Une dizaine de chercheurs expérimentent en ligne différents modes de scrutin, par notes ou par approbation. Une manière de varier du scrutin majoritaire actuel, en pesant dans le débat autour des élections. D'un point de vue scientifique, l'intérêt des données récoltées est par contre moins évident.
Les modes de scrutin alternatifs ont droit à plusieurs expérimentations. En parallèle de l'essai du jugement majoritaire par LaPrimaire.org (voir notre entretien) ou l'élection alternative, une équipe de chercheurs a lancé Voter Autrement.
Il s'agit ici d'un parcours rapide permettant de noter et classer les candidats à la présidentielle. Lancé fin mars, cette expérimentation doit durer jusqu'au second tour. Elle compte déjà plus de 23 000 participations. Elle est menée par une dizaine de chercheurs des universités de Caen-Normandie, de Grenoble-Alpes, de Paris Dauphine, de Saint-Étienne et de Strasbourg, pour partie derrière des campagnes similaires depuis 2007, dans des bureaux de vote.
« Dès 2012, ils ont commencé à travailler sur le vote en ligne » via Vote au pluriel, nous déclare Sylvain Bouveret, enseignant-chercheur à l'Ensimag de Grenoble, qui a conçu l'outil en ligne cette année. Le dispositif en ligne, qui se veut massif, est lié à une expérimentation physique dans cinq bureaux de vote au premier tour, trois en Isère (dont un à Grenoble), un près de Caen et un à Strasbourg, où des chercheurs sont disponibles.
L'ensemble est en travail depuis la fin 2016, avec deux buts : obtenir des données sur lesquelles travailler et « montrer, de manière ludique, ce qu'est la théorie du vote ». D'un point de vue scientifique pourtant, tout n'est pas aussi simple.
Tester des modes de scrutin déjà connus
L'objectif premier est surtout de mettre en pratique des valeurs sûres du vote. « Ce sont des modes de scrutin très classiques en théorie du vote, donc déjà bien étudiés, aux propriétés théoriques connues. Ils sont, aussi, simples à expliquer » nous affirme l'équipe. « Le test peut être pris en cinq minutes, ça nous semble être un bon compromis. »
Cinq modes sont proposées à chaque internaute, avec des classements par note (avec des échelles de « -1 à 2 » ou de « 0 à 3 ») et des classements par approbation (par exemple du préféré au plus honni). Le choix et l'ordre est « semi-aléatoire » pour chaque participant, la structure restant la même (note, autre mode, note...). Les candidats, eux, sont affichés dans un ordre aléatoire, sauf en version papier, où il est calqué sur celui du Conseil constitutionnel.
Un exemple de vote par approbation, avec ordre aléatoire des candidats
L'outil doit permettre de confirmer des subtilités, par exemple dans les notes qui peuvent démarrer à « 0 » ou « -1 ». « Ce qu'a montré l'expérimentation précédente, c'est que le changement d'échelle induit un comportement différent. Cela a un rôle dans la note des petits candidats, que les électeurs connaissent peu » nous explique Sylvain Bouveret. Avec une échelle à « 0 », les candidats « inconnus » et honnis auront souvent la même note, alors qu'avec « -1 », ceux que le participant ne connaissent pas restent à « 0 » et ceux peu appréciés passent à « -1 ».
L'intérêt de l'expérience sur ces modes connus serait que « le contexte n'est pas le même en 2017 qu'en 2012 », ce qui peut induire des résultats différents. Cela doit aussi permettre de contribuer au débat. « De plus en plus de gens se questionnent sur les modes de scrutin. On a une mission scientifique qui est d'occuper le terrain, de proposer des expérimentations et de fournir des informations fiables pour le débat » répond Bouveret, pour qui il ne faut pas laisser cette responsabilité à des groupes partisans.
Un jugement majoritaire exclu
Les chercheurs derrière Voter Autrement sont bien au courant de l'essai du jugement majoritaire, et connaissent une partie de l'équipe. Pourtant, ce mode de scrutin est exclu de leur propre initiative, même si elle est réclamée par des participants.
« Le jugement majoritaire nous paraît trop compliqué à expliquer pour être intégrable dans une expérimentation de ce type » déclare Sylvain Bouveret, qui salue l'effort de simplification effectué par ses confrères. La méthode de départage (notamment des ex-aequo) est aussi jugée trop complexe pour être intégrable, sans parler de résultats qui peuvent être contre-intuitifs dans certains cas.
Sont aussi exclus les classements complets des candidats, trop contraignants. « On a conservé les modes qui fonctionnent, avec un classement incomplet ou des notes » confirme l'équipe. Elle a aussi évité de s'associer à une association citoyenne, pour éviter de sortir de sa neutralité scientifique. Leurs collègues, à l'origine du jugement majoritaire, seraient bien dans la promotion d'un mode de scrutin.
Une représentativité très modérée
L'outil de vote en lui-même n'est « pas vraiment » open source. Le code n'est pas publié mais est disponible sur demande, par exemple pour le contrôler scientifiquement. « Ça n'a pas vocation à être réutilisé, ça a été développé de manière ad hoc, un peu hâtive » défend Bouveret.
L'équipe affirme retenir le moins de données personnelles possibles, excluant toute adresse IP ou géolocalisation. « Les seules données personnelles qu'on demande, outre les opinions politiques, sont simplement le code postal et la ville, pour savoir où les gens votent » assure le chercheur. L'approche va à l'inverse de l'essai du Jugement majoritaire, qui passe par Facebook Messenger pour authentifier chaque votant.
Le revers de la médaille est qu'il est impossible de garantir la représentativité du vote. « On n'a aucune garantie, vous pouvez voter dix fois » reconnaît l'équipe, qui constate déjà des biais « extrêmes ». « Sur les 20 000 premiers participants, 19 000 viennent d'études supérieures et 15 000 ont moins de 40 ans » détaille-t-elle.
Illustration du vote par classement
Des données publiées à partir de fin juin
Ce problème doit être tempéré par les données en bureau de vote, avec la garantie qu'une personne ne participe qu'une fois, des statisitiques plus précises et la possibilité de corriger au regard des votes effectifs. Il reste « scientifiquement, on ne pourra tirer aucune conclusion de ce jeu de données » obtenu en ligne.
L'intérêt reste que ces données sont nombreuses. « Tout un pan scientifique s'intéresse au choix social de manière informatique, avec un besoin crucial de jeux de test sur des données pratiques » pour entrainer des algorithmes, affirme Sylvain Bouveret, qui estime qu'il est possible de partir d'hypothèses raisonnables, avec des électeurs de bonne foi ne votant qu'à une reprise.
L'ensemble des données doivent être publiées sous un format exploitable, dès fin juin, après les législatives. « Ce n'est pas naturel chez les économistes, qui n'ont pas une culture d'ouverture des données » note d'ailleurs notre interlocuteur, qui dit avoir posé très tôt le besoin de publication.
Un dispositif adapté pour l'entre-deux tours
En attendant, l'outil sera revu pour l'entre-deux tours, avec des questions légèrement modifiées. Une fois neuf candidats éliminés, dès dimanche soir, le questionnaire demandera aux internautes s'ils ont des regrets quant à leur vote et pour qui ils comptent finalement voter.
La suite, elle, reste à écrire. Aucun dispositif n'est prévu pour les législatives, la présidentielle demandant déjà beaucoup de travail à l'équipe, quand 2022 reste encore une inconnue pour les chercheurs, qui doivent déjà travailler sur les données qu'ils recueillent en ce moment.