Plusieurs télescopes se sont unis afin de tenter de prendre en photo Sagittarius A*, le trou noir supermassif au centre de la Voie lactée. Il se trouve à 25 000 années-lumière et nécessite donc une grande précision pour voir aussi loin. Pour savoir si l'expérience a fonctionné, il faut maintenant attendre plusieurs mois, le temps de traiter les données.
C'est en partant du principe de base que plus un télescope est gros, plus il permet de voir loin avec des détails fins (en schématisant), que le projet mondial Event Horizon Telescope (EHT) s'est monté. Il associe des télescopes du monde entier (de l'Europe au pôle Sud en passant par le continent américain) pour en créer un virtuellement de la taille de la Terre. Le but ? Simplement d'obtenir une image d'un trou noir, une première.
Par définition, il est bien difficile d'observer un trou noir...
Dans le lot des partenaires de l'EHT, se trouve l'IRAM, l'institut de radioastronomie millimétrique financé en partie par le CNRS français et la société Max-Planck-Gesellschaft allemande. Il met à disposition son savoir-faire et son observatoire de Pico Veleta, dans la Sierra Nevada espagnole. C'est là d'ailleurs la seule plateforme européenne à participer à cette expérience. Elle sera rejointe en 2018 par celle du plateau de Bure dans les Hautes-Alpes françaises.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, commençons par un rappel important : en astrophysique, un trou noir est un objet céleste tellement massif, avec un champ gravitationnel si intense, qu'il empêche toute forme de matière ou de rayonnement de s'échapper. Puisque même la lumière ne peut pas en sortir, ils ne sont évidemment pas observables directement, c'est on ne peut plus logique...
... mais on peut essayer sur son « horizon »
Il existe néanmoins une autre manière, explique l'IRAM : « la limite au-delà de laquelle la lumière (et évidemment toute la matière) est piégée par le trou noir a été appelée l’horizon du trou noir. Au moment où la matière franchit cette limite, la théorie prévoit qu’une dernière bouffée de lumière est émise, comme un dernier témoignage avant de sombrer dans le trou noir ».
Cette lumière se trouve sur des longueurs d'onde millimétrique. Elle peut donc théoriquement être observée afin de cartographier l'horizon du trou noir et, par extension, de deviner celui-ci. Les scientifiques ont ainsi décidé de se pencher sur le cas de Sagittarius A*, le trou noir au centre de notre Galaxie.
La difficile représentation des trous noirs, à partir des calculs
Pour en savoir davantage sur la représentation des trous noirs et sur les différents effets observables, nous ne pouvons que vous inciter à regarder la vidéo de la nuit des ondes gravitationnelles du CNRS. La partie concernant les trous noirs se trouve à partir de 3h37, mais l'ensemble de la vidéo peut intéresser les amateurs d'espace :
Plusieurs explications intéressantes sont données, avec un rappel pour commencer : « Un trou noir, on n'en a jamais vu en vrai. Tout ce qu'on peut faire, c'est utiliser les lois de la physique, qu'on suppose connues, et essayer d'imaginer comment on le verrait si on était près. Mais c'est forcément une reconstruction, c'est forcément un calcul », en se basant sur la relativité générale.
D'où l'importance d'une première photo. Dans la vidéo, le film Interstellar et son trou noir Gargantua sont pris en exemple (voir la photo d'illustration en tête d'actualité) : dans le cercle noir, il y a un petit trait à l'intérieur qui fait tout le tour : « c'est de la lumière qui vient de derrière le trou noir, qui a fait un tour du trou noir et qui vient vers vous. Ça fait un anneau, c'est un effet qu'on peut calculer ».
Ensuite, concernant l'anneau qui est « devant » le trou noir : « la partie du dessous de l'anneau, c'est celle qui est derrière, qui normalement nous serait cachée, mais du fait de la gravité importante du trou noir, la lumière est attirée et recourbée vers vous ; comme une loupe ». L'enjeu de cette première image est donc important puisqu'elle peut permettre de valider la théorie. Sa qualité n'est donc pas spécialement importante, mais son analyse le sera certainement beaucoup plus.
À 25 000 années-lumière, il faut une bonne paire de jumelles
Pour rappel, Sagittarius A* pèse environ 4 millions de fois la masse de notre Soleil et se trouve à environ 25 000 années-lumière de la Terre, soit... plus de 230 000 000 000 000 000 km, excusez du peu. À titre comparaison, la sonde Voyager 1 est à 38 « heures lumières » seulement, soit 20 000 000 000 km de nous (juste à côté comparé au trou noir)
Autant dire qu'il est loin, très (très) loin de notre système Solaire – heureusement d'ailleurs –, le rendant particulièrement difficile à observer avec nos télescopes actuels. Au lieu de tenter d'en construire un gigantesque, avec toutes les contraintes physiques et économiques engendrées par un tel projet, l'idée d'EHT est d'utiliser les ressources disponibles et de « combiner plusieurs observatoires comme s'ils étaient des petits fragments d'un miroir géant » explique l'institut de radioastronomie millimétrique.
Une précision redoutable pour l'EHT
Le résultat est impressionnant, au moins sur le papier. En effet, toujours selon l'institut de radioastronomie millimétrique, « la résolution angulaire maximum du EHT est de 26 micro-secondes d'arc, ce qui correspond à la taille d'une balle de golf sur la lune, ou de l'épaisseur d'un cheveu vu à 500 km de distance ! ».
L'air de rien, le défi technique est important puisqu'il faut que les télescopes soient parfaitement synchronisés pour obtenir une image finale exploitable. Des horloges atomiques sont ainsi utilisées par chaque observatoire. S'ajoutent ensuite les caprices de la météo : « la probabilité d'avoir vraiment un beau temps sur chaque site est presque nulle » explique Vincent Fish, un scientifique du MIT et membre de l'EHT, au National Geographic.
Plusieurs mois pour traiter les données
Au cours des derniers jours, les scientifiques ont donc « photographié » Sagittarius A*, mais façon puzzle puisque chacun apporte sa pierre à l'édifice. « En combinant les données, les images vont se former » explique Michael Bremer de l'IRAM à nos confrères de l'AFP, avant d'ajouter que « les résultats vont se faire attendre pendant plusieurs mois ».
Chaque observatoire a enregistré tellement de données (il serait question de 500 To pour chacun des sites) qu'il n'est pas envisagé de les transmettre par voie électronique. La méthode retenue est de les transférer via des disques durs (plus d'un millier par observatoire) pour rapatrier l'ensemble au MIT et au Max Plank Institute. Et encore, c'est sans parler du cas de l'observatoire du pôle Sud, qui doit attendre la fin de l'hiver avant de pouvoir envoyer ses disques durs (en octobre).
Les ordinateurs feront la suite en traitant les données, mais il faudra probablement attendre 2018 pour avoir la première image d'un trou noir, si tout se passe comme prévu bien évidemment. C'est donc probablement le temps de tirage d'une photo le plus élevé au monde.