L'hyperlien, l'hyper-combat de la députée Karine Berger

Les langues déliées
Droit 4 min
L'hyperlien, l'hyper-combat de la députée Karine Berger
Crédits : Marc Rees (licence CC-BY-SA 3.0)

Le gouvernement va-t-il plaider pour une modification du statut juridique du lien hypertexte ? C’est en tout cas le souhait émis par Karine Berger, députée des hautes Alpes (PS), à l’appui d’une question adressée à la ministre de la Culture.

Dans le cadre du projet de loi Lemaire, la députée Karine Berger avait déposé avec sa collègue Valérie Rabault un amendement qui avait suscité de nombreuses réactions. Pour mémoire, cette rustine visait à préciser l’étendue des droits sur les liens hypertextes afin de « redonner une protection (…) en faveur des auteurs des contenus auxquels ils renvoient ».

Un rappel : selon la loi sur la confiance dans l’économie numérique de 2004, les intermédiaires techniques sont responsables des contenus qu’ils stockent ou transmettent que si, alertés, ils ne suppriment pas ceux qui sont manifestement illicites.

C’est une responsabilité aménagée visant à promouvoir l’économie numérique et la liberté d’expression tout en garantissant la lutte contre les contenus illicites. Karine Berger et Valérie Rabault souhaitaient néanmoins revoir cette articulation, jugeant ses rouages peu en phase avec la beauté de l’exception culturelle.

Réinjecter l'autorisation dans l'accès aux œuvres

Dans leur amendement, elles suggéraient que ce régime disparaisse dès lors que les FAI ou les hébergeurs « donnent accès au public à des œuvres ou à des objets protégés par le code de la propriété intellectuelle, y compris au moyen d’outils automatisés ».

Pour ces contenus, ils auraient été contraints « d’obtenir l’autorisation des titulaires de droits concernés ». De leur propre aveu, ces deux parlementaires socialistes avaient puisé leur inspiration dans « les préconisations du rapport du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique » rédigé notamment par le professeur Pierre Sirinelli, dans l’enceinte du ministère de la Culture.  

Comme expliqué dans cette actualité, leur amendement aurait légèrement changé le visage d’Internet, puisque les intermédiaires auraient dû tous procéder à de menues vérifications avant d’ouvrir les vannes :

  1. Vérifier l’existence d’un contenu (ou d'un lien, dans l'esprit des auteures de l'amendement)
  2. Vérifier l’existence d’une œuvre protégée
  3. Identifier le(s) titulaire(s) de droits
  4. Vérifier ou obtenir leur autorisation préalable
  5. Autoriser le cas échéant le flux ou le stockage
  6. Vérifier que l’œuvre liée n’a pas changé

Sans doute par la crainte d’un rejet en séance, leur amendement a finalement été retiré avant examen. Mais Karine Berger a toujours le lien hypertexte au travers de la gorge. En témoigne, cette question parlementaire adressée ce 11 avril à la ministre de la Culture.

Elle revient sur cet amendement « d’appel » destiné à ouvrir le débat sur l’hégémonie de Google ou Facebook mais son attention se concentre davantage sur l’avenir. Dans le cadre des débats actuels sur la révision de la directive sur le droit d’auteur de 2001 et celle sur le commerce électronique de 2000, elle veut connaître, de la bouche de la ministre, « la position du Gouvernement sur les liens hypertextes, et plus largement sur les leviers juridiques qui peuvent être actionnés pour rééquilibrer les rapports entre créateurs et grands acteurs de l'internet ». Elle plaide donc toujours pour une refonte du statut juridique du lien hypertexte, jugeant la situation actuelle trop déséquilibrée au détriment des créateurs et de l’industrie culturelle.

La France au chevet de l'industrie culturelle

La position des autorités françaises ne devrait pas surprendre. Déjà, à l’occasion des travaux actuels sur la question des plateformes au Parlement européen, la France soutient sans réserve les amendements déposés par l’eurodéputé Jean-Marie Cavada qui compte disqualifier du label « hébergeur », l’intermédiaire qui interviendrait « dans l'organisation, l'optimisation ou la promotion du contenu » stocké.

Autant dire qu’avec de tels critères, des sites comme YouTube ou Dailymotion deviendraient immédiatement responsables des contenus mis en ligne par les internautes, faute pour ces plateformes de procéder à des « optimisations ». La France appuie également l’idée selon laquelle ces acteurs soient astreints à « détecter et prévenir les activités illégales (…) par des moyens techniquement fiables ».

De même, les autorités nationales ont pris sous le bras les derniers travaux du Pr Sirinelli au CSPLA qui touchent eux cette fois spécifiquement au lien hypertexte. Des travaux présentés avant hier à Bruxelles lors d'un séminaire organisé par la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne.

Au CSPLA, le nouveau rapport Sirinelli 

Dans un rapport sur la question, l’éminent juriste suggère qui celui qui poste un lien, ou le site qui l’héberge, le moteur de recherche qui en donne accès, etc. obtiennent tous « l’autorisation des titulaires de droits pour ce qui concerne leur participation à l’acte en cause ». Cette autorisation ne serait plus nécessaire sous une série de conditions draconiennes et cumulatives :

  1. « que l’auteur de l’hyperlien ne sache pas ou n’ait pas de raisons valables de penser que le contenu pointé est communiqué au public ou mis à la disposition du public de manière illicite sur le service en ligne vers lequel renvoie ce lien,
  2. et que cet oeuvre et/ou objet protégé soit accessible sans restriction sur le service en ligne vers lequel renvoie ce lien,
  3. et que la fourniture d’hyperlien n’ait pas été effectuée dans un but lucratif,
  4. et que l’hyperlien ne permette pas d’afficher ou de diffuser directement l’oeuvre ou l’objet protégé sur le service en ligne à partir duquel il est établi

Le poseur de lien devrait donc démontrer notamment qu’il n’avait aucune raison de penser que l’œuvre liée était mise en ligne illicitement et que cette œuvre n’était enfermée par aucun DRM ou aucune restriction dans les conditions générales d'utilisation du site source. Soit une belle source d’insécurité juridique, au goût de l’UFC-Que Choisir, aux antipodes des fondamentaux d’Internet.

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