Licences libres : Wikimédia France et SavoirsCom1 déçus de leur audition au CSPLA

Licences libres : Wikimédia France et SavoirsCom1 déçus de leur audition au CSPLA

Abraracourcix

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Marc Rees

Publié dans

Droit

12/04/2017 7 minutes
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Licences libres : Wikimédia France et SavoirsCom1 déçus de leur audition au CSPLA

Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique a décidé fin 2016 de lancer une mission sur l’économie des licences libres dans le secteur culturel. C’est peu de le dire, Wikimédia France et SavoirsCom1 sont déçus, voire mécontents, de leur audition.

Dans le cadre de cette mission confiée à Joëlle Farchy, enseignante spécialiste des industries culturelles, différentes pistes d’étude ont été tracées par cette instance abritée entre les murs du ministère de la Culture. À savoir, le panorama des licences et leurs origines, l’identification des utilisateurs de licences libres ou encore le rôle des intermédiaires dans l’évolution d’une économie du libre.

Le rapport (attendu pour septembre) devra répondre à plusieurs questions, par exemple « comment et pourquoi les licences Creative Commons ont-elles acquis au fil des ans une position de quasi-monopole et comment se sont-elles adaptées aux spécificités juridiques nationales ? ». De même, est-ce que « le domaine actuel des licences libres, en l’absence d’intervention législative nationale ou européenne, est susceptible d’évoluer » ? Enfin, est-ce que « les évolutions prévisibles sont bénéfiques pour la création littéraire et artistique » ? 

« Les bras nous en sont un peu tombés ! »

À titre préparatoire, plusieurs auditions sont évidemment organisées pour nourrir ces travaux. Nathalie Martin et Émeric Vallespi, respectivement directrice exécutive et président de l’association Wikimédia France, ont déjà pu échanger avec le CSPLA le 15 mars dernier, une bonne heure durant. « Les bras nous en sont un peu tombés ! » nous relatent-ils en chœur. 

Pourquoi pareil démembrement ? Selon leur témoignage, il leur a été dit que l’objet de l’étude était « pour 90 % de faire de la pédagogie sur ces licences au niveau du ministère et pour les 10 % restants, d’essayer de trouver les accords possibles avec les sociétés de perceptions et de répartition des droits », telle la Société des Auteurs dans les Arts graphiques et plastiques (ADAGP). Au fil de ces échanges, une piste leur a même été soufflée : que Wikimédia France rachète les licences d’utilisation des images gérées par ces structures, afin de nourrir les photos stockées et diffusées par l’encyclopédie libre. 

Une « méconnaissance du fonctionnement de l'encyclopédie libre »

Émeric Vallespi a rejeté sans hésitation un tel scénario : « même pour un euro symbolique, cela ne nous convient évidemment pas. Suggérer une telle négociation est le signe d'une méconnaissance du fonctionnement de l'encyclopédie libre, dont le principe est la possible réutilisation des images et des textes par tout le monde ! De plus, est-ce que l'ADAGP pourrait être favorable à cette diffusion sans restriction ? Cela semble improbable ».

Quant à la suggestion d’imposer une licence Creative Commons seulement non commerciale, même coup de balai : « nous n’avons pas ce pouvoir, poursuit-il, et dans tous les cas c’est contraire au principe de libre partage de l’encyclopédie. D'autant plus que la majeure partie d'internet étant considérée comme commerciale, le partage deviendrait impossible. » 

« Je trouve en outre quelque peu surprenant à l’égard du ministère de la Culture de vouloir faire de la pédagogie sur les licences libres en son sein. Nous en sommes encore là ? » poursuit le président de Wikimédia France. On se souviendra d’ailleurs que le CPLSA avait déjà planché sur le sujet dans un rapport rédigé en 2007 par Valérie-Laure Benabou et la même Joëlle Farchi. 

Wikimedia Commons en situation de monopole ?

Nathalie Martin : « la rapporteure a affirmé que Wikimedia Commons était en situation de monopole et qu'il n'était pas acceptable qu'elle oblige les utilisateurs à utiliser les licences libres. Nous lui avons rappelé l’existence de Flickr notamment, et que personne n'était tenu de verser ses photos s'il ne le souhaitait pas ».

Bref, après cette audition, les impressions sont très mitigées. « Au final, nous avons surtout parlé de la possibilité ou non de réconcilier les sociétés de perception avec Wikimédia. La rapporteure se faisant la porte-parole des revendications des lobbies de la culture. Nous avons fait part de notre mécontentement quant aux propositions exotiques glissées chez les parlementaires, telle la taxe sur les moteurs de recherches d’images qui ne respecte pas la volonté des auteurs ayant placé leurs œuvres sous licences libres ». Un sujet à peine esquissé.

Pour Nathalie Martin, « la rapporteure nous a déclaré qu'elle savait que nous étions contre, et a dit qu'il n'était pas utile d'en parler davantage ». La situation est telle qu'Emeric Vallespi et Nathalie Martin en arrivent à cette sèche conclusion : « il est urgent de réformer le CSPLA qui ne tient pas le rôle prévu et dont on constate les dérives croissantes ».

