Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique a décidé fin 2016 de lancer une mission sur l’économie des licences libres dans le secteur culturel. C’est peu de le dire, Wikimédia France et SavoirsCom1 sont déçus, voire mécontents, de leur audition.
Dans le cadre de cette mission confiée à Joëlle Farchy, enseignante spécialiste des industries culturelles, différentes pistes d’étude ont été tracées par cette instance abritée entre les murs du ministère de la Culture. À savoir, le panorama des licences et leurs origines, l’identification des utilisateurs de licences libres ou encore le rôle des intermédiaires dans l’évolution d’une économie du libre.
Le rapport (attendu pour septembre) devra répondre à plusieurs questions, par exemple « comment et pourquoi les licences Creative Commons ont-elles acquis au fil des ans une position de quasi-monopole et comment se sont-elles adaptées aux spécificités juridiques nationales ? ». De même, est-ce que « le domaine actuel des licences libres, en l’absence d’intervention législative nationale ou européenne, est susceptible d’évoluer » ? Enfin, est-ce que « les évolutions prévisibles sont bénéfiques pour la création littéraire et artistique » ?
« Les bras nous en sont un peu tombés ! »
À titre préparatoire, plusieurs auditions sont évidemment organisées pour nourrir ces travaux. Nathalie Martin et Émeric Vallespi, respectivement directrice exécutive et président de l’association Wikimédia France, ont déjà pu échanger avec le CSPLA le 15 mars dernier, une bonne heure durant. « Les bras nous en sont un peu tombés ! » nous relatent-ils en chœur.
Pourquoi pareil démembrement ? Selon leur témoignage, il leur a été dit que l’objet de l’étude était « pour 90 % de faire de la pédagogie sur ces licences au niveau du ministère et pour les 10 % restants, d’essayer de trouver les accords possibles avec les sociétés de perceptions et de répartition des droits », telle la Société des Auteurs dans les Arts graphiques et plastiques (ADAGP). Au fil de ces échanges, une piste leur a même été soufflée : que Wikimédia France rachète les licences d’utilisation des images gérées par ces structures, afin de nourrir les photos stockées et diffusées par l’encyclopédie libre.
Une « méconnaissance du fonctionnement de l'encyclopédie libre »
Émeric Vallespi a rejeté sans hésitation un tel scénario : « même pour un euro symbolique, cela ne nous convient évidemment pas. Suggérer une telle négociation est le signe d'une méconnaissance du fonctionnement de l'encyclopédie libre, dont le principe est la possible réutilisation des images et des textes par tout le monde ! De plus, est-ce que l'ADAGP pourrait être favorable à cette diffusion sans restriction ? Cela semble improbable ».
Quant à la suggestion d’imposer une licence Creative Commons seulement non commerciale, même coup de balai : « nous n’avons pas ce pouvoir, poursuit-il, et dans tous les cas c’est contraire au principe de libre partage de l’encyclopédie. D'autant plus que la majeure partie d'internet étant considérée comme commerciale, le partage deviendrait impossible. »
« Je trouve en outre quelque peu surprenant à l’égard du ministère de la Culture de vouloir faire de la pédagogie sur les licences libres en son sein. Nous en sommes encore là ? » poursuit le président de Wikimédia France. On se souviendra d’ailleurs que le CPLSA avait déjà planché sur le sujet dans un rapport rédigé en 2007 par Valérie-Laure Benabou et la même Joëlle Farchi.
Wikimedia Commons en situation de monopole ?
Nathalie Martin : « la rapporteure a affirmé que Wikimedia Commons était en situation de monopole et qu'il n'était pas acceptable qu'elle oblige les utilisateurs à utiliser les licences libres. Nous lui avons rappelé l’existence de Flickr notamment, et que personne n'était tenu de verser ses photos s'il ne le souhaitait pas ».
Bref, après cette audition, les impressions sont très mitigées. « Au final, nous avons surtout parlé de la possibilité ou non de réconcilier les sociétés de perception avec Wikimédia. La rapporteure se faisant la porte-parole des revendications des lobbies de la culture. Nous avons fait part de notre mécontentement quant aux propositions exotiques glissées chez les parlementaires, telle la taxe sur les moteurs de recherches d’images qui ne respecte pas la volonté des auteurs ayant placé leurs œuvres sous licences libres ». Un sujet à peine esquissé.
Pour Nathalie Martin, « la rapporteure nous a déclaré qu'elle savait que nous étions contre, et a dit qu'il n'était pas utile d'en parler davantage ». La situation est telle qu'Emeric Vallespi et Nathalie Martin en arrivent à cette sèche conclusion : « il est urgent de réformer le CSPLA qui ne tient pas le rôle prévu et dont on constate les dérives croissantes ».
L'audition de SavoirsCom1
Ayant eu l’écho de l’audition de Wikimédia France par cette mission, l’agacement de Lionel Maurel était plus que perceptible : « voir le CSPLA devenir une sorte de médiateur pour l’ADAGP, c’est intolérable ! ». Le collectif SavoirsCom1, dont il est cofondateur, a lui aussi été auditionné voilà une dizaine de jours. « La mission nous a été présentée comme portant sur les usages socio-économiques des licences libres, une mission non juridique » nous confie le même Lionel Maurel.
La première partie de l’échange s’est concentré sur l’usage des licences libres dans le champ culturel. « On nous a demandé par exemple pourquoi il n’y avait pas de films sous licence libre. On leur a répondu que ces contenus s’intégraient dans un circuit de financement notamment épaulé par les crédits du CNC. Des aides qui peuvent très difficilement bénéficier actuellement à des porteurs de projets sous licence libre. Nous avons proposé qu'une filière dédiée soit donc créée au CNC. Notre suggestion de réforme ne leur a pas vraiment parlé ».
« Les propos sont alors partis en vrille »
La deuxième partie était consacrée à nouveau à l’encyclopédie libre. « Les propos sont alors partis en vrille. » Par exemple, un point de comparaison a été dressé entre d’un côté Wikipédia, sa gouvernance et son train de licences et de l’autre Facebook. « Curieusement, la différence ne leur a pas semblé évidente. On a notamment dû expliquer que sur Wikipédia, c’est la communauté qui décide. Sur Facebook, ce sont les actionnaires via les conditions générales d’utilisation où les utilisateurs n’ont pas d’emprise. »
« Je leur ai demandé, ajoute Lionel Maurel, quel était l’objectif de cette mission, craignant une future loi pour imposer un changement de licence à Wikipédia, par exemple. La rapporteur s'est crispée et le reste de l'échange a été tendu.».
Évidemment, la redevance sur les moteurs de recherche reste en travers de la gorge, « d’autant que le dispositif avait été préparé au CSPLA » se souvient SavoirsCom1. L’initiative est pour le moins déçue, elle qui était prête à dérouler ses 14 propositions pour favoriser l’économie des licences libres. Elle les a donc publiées sur son site. On y retrouve plusieurs suggestions comme l’idée d’établir des droits sociaux (retraite, etc.) pour les créateurs qui optent pour le libre et en gagnant leur vie par le financement participatif.
Nous avons tenté de joindre la rapporteur lundi, via le CSPLA, vainement.