, et de réclamer la détention de licences spécifiques, le cas échéant.
La CJUE doit maintenant trancher définitivement cette question avant de prononcer son arrêt. Une procédure qui pourrait bien encore réclamer quelques mois.