L'audition de SavoirsCom1

Ayant eu l’écho de l’audition de Wikimédia France par cette mission, l’agacement de Lionel Maurel était plus que perceptible : « voir le CSPLA devenir une sorte de médiateur pour l’ADAGP, c’est intolérable ! ». Le collectif SavoirsCom1, dont il est cofondateur, a lui aussi été auditionné voilà une dizaine de jours. « La mission nous a été présentée comme portant sur les usages socio-économiques des licences libres, une mission non juridique » nous confie le même Lionel Maurel.

La première partie de l’échange s’est concentré sur l’usage des licences libres dans le champ culturel. « On nous a demandé par exemple pourquoi il n’y avait pas de films sous licence libre. On leur a répondu que ces contenus s’intégraient dans un circuit de financement notamment épaulé par les crédits du CNC. Des aides qui peuvent très difficilement bénéficier actuellement à des porteurs de projets sous licence libre. Nous avons proposé qu'une filière dédiée soit donc créée au CNC. Notre suggestion de réforme ne leur a pas vraiment parlé ».

« Les propos sont alors partis en vrille »

La deuxième partie était consacrée à nouveau à l’encyclopédie libre. « Les propos sont alors partis en vrille. » Par exemple, un point de comparaison a été dressé entre d’un côté Wikipédia, sa gouvernance et son train de licences et de l’autre Facebook. « Curieusement, la différence ne leur a pas semblé évidente. On a notamment dû expliquer que sur Wikipédia, c’est la communauté qui décide. Sur Facebook, ce sont les actionnaires via les conditions générales d’utilisation où les utilisateurs n’ont pas d’emprise. »

« Je leur ai demandé, ajoute Lionel Maurel, quel était l’objectif de cette mission, craignant une future loi pour imposer un changement de licence à Wikipédia, par exemple. La rapporteur s'est crispée et le reste de l'échange a été tendu.».

Évidemment, la redevance sur les moteurs de recherche reste en travers de la gorge, « d’autant que le dispositif avait été préparé au CSPLA » se souvient SavoirsCom1. L’initiative est pour le moins déçue, elle qui était prête à dérouler ses 14 propositions pour favoriser l’économie des licences libres. Elle les a donc publiées sur son site. On y retrouve plusieurs suggestions comme l’idée d’établir des droits sociaux (retraite, etc.) pour les créateurs qui optent pour le libre et en gagnant leur vie par le financement participatif.

Nous avons tenté de joindre la rapporteur lundi, via le CSPLA, vainement.

Écrit par Marc Rees

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

« Les bras nous en sont un peu tombés ! »

Une « méconnaissance du fonctionnement de l'encyclopédie libre »

Wikimedia Commons en situation de monopole ?

L'audition de SavoirsCom1

« Les propos sont alors partis en vrille »

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Commentaires (27)


Triste de voir autant d’incompréhension et d’aveuglement. D’un côté, Wikimédia vise la libre circulation du savoir, de l’autre le but est de se faire des sous sur tout ce qui bouge :/





pourquoi il n’y avait pas de films sous licence libre

Il y en a quelques uns. En dehors des films dans le domaine public, on peut voir des trucs ici , mais ce ne seront pas des blockbusters…


Après, quand tu réalises que tu dois payer une redevance aux “zèyandroas” pour la diffusion au public alors qu’il s’agit d’un contenu libre, tu comprends que ça ne se soit pas démocratisé…



https://www.nextinpact.com/news/103160-musiques-jeux-video-dans-tournois-de-spor…


En écoutant le cspla leur parler, j’imagine assez bien les personnes de Wikipedia et SavoirsCom1 se demander si ce n’était pas le 1er avril.


Cela dit, étant donné qu’il va y avoir, forcément, un changement de président et d’Assemblée, leur rapport ira aux oubliettes. Un autre sera commandé et ainsi de suite. C’est le processus habituel.


bah en voila des fonctionnaires inutiles dont on peut se passer, faut mettre au courant les présidentiables qu’ici il y a des économies possibles.



Tellement je compatis… On se croirait à notre audition HADOPI sur les DRMs.

Les mecs ne pigent rien… Et ils s’en foutent, ils sont payés…


Moi cela me rappelle mes élus aux municipales: tous les prétendants parlaient tous l’Open Data. Et quand avec ma GULL, on a discuté avec les 2 élus chargés du numérique, ils ont dit que leur réunions hésitaient sur la licence à choisir.!! 0_o



Quand on parle d’un sujet en campagne électoral, on se débrouille pour l’approfondir et la question des licences doit être connus et maîtriser avant d’ouvrir le bec sur l’Open Data.


Donc grosso-modo, ils cherchent juste des interlocuteurs pour soutenir la vision qu’ils ont déjà en tête?


Ils se font avoir, ça permet juste au gouvernement de dire “on s’est concerté avec tout le monde”. Il faut boycotter ce genre d’invitation, c’est du temps perdu, les décisions sont déjà prises de toutes façons. Le seul moyen d’influencer est médiatique, ou juridique.


