Interview de Jérémie Zimmermann (LQDN) sur la conférence de Dubaï

Clair et Net

Alors que les négociations relatives à la conférence de Dubaï continuent, le porte-parole de La Quadrature du Net, Jérémie Zimmermann, vient d’accorder une interview à PC INpact à ce sujet.

uit rti dubai

 

Pour mémoire, Jérémie Zimmermann est aussi le co-fondateur de La Quadrature du Net. Notons qu’il fut récemment récompensé d’un « Pioneer Award », prix remis par l’Electronic Frontier Foundation en raison de son combat contre le traité ACTA, rejeté le 4 juillet dernier par le Parlement européen.

 

Les négociations relatives à la révision du Règlement des télécommunications internationales (RTI) semblent s’intensifier à Dubaï. Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur le sommet de l’UIT ?


Les cris d’orfraie que l’on entend venir d’acteurs en grande partie américains me semblent tout à fait déplacés. Ils nuisent de surcroît à la bonne compréhension du sujet. Ce n’est pas aussi simple que « UIT veut tuer Internet ». Il peut certes potentiellement sortir quelque chose de très moche de cette conférence, mais on ne peut pas encore le savoir. Quoi qu’il arrive, il va falloir du temps pour arriver à un accord. Et il y a de grandes chances que cet accord soit de toute façon non-contraignant pour les signataires.

 

Une des propositions vise précisément à faire du RTI un accord contraignant, mais je ne sais pas ce qu’il en est de ses chances d’adoption. Le fait est que chacun des participants de l’UIT envoie des propositions, si farfelues soient-elles, et qu’elles peuvent éventuellement être adoptées après un vote, si elles sont l'objet d'un consensus. Par conséquent, on n’a pas la moindre idée aujourd’hui de ce qu’il sortira de ces négociations, ni même de si quelque chose en sortira.

 

Vous regrettez cette tournure ?


J’ai peur que ces appels lancés récemment masquent la réalité, qui est celle du contrôle de l’internet par les gouvernements. La Chine n’a pas attendu l’UIT pour contrôler toutes les communications Internet de sa population. La France n’a pas attendu l’UIT pour se retrouver depuis deux ans dans la liste des pays considérés comme « ennemis d’Internet » par l’association Reporters Sans Frontières. Les États-Unis ont encore moins attendu l’UIT pour saisir par exemple en 2008 310 noms de domaines par l'intermédiaire de Verisign, comme par exemple Rojadirecta.com, qui avait pourtant été déclaré légal par un juge espagnol. Et encore plus ironiquement que ça, les États-Unis ont encore moins attendu l’UIT pour saisir il y a un peu plus d’une semaine, juste avant le début des négociations, 132 noms de domaines européens. Même si le communiqué de presse parlait d’une opération de coopération, il s’agissait bien d’une initiative du gouvernement américain.

 

Une première à ma connaissance, dont l'impact politique est énorme. Dans ces conditions, tous les autres pays du monde pourraient légitimement penser que trop de pouvoirs sont concentrés entre les mains des américains et pourraient légitimement essayer, au travers d’un mécanisme un petit peu transparent, de récupérer un petit peu de ce pouvoir. Ceci est compréhensible et devrait être débattu comme tel... Mais j’ai peur au contraire que cette campagne contre l'UIT fasse un peu écran de fumée sur des réalités - certes complexes - sur ces questions de gouvernance et de prise de contrôle d'Internet par les gouvernements.

 

Vous avez participé à la consultation publique lancée par le gouvernement au mois d’octobre, en vue de la préparation de la position officielle de la France. Quels retours avez-vous eus de la part des autorités ?


Nous n’avons eu aucun retour. Rien n’a été publié au sortir de la consultation avant le début des négociations. Cette consultation était donc bien un écran de fumée, une sorte de soupape ouverte par l’UIT et les gouvernements face à la montée des contestations.

 

La vraie question, je ne pense pas que ce soit tant « quelle gouvernance pour l’internet ? », mais plutôt « est-ce qu’il y a besoin d’une gouvernance politique de l’internet prise en main et gérée par les gouvernements ? ». Jusqu’à présent, cette gouvernance a été en grande partie technique - mais pas seulement, puisque toute décision technique a en réalité un impact politique - et établie sur les grands standards techniques (TCP/IP, http, etc), à travers des organismes comme l’IETS ou le W3C. Ce mode de gouvernance n'est certes pas parfait, mais il a jusqu’à présent permis de développer l’internet et il n’y a pas de démonstration flagrante qu’il y ait besoin d’une prise en main politique de cette gouvernance, sinon pour des questions de contrôle.

 

Il faut donc voir cette consultation du gouvernement français comme les autres consultations des autres gouvernements : dans le cadre d’un jeu politique. Il s’agit évidemment d’un rapport de force, d'occuper l'opposition et de la diviser et de se donner des alibis...

 

france UIT dubai

Crédits : itupictures (CC BY 2) - Flickr.

 

 

Comment jugez-vous cette absence de position ? Laure de la Raudière a récemment parlé d’une « reculade », déplorant au passage que le gouvernement reste « muet » sur la neutralité du Net. Partagez-vous cette opinion ?


Bien sûr ! Sur tous les aspects, que ce soit sur la Hadopi - où le gouvernement fait à peu de choses près ce qui avait été fait avant et avec les mêmes méthodes - ou sur la neutralité du Net, les actions du gouvernement ne sont pas cohérentes. Une promesse de campagne était d’imposer la neutralité du Net dans la loi. Aujourd’hui, Fleur Pellerin organise une table ronde alors qu’on attendait une proposition de loi...

 

Au niveau international, on voit même la France continuer d’agir à l’avant du peloton des « talibans du copyright » quand il s’agit de négocier à l’OMPI ou même au sein des institutions européennes en général. Il y a un manque de cohérence flagrant entre les promesses de campagne et la politique menée. Ceux qui pensaient que « le changement c’était maintenant » doivent faire face à une sacrée désillusion...

 

Merci Jérémie Zimmermann. 

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