Donald Trump vient de limoger James Comey, directeur du FBI. Officiellement, ce renvoi tient à une série de lourdes erreurs qui auraient été commises dans la gestion d’un dossier particulier : les emails d’Hillary Clinton. Selon la Maison Blanche, la sanction a été demandée par le département de la Justice.
James Comey restera pour beaucoup celui qui a milité activement pour un affaiblissement du chiffrement et qui a tenu tête à Apple dans l’affaire San Bernardino. Nommé directeur du Bureau en 2013 par Barack Obama, il vient d’être limogé sans autre forme de procès par le nouveau président, Donald Trump. Une annonce qui crée la surprise aussi bien qu’une tempête.
Selon le (très court) communiqué officiel de la Maison Blanche, le président n'aurait fait que suivre les recommandations formulées par le ministère de la Justice, suite à l'affaire des emails d'Hillary Clinton. Rappelons que l’ex-candidate à la présidentielle américaine était sous le feu des critiques pour avoir géré des emails professionnels sensibles depuis une adresse personnelle, avec tous les risques de sécurité que l’on pouvait craindre.
Comme souvent, la situation n’est pourtant pas aussi simple.
Le licenciement choc
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le départ ne sera pas l’aboutissement d’une mécanique soigneusement huilée. Selon le New York Times, le directeur du FBI a appris son renvoi à la télévision hier soir. Alors en Californie pour rencontrer des responsables du FBI et très surpris, il aurait d’abord pensé à une fausse information.
Dans la lettre du président Trump à James Comey, on peut y lire que le renvoi prend effet immédiatement, ne laissant aucune période de répit pour un départ gracieux. Dans ce courrier, Trump indique qu’il est désormais crucial de restaurer la confiance du public dans le FBI en nommant un nouveau directeur.
Il est clairement indiqué par le président américain que ce départ est une conséquence des recommandations faites par Jeff Sessions (ministre de la Justice) et Rod Rosenstein (adjoint du ministre). Ce dernier avait d’ailleurs publié un rapport au vitriol sur l’enquête du FBI sur les emails d’Hillary Clinton.
Une accumulation d’erreurs pour le département de la Justice
En pleine campagne présidentielle, et alors qu’elle était considérée comme favorite, Hillary Clinton avait vu ses emails faire l’objet d’une enquête. Elle utilisait en effet un serveur privé pour traiter ses courriers, dont certaines contenaient des informations confidentielles. La crainte était alors que sa sécurité insuffisante puisse être exploitée pour nuire au pays.
C’est James Comey qui était chargé de l’enquête, le plaçant dans une situation délicate. Sans trop entrer dans les détails, on rappellera qu’il y eut alors deux grandes phases. En juillet 2016, le directeur du FBI déclare que la candidate Clinton a effectivement fait preuve de négligence mais, contre toute attente, indique qu’aucune poursuite n’aura lieu. Comme on l’imagine, les républicains ont peu goûté cette décision.
Trois mois plus tard, de nouveaux éléments montrent que plusieurs emails se trouvent sur l’ordinateur d’une conseillère de Clinton, Huma Abedin. L’enquête reprend alors, mais s’arrête très rapidement, créant la confusion en pleine campagne présidentielle. Deuxième vague d’indignations chez les républicains.
Selon le rapport de Rosenstein, James Comey a en effet commis deux erreurs lourdes. D’une part, il a fourni au Congrès la semaine dernière des chiffres erronés sur le nombre d’emails présents dans l’ordinateur de Huma Abedin. D’autre part, et surtout, ce n’était pas à lui d’annoncer l’arrêt de l’enquête, mais à la ministre elle-même, alors Loretta Lynch.
Problème, le renvoi de James Comey intervient avec un timing pour le moins curieux.
L’enquête sur les pirates « russes »
Ce calendrier, c’est celui d’une autre enquête en cours : les pirates (présumés) russes qui s’étaient attaqués au parti démocrate et avaient dérobé de nombreuses informations. Or, James Comey dirigeait l’investigation sur des liens éventuels entre ces pirates et le parti républicain.
Comme le rappelle Le Monde, l’enquête avait été confirmée à Donald Trump le 20 mars, une nouvelle fraichement accueillie. Une mauvaise nouvelle pour le candidat, suivie peu de temps après d’une autre : les allégations de Trump sur une éventuelle mise sur écoute ordonnée par Barack Obama étaient sans fondement.