Si effectivement ils envisagent d’imposer quoi que soit à Wikipedia, ils n’ont rien compris. Le domaine n’est pas en .fr, Wikimedia France est une association Loi de 1901 qui n’édite pas Wikipedia, le seul moyen de pression du gouvernement français est le blocage du site chez les FAI locaux.



C’est consternant…


Qu’ils aillent au carton, aucun gouvernement n’assumera un blocage de Wikipedia, ou une suspension de leur service en France.


Trouve pas les mots tellement c est consternant








vincz777 a écrit :



Qu’ils aillent au carton, aucun gouvernement n’assumera un blocage de Wikipedia, ou une suspension de leur service en France.





des cons qui n’ont peur de rien, y en a plein qui font de la politique :)



Pour bloquer Wikipédia, il faudrait, à priori, une décision de justice qui soit en rapport avec du (potentiel) pédo-nazi diffusé sur l’encyclopédie   …   C’est pas demain la veille.


Qu’il y ait des tocards en politique, ce n’est pas un scoop. Ce qui est effarant, c’est cette impression qu’il n’y a pas de spécialiste de la création collaborative au ministère de la culture. On est en 2017, Wikipedia existe depuis plus de 15 ans !


+1 c’est aussi mon avis, malheureusement.


J’ai une question bête… 



Si quelqu’un, à l’aise avec le vocabulaire et la grammaire, décidait de faire une pétition (je remarque qu’elles ont de plus en plus d’influence sur les politiques), est-ce que Nxi serait prêt à “dé-classifier” cet article? En respect de toutes les normes bien sûr…



On est 5 ou 6 mille abonnés, on a dans nos carnets d’adresses chacun des centaines de personnes (et des entreprises; il n’y a pas de raison qu’elles se mobilisent aux US et pas ici non?); même si seulement 5% relayent l’info, on peut être des millions…



Puis ça serait une sacrée pub pour le canard non?





PS : je sors d’un apéro coton… je suis un peu en mode bisounours… et la soirée n’est pas finie…





Edit : typo


Pour rappel, le ministère de la culture est celui des inaugurations en grandes pompes et surtout celui des petits fours salés / sucrés   …   Mais il y a rarement de la culture au menu.


Celle sur les DVD où il y a eu une autorisation de libdvdcss ou celle sur les blu-ray qui n’a rien donné ?


Creative Common contre connerie créative…








tpeg5stan a écrit :



En dehors des films dans le domaine public, on peut voir des trucs ici , mais ce ne seront pas des blockbusters…





Autant que je sache, domaine public et licence libre sont des concepts différents. Le domaine public, par essence, ne reconnait pas de licence.









Vin Diesel a écrit :



Pour rappel, le ministère de la culture est celui des inaugurations en grandes pompes et surtout celui des petits fours salés / sucrés   …   Mais il y a rarement de la culture au menu.





Hmmm.  Un certain Franck Lepage en parle comme d’un organisme à spéculer sur l’Art. Quoique les petits fours ne sont pas incompatible avec la spéculation. Les conférences gesticulées sont assez longues mais d’intérêt public.



 









Apocalypse.25 a écrit :



Creative Common contre connerie créative…



Sur ce point, tu as l’air d’avoir de sacrées compétences…









Patch a écrit :



Sur ce point, tu as l’air d’avoir de sacrées compétences…





Oui, tu es une grande source d’inspiration, Ô Maitre.&nbsp;<img data-src=" />



Tu parles d’une pétition au gouvernement pour “soutenir” Wikipédia et la Wikimedia Fundation ?

Et que, si une personne faisait cette pétition, elle aimerait créer un lien hypertexte vers cet article de NXI, et que donc tu souhaiterais le rendre accessibles à tous (et pas seulement aux abonnés) ?

Si c’est bien cela, je pense que c’est le genre de décisions qu’ils pourraient prendre, en effet (contenu élections en libre, etc.)


Oui, je parle de ça… mais vu que tu es le (la) première à rebondir sur mon post, je me dis que tout le monde est résigné…&nbsp;


Oui, c’était le sens du mot « en dehors », mébon je suis assez nul en vocabulaire&nbsp;<img data-src=" />





coket a écrit :



Si quelqu’un, à l’aise avec le vocabulaire et la grammaire, décidait de faire une pétition&nbsp;



On avait eu effectivement une belle résonance médiatique au moment des débats sur la liberté de panorama.



Mais là je pense qu’il s’agit d’une audition assez peu médiatisée et porteuse de conséquences, il y aurait un risque d’effet « le garçon qui criait au loup » en cas de « vrai » projet de loi menaçant les licences libres, la liberté de panorama, ou le domaine public.



Par exemple, la loi sur le droit à l’image des biens nationaux (une sorte de gros copyfraud à la suite de Heineken vs Chambord) est passé largement sans que personne le voit, même Isabelle Attard a dit qu’elle était trop seule :/