France THD : à Bruxelles, un opérateur attaque toujours la montée en débit

France THD : à Bruxelles, un opérateur attaque toujours la montée en débit

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Guénaël Pépin

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Droit

03/05/2017 8 minutes
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France THD : à Bruxelles, un opérateur attaque toujours la montée en débit

La plainte de 2015 de l'opérateur radio Infosat contre une opération de montée en débit, datant de 2012, est toujours instruite par la Commission européenne. Cette dernière semble avoir chaussé les lunettes de Bercy sur le dossier, après avoir validé le plan français en novembre. Les conséquences pour l'opérateur, elles, sont importantes.

Les déboires du plan très haut débit (France THD) ne sont pas terminés en Europe. Malgré la validation du dispositif français par la Commission européenne en novembre (voir notre analyse), la plainte d'un opérateur radio est toujours activement instruite par l'institution européenne. Il s'agit de celle d'Infosat, que nous avions révélée en 2015, ciblant une opération de montée en débit en Normandie (soit l'amélioration du réseau cuivre d'Orange, subventionnée par les collectivités en attendant la fibre).

La plainte à la Commission européenne alimente son enquête sur le plan français. À l'été 2015, elle estimait que des opérations de montée en débit antérieures au plan France THD (dont le cas d'Infosat) était « des aides d'État illégales ». Elle contribue à ralentir le dossier, la validation du plan étant vécue comme un traumatisme par la direction générale des entreprises (DGE) à Bercy, dont des proches reconnaissent que la montée en débit a été le principal point de discorde.

Contactée, la Commission européenne nous confirme qu'elle « continue à instruire une plainte sur ce sujet », sans plus de détails. Selon nos informations, sa dernière réponse complète date de fin février. Pour sa part, la DGE à Bercy est bien au courant que l'affaire est toujours en cours, même si elle n'a « pas eu d'information récente de la part de la Commission sur ce dossier ». Du côté d'Infosat, le problème posé par cette opération de montée en débit est bien concret.

Le redressement judiciaire évité de peu

Infosat est sur un créneau difficile, comptant sur un réseau WiMAX dans une zone avec de la montée en débit sur le réseau cuivre. Pour mémoire, le WiMAX a été le sujet de nombreuses désillusions pour les opérateurs l'exploitant, les performances commerciales étant souvent décevantes. En début d'année, l'Arcep a d'ailleurs retiré les licences de plusieurs réseaux, dont certains ont fermé il y a quelques années.

Pour Infosat, les difficultés de son réseau normand ont signifié un plan social de quatre personnes sur les 12 employés de l'entreprise, évitant un redressement judiciaire. Son PDG, François Hedin, nous dit être payé au SMIC depuis deux ans. Avec une augmentation de capital, elle aurait « épuré les dettes sociales et fiscales » de 300 000 euros fin 2016.

Il resterait encore 200 000 euros dus aux fournisseurs et en emprunts. « On sera totalement propres fin juin 2017, mais les pertes sont de l'ordre de 600 000 euros avec celle de 300 clients » nous affirme Hedin. Remontons le fil.

Sept ans d'exploitation

En 2010, Infosat achète 1 000 euros le réseau Wi-Fi et WiMAX Numériseine au conseil départemental de Seine Maritime, pour en améliorer les débits. Au total, le petit opérateur affirme avoir investi 800 000 euros, passant le réseau de 500 abonnés en 2010 à 1 500.

En 2012, quatre communautés de communes couvertes par ce réseau commandent une montée en débit à Orange (via l'offre PRM), pour un montant de 2,8 millions d'euros (dont un million venant du fonds européen FEADER).

Après des discussions infructueuses, Infosat porte plainte, réclamant 445 000 euros à la communauté de communes de la Côte d'Albâtre et au syndicat mixte qui gère le projet. En vain, le tribunal administratif de Rouen déboute l'entreprise de sa demande en avril 2015. Cette dernière porte l'affaire devant la cour d'appel administrative de Douai, à nouveau rejetée à ce stade.

La Commission européenne suit l'analyse de l'État

Pour sa part, la Commission européenne semble se caler sur l'analyse du ministère de l'Économie. Dans une lettre datée du 23 février, que nous avons obtenue, elle détaille à Infosat ses constatations préliminaires. L'opération de montée en débit qu'attaque l'opérateur (antérieure au plan France THD) respecte bien la réglementation européenne, selon elle, et ne constituerait pas une aide d'État.

Pour l'institution, l'important est que la montée en débit s'est effectuée via un marché public ouvert, sur une zone que ne couvre pas déjà un réseau très haut débit (« NGA »). La couverture du territoire par le réseau radio d'Infosat, limité à 10 Mb/s en débit descendant, n'importerait donc que peu. Infosat y répond qu'il n'a pas accès au réseau de collecte d'Orange, qui permettrait selon lui de dépasser le seuil des 30 Mb/s, donc du très haut débit, via la technologie Airmax.

Selon la Commission, qui s'appuie sur son analyse de France THD, tout est donc conforme au régime des aides d'État. Elle a donc proposé de clore le dossier sans réponse d'Infosat sous un mois. L'opérateur lui a répondu le 7 mars, avec quelques éléments supplémentaires.

Une régulation qui favoriserait le cuivre

Dans sa réponse, Infosat affirme que son réseau n'atteint pas le seuil du très haut débit (30 Mb/s) à cause du réseau de collecte d'Orange, qui lui reste inaccessible. « Le régulateur français [l'Arcep] a toujours mis en place des technologies radio les moins concurrentielles permettant de garder le monopole du cuivre » estime l'entreprise.