Pour certains, notamment le sénateur Patrick Leahy, l’affaire est devenue « nixonienne », Donald Trump et son administration ayant des « choses à cacher ».
L’ombre du Watergate
Cette référence à Richard Nixon renvoie directement à un événement survenu pendant le scandale du Watergate. Nommé « massacre du samedi soir », il désigne le renvoi du procureur spécial, Archibald Cox, en novembre 1973, alors que le président était directement impliqué. Nixon pensait alors pouvoir y échapper.
Signalons à ce sujet que le limogeage d’un directeur du FBI est un évènement rare. Assez pour soulever immédiatement des questions, tant l’évènement est survenu peu souvent dans l’histoire américaine. Le dernier datait de 1993, quand Bill Clinton avait renvoyé Williams Sessions. Ce dernier était alors accusé d’avoir puisé dans le fonds du FBI pour ses propres besoins, notamment en empruntant un avion pour des voyages personnels.
Le « grand patron » est nommé habituellement pour dix ans, et son poste n’est pas affecté par les changements d’administrations présidentielles. James Comey avait été nommé en 2013 et aurait donc dû exercer sa fonction jusqu’en 2023.
Vague de réactions aux États-Unis
Le moins que l’on puisse dire est que ce renvoi provoque la surprise et la consternation outre-Atlantique, particulièrement du côté du camp démocrate.
Bernie Sanders, qui avait candidaté pour la primaire du parti contre Hillary Clinton, n’a pas masqué son point de vue. Sur Twitter cette nuit, il a ainsi indiqué, au sujet de Trump, que « la décision de renvoyer James Comey soulève de sérieuses questions sur ce que son administration cache ». Il va plus loin en déclarant que « quel que soit le candidat choisi par le président Trump pour diriger le FBI, il ne pourra mener l’enquête russe objectivement ». Conséquence ? « Nous avons besoin d’une enquête indépendante sur les liens de la campagne Trump avec la Russie ».
Donald Trump’s decision to fire FBI Director James Comey raises serious questions about what his administration is hiding.
— Bernie Sanders (@SenSanders) 9 mai 2017
Avis partagé globalement dans le camp démocrate, particulièrement par la sénatrice de Californie, Kamala Harris. Retweetant un journaliste du New York Times, elle a ajouté qu’il était urgent désormais de nommer un « procureur spécial pour diriger l’enquête du FBI sur la Russie ». Même son de cloche pour le sénateur Tim Kaine, qui liste sur Twitter les renvois prononcés par Donald Trump, et qui constituent selon lui un faisceau d’éléments « que la Maison Blanche veut cacher ».
Et comme l'indique le Wall Street Journal, ce n'est pas le premier rendez-vous officiel du président après le renvoi de James Comey qui risque de faire taire les murmures : Donald Trump rencontre aujourd'hui Sergei Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères.
Le FBI dans l’attente d’un nouveau directeur
Quoi qu’il en soit, le Bureau travaille actuellement sans directeur. L’administration Trump a promis qu’un nouveau responsable serait nommé très rapidement. En attendant, James Comey sort du paysage politique, et avec lui plusieurs années de prises de position contre le chiffrement.
Il est particulièrement connu pour son avis tranché dans le choc qui l’a opposé à Apple autour d’un iPhone 5c trouvé sur les lieux d’une fusillade à San Bernardino. Apple ne pouvait pas pénétrer les défenses de son propre système, la clé de chiffrement tenant compte du code PIN à six chiffres choisi par l’utilisateur. Après des mois de passes d’armes, le FBI avait finalement investi dans une faille de sécurité pour contourner le problème, Apple cherchait alors à en récupérer les détails.
Plus récemment, Comey avait à nouveau confirmé son opinion sur le chiffrement : il empêcherait une partie des enquêtes d’avancer. Il avait annoncé son soutien à la sénatrice Dianne Feinstein dans son projet de loi visant à imposer aux entreprises de faciliter l’envoi des informations réclamées dans le cadre des enquêtes.
Mais même si James Comey ne dirige plus le FBI, son remplaçant pourrait bien avoir la même opinion que lui dans ce domaine. Après tout, Donald Trump avait largement soutenu l’ancien directeur dans son combat contre Apple.