Le déploiement d'IPv6 avance à un rythme modéré en France, les opérateurs déployant le protocole pas à pas. Si Free et Orange sont en tête, Bouygues Telecom et SFR semblent pratiquer le statu quo. Nous avons cherché ce que cache le « taux d'utilisation d'IPv6 », pierre angulaire de l'analyse de l'Arcep, aux données parfois peu fraiches.
Le déploiement d'IPv6 continue lentement en France, les opérateurs restant le maillon le plus faible de la chaine, selon le dernier observatoire de l'Arcep. L'autorité des télécoms a publié les données pour mars, après deux premières éditions en septembre et décembre. Autant dire que la progression n'est pas folle : en quatre mois, le taux d'utilisation est passé de 13,3 % à 14,6 % en France.
La hausse est timide, alors qu'IPv4 arrive bien en bout de course. Début novembre, l'Internet Architecture Bureau (IAB) a affirmé que les prochains standards qu'il concevra s'appuieront sur IPv6, rendant le précédent protocole obsolète. Cette décision avait été saluée par le régulateur français des télécoms, pour qui le travail reste pourtant important dans nos contrées.
Les opérateurs à la traine, le mobile en cause
Qu'on le veuille ou non, ce sont bien les opérateurs qui bloquent le plus sur la question d'IPv6. Selon les dernières données de Google reprises par l'observatoire, ils affichent environ 15 % d'utilisation du dernier protocole, en comptant une absence totale sur leurs réseaux mobiles (questionnaire Arcep de 2016). Ceci dit, l'autorité affirme toujours que son déploiement sur mobile est prévu pour 2017.
Le déploiement d'IPv6 en France vu par Cisco (Crédits : Arcep)
Le reste de la chaine est bien plus raccord sur le sujet. À l'Arcep, les équipementiers ont déclaré être à 100 % compatibles IPv6 l'an dernier. Cette année, Cisco note pour sa part un taux de 50 % d'IPv6 chez les fournisseurs de contenus et 70 % chez les intermédiaires techniques. Enfin, selon l'observatoire français de la résilience d'Internet (2015), les infrastructures DNS sont utilisées à 60 % via ce protocole.
Comme nous l'expliquait l'Arcep, l'objectif est surtout de coordonner des indicateurs existants, dont ceux édités par de grandes entreprises comme Cisco ou Google. L'autorité les complète avec des réponses des acteurs du Net à ses questionnaires. Cette partie est importante, entre autres pour les opérateurs, dont le taux d'utilisation d'IPv6 est évalué par l'autorité elle-même... via des données pas toujours fraiches.
Un large retard sur certains voisins européens
Le taux d'utilisation d'IPv6 en France (14,6 %) est à mettre en rapport avec les pays limitrophes. Pour comparaison, la Belgique affiche un taux de 47,6 % d'IPv6, contre 26,8 % en Allemagne et 26,6 % en Suisse. Notons tout de même que l'Italie affiche un taux de 1,03 %, contre un minuscule 0,12 % en Espagne. Rappelons qu'il est passé de 5,7 % à près de 14 % en France l'an dernier, en partie grâce à son activation chez Orange.
Les raisons peuvent être multiples, mais elles tiennent en partie à l'adaptation de l'ensemble du réseau de chaque opérateur. En France par exemple, Orange doit renouveler une part importante de ses répartiteurs pour les rendre compatibles avec IPv6. Un travail de longue haleine, sur tout le territoire, qui ne rapporte rien en soi. Il faut donc souvent passer par d'autres améliorations (comme le passage au VDSL2 ou à la fibre) pour qu'un fournisseur d'accès change les équipements en question.
Free toujours en tête, certaines données peu fraiches
Le palmarès des opérateurs, établi par l'Arcep, ne bouge pas. Free affiche 28,5 % d'utilisation d'IPv6 (24 % en décembre), contre 16,5 % chez Orange (16 % auparavant), quand Bouygues Telecom (1 %) et SFR (0,5 %) restent stables. Comme le rappelle l'autorité, les internautes disposant à la fois d'IPv4 et d'IPv6 n'utiliseraient ce dernier que sur 30 à 50 % de leurs requêtes, selon les opérateurs. Dans l'enchainement des intermédiaires (opérateurs de transit, fournisseurs de contenu...), un maillon restant en IPv4 plombera tout le reste.
Le calcul diffère légèrement selon les opérateurs. Contactée, l'Arcep nous affirme que « le taux d'utilisation d'IPv6 » correspond au nombre de requêtes chez chaque opérateur, en fixe et en mobile. Dans la mesure où le protocole est inexistant sur le mobile, il faut donc considérer que le chiffre correspond à son déploiement sur le fixe.
Les données de World IPv6 Launch, Orange est identifié via OBS
D'où viennent les données ? Dans son observatoire, l'autorité indique qu'elles sont fournies à la fois par le site World IPv6 Launch (qui amalgame les données de fournisseurs de contenu) et par les opérateurs eux-mêmes. Dans le détail, les chiffres de Free et Orange proviennent bien du site, qui ne comptabilise pas Bouygues Telecom et SFR (qui ont des taux trop faibles pour être pris en compte).
Le régulateur récupère donc directement les chiffres auprès des deux derniers. Il admet que ses estimations ne sont pas vraiment à jour, datant du rapport au gouvernement de début 2016. Si le déploiement d'IPv6 a avancé chez eux l'an dernier, l'Arcep ne le voit pas. Les chiffres n'ont pas bougé d'un iota depuis tous ces mois.
Notons que Bouygues Telecom annonçait son activation pour les clients Bbox cette année.
L'État comme moteur de la transition vers IPv6
En septembre, sur demande du gouvernement, le régulateur présentait son plan pour le développement d'IPv6 en France (voir notre analyse). Pour l'autorité, l'État doit ainsi s'ériger en exemple sur le sujet (en passant l'ensemble des services publics en IPv6), la formation doit s'adapter au protocole (en se détachant d'IPv4) et, plus globalement, les autorités doivent jouer un rôle de coordination et de rassemblement sur le sujet, pour qu'enfin toute la chaine s'accorde sur le déploiement.
Rappelons qu'à compter de janvier 2018, l'ensemble des appareils commercialisