Le nouveau directeur de la CIA, Mike Pompeo, n’a pas mâché ses mots pour décrire WikiLeaks et son fondateur, Julian Assange. Des éléments nuisibles selon lui, l’organisation agissant littéralement comme « une agence de renseignement sans État ».
Avec la publication continue de documents sur les techniques de surveillance de la CIA, Wikileaks s’exposait tôt ou tard à une réaction de l’agence américaine, restée curieusement silencieuse jusqu’à présent.
Depuis plusieurs semaines, l’organisation de Julian Assange publie avec régularité des informations sur les outils utilisés par la CIA pour s’introduire dans les ordinateurs, smartphones et autres durant ses campagnes ciblées. Des informations regroupées sous l’appellation « Vault 7 » certes plus ou moins fraiches, puisqu’une bonne partie des failles de sécurité révélées étaient déjà corrigées par les entreprises concernées (Apple, Google, Microsoft, etc.).
Plus récemment, Wikileaks a surtout fourni des renseignements sur Marble, une trousse à outils conçue pour permettre aux agents de masquer la provenance des attaques. Ils peuvent non seulement brouiller les pistes, mais également réorienter les enquêteurs dans de fausses directions, en faisant passer par exemple un malware comme un produit chinois ou russe. En termes d’images, les révélations sur Marble sont les plus inquiétantes pour la CIA.
Une CIA très en colère
Mike Pompeo, nouveau directeur de la Central Intelligence Agency, a pris la parole hier lors d’une conférence organisée au Center for Strategic and International Studies (CSIS), devant de nombreux membres de la communauté américaine du renseignement. Pour la première, il y a exprimé son point de vue sur Wikileaks, Julian Assange et plus globalement les activités de l’organisation, avec une petite piqure de rappel sur le cas Snowden au passage.
Un discours particulièrement tranché, un ton devenu une marque de fabrique de l’administration Trump qui a nommé Pompeo à la tête de la CIA : « Parce que nous faisons de notre mieux pour collecter silencieusement des informations sur ceux qui représentent de vraies menaces pour notre pays, des individus comme Julian Assange et Edward Snowden cherchent à utiliser ces informations pour se faire un nom. Tant qu’ils font des éclaboussures, ils ne tiennent pas compte des vies qu’ils mettent en danger ou des dégâts qu’ils causent à la sécurité nationale ».
Wikileaks est « une agence de renseignement hostile »
Il a ces mots pour qualifier cette activité : « Il est temps de reconnaître Wikileaks pour ce qu’elle est réellement : une agence de renseignement hostile et sans État, souvent soutenue par d’autres États comme la Russie ». Une manière de jeter à nouveau le trouble sur les activités de l’organisation, que certains accusent d’avoir été instrumentalisée pour servir des intérêts particuliers, notamment pendant la primaire du parti démocrate.
Pompeo va cependant plus loin : « En janvier de cette année, nous avons déterminé que le renseignement militaire russe – le GRU – avait utilisé Wikileaks pour publier des données sur les victimes américaines, que le GRU avait obtenues via des cyberattaques contre le Democratic National Committee ». Et d’ajouter que Wikileaks aurait collaboré activement avec Russia Today, journal très proche du pouvoir.
« Leur monnaie est le clickbait, leur sens moral est inexistant »
Wikiealks fonctionnerait d’ailleurs à un tel point comme une agence de renseignement à ses yeux, qu’elle enverrait ses propres troupes infiltrer l’agence : « Elle a encouragé ses partisans à trouver des emplois à la CIA pour acquérir du renseignement. Elle a dirigé Chelsea Manning dans son vol d’informations secrètes spécifiques ». Avant d’asséner que Wikileaks se focalise finalement sur les États-Unis « tout en cherchant le soutien de pays et organisations anti-démocratiques ».
Mike Pompeo n’a clairement que du mépris pour l’organisation : « Oui, ils essayent sans succès de se draper dans le langage de la liberté et de la vie privé, alors qu’en réalité, ils ne soutiennent qu’eux-mêmes. Leur monnaie est le clickbait, leur sens moral est inexistant.
En définitive, pour le directeur de la CIA, les actions d’Assange et Snowden peuvent être au mieux considérées comme « romanesques », mais ont un sérieux impact sur les agents en mission, les opérations militaires et plus globalement la défense nationale. Un problème de « narcissisme » pour Pompeo, mais il n’est pas dupe : « Au Kansas, nous en connaissons un rayon sur les faux magiciens », en référence à son État d’origine et à Oz.
Mike Pompeo a pourtant été un fan de Wikileaks
Mais le langage taillé à la serpe du directeur de la CIA ne doit pas faire oublier qu’il n’a pas toujours été opposé à Wikileaks. Au contraire.
En juillet dernier, il avait ainsi tweeté à plusieurs reprises – comme le rappelle le New York Times – sur le travail de l’organisation dans la fuite des emails du comité démocratique. Il louait alors sa rapidité et sa capacité à fournir des éléments de preuves. Il retweetait également Wikileaks et partageait donc les mêmes informations, comme le rappelle Jessica Schulberg, du Huffington Post. Des messages désormais supprimés.
Mike Pompeo was sharing Wikileaks documents on his Congressional Twitter account less than a year ago pic.twitter.com/cl5P6vnXSE
— Jessica Schulberg (@jessicaschulb) 13 avril 2017
Évidemment, le fait d’être au pouvoir change aujourd’hui les perspectives de ces mêmes personnes, concernées directement par les fuites.
La situation délicate du renseignement américain
Il faut noter également que le nouveau président américain n’a pas caché son avis – toujours acéré – sur les agences de renseignement du pays. Le 11 janvier dernier, il remettait en cause leur efficacité dans l’affaire des « fausses fuites » le concernant, se demandant même – dans un parallèle douteux – si on vivait désormais « dans l’Allemagne nazie ».
Le même jour, il annonçait avoir confié à Mike Pompeo et au sénateur Dan Coats le soin de créer un rapport complet sur l’état des défenses américaines contre le pirate. Le délai imparti était alors de 90 jours et on suppose donc qu’il a été remis à temps, Mike Pompeo ayant été nommé entre temps à la tête de la CIA.
Le nouveau directeur a donc la mission délicate de gérer autant les fuites actuelles que de redorer le blason de la CIA face à une présidence qui doute de ses capacités. Mais l’humeur du président est toute aussi changeante puisqu’au cours d’une conférence en octobre dernier, il déclarait lui-même : « J’adore Wikileaks ! ».
Intelligence agencies should never have allowed this fake news to "leak" into the public. One last shot at me.Are we living in Nazi Germany?
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 11 janvier 2017