À la Commission européenne, la France déclarait ne pas avoir de levier concret pour amener Orange à agir au-delà de ses obligations légales sur la collecte. Dans une décision de 2015, l'Arcep jugeait que l'opérateur historique ne peut pas différencier l'utilisation de son réseau de collecte (notamment surfacturer la pose d'équipements dans ses armoires) pour des réseaux radio. Cette décision est l'objet d'un recours de la part d'Orange devant la cour d'appel de Paris, pour un verdict attendu à la mi-juin, nous indiquait l'Arcep.

Un réseau accusé d'être peu évolutif

Pour Infosat, que la montée en débit puisse consister en une demande à Orange d'améliorer son réseau téléphonique (via l'offre PRM) est un problème. La montée en débit reviendrait à une commande directe d'une collectivité à Orange, sur un réseau particulier, sans qu'Infosat ait pu concourir avec ses solutions radio.

Dans le cas de l'opération en Normandie, les communautés de communes auraient obtenu la pose de 12 fibres optiques, sans ajout de « fibres surnuméraires » pour le passage à la fibre ou l'alimentation de réseaux radio. « Il s'agit donc du renforcement du réseau d'Orange et a son seul profit » tacle l'entreprise.

Ces détails techniques semblent aujourd'hui bien éloignés des préoccupations de la Commission, qui se focalise sur les procédures d'appel d'offres, sans remise en cause des analyses françaises... Pour mémoire, l'Arcep recommande elle-même la pose de fibres surnuméraires, qui est une pratique commune (voire nécessaire) dans le cadre de France THD.

Des appels d'offre incluant les technologies radio

Infosat dit n'avoir aucun contact avec le ministère de l'Économie depuis une réunion en septembre 2015, avec la mission Très Haut Débit et la Fédération des industriels des réseaux publics (Firip), impliquée dans le dossier à l'époque. Cette implication avait causé la fureur de Bercy, qui a cédé sur la place des réseaux radio (dont 4G fixe) dans le plan. Désormais, la Firip semble déconnectée de la plainte, n'ayant d'ailleurs pas répondu à nos sollicitations sur le sujet.

Selon la lettre de la Commission datée de février, la France a répondu pour la dernière fois au début du même mois.

Aujourd'hui, l'opérateur radio évalue ses pertes à 510 840 euros (pour 292 abonnés potentiels), en plus de 77 265 euros dus à son plan social. Un trou de trésorerie, pour lequel il réclame la compensation par la préfecture de région. Il demande aussi la modification de tous les appels d'offre pour la montée en débit, dans le but que les opérateurs de réseaux radio puissent y répondre.

« Infosat Télécom et les autres opérateurs radio ont perdu plusieurs pourcents de part de marché sur un marché de montée en débit estimé à plus de 7 000 PRM à un prix unitaire de 150 à 250 000 euros, soit un marché total minimum d'un milliard d'euros » estime-t-il. Lors de la validation de France THD, Bercy indiquait que les offres régulées d'Orange (sur la montée en débit et la collecte) sont difficilement modifiables aujourd'hui. Le combat d'Infosat risque donc encore d'être long.

Écrit par Guénaël Pépin

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Sommaire de l'article

Introduction

Le redressement judiciaire évité de peu

Sept ans d'exploitation

La Commission européenne suit l'analyse de l'État

Une régulation qui favoriserait le cuivre

Un réseau accusé d'être peu évolutif

Des appels d'offre incluant les technologies radio

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Commentaires (8)


L’Internet débarque en Normandie <img data-src=" />


vendre le réseau 1000€. La com com d’Albatre ils ont tellement d’argent qu’ils ne savent plus quoi en faire. Merci la centrale !




La Commission européenne suit l’analyse de l’État

Je ne m’y connais pas fort, mais la commission européenne est bien composée des représentants des états, justement ? Du coup, ça paraît logique…


La Commission européenne est un organe “indépendant”, et sa direction de la concurrence (DGComp) a des analyses qui peuvent grandement différer de celles des pays de l’UE. C’est le cas dans l’affaire des 13 milliards d’euros qu’Apple doit à l’Irlande, par exemple ; la DGComp réclame le versement des sommes, dont ne veut pas aujourd’hui l’Irlande.



Que la Commission suive l’analyse française (qu’elle a décortiquée pendant deux ans, avant de la valider) n’allait pas forcément de soi au départ.&nbsp;<img data-src=" />


habile, merci !



On devrait vraiment expliquer comment ça marche ce bazar, c’est pas évident&nbsp;<img data-src=" />


sauf que les politiques préfèrent taper sur l’EU plutôt d’expliquer comment ça marche… <img data-src=" />


D’une manière générale, c’est toujours la faute des autres (discours victimaire) quand ça ne va pas, c’est toujours grâce à soi (discours égocentrique) quand ça plait au grand public.


Le passage



“Dans le cas de l’opération en Normandie, les communautés de communes

auraient&nbsp;obtenu la pose de&nbsp;12 fibres optiques,&nbsp;sans ajout de « fibres

surnuméraires » pour&nbsp;le passage à la fibre ou&nbsp;l’alimentation de réseaux radio.&nbsp;« Il s’agit donc du renforcement du réseau d’Orange et a son seul profit » tacle l’entreprise.”



rejoins une discussion récente sur le même sujet…



Je ne connais pas les tenants & aboutissants mais la formulation laisse penser que la communauté de commune est déjà “chanceuse” d’avoir obtenu 12 fibre, soit le minimum imposé par l’ARCEP sur le PRM…

&nbsp;Surtout elle est censée avoir la possibilité d’en commander plus, mais bon, semble-t-il, Orange est déjà magnanime de leur en avoir posé 12 à leurs frais , donc…. faut pas demander la lune à Orange, hein :-)



(On se plaint souvent de l’omniprésence du lobbying , mais il marche tellement bien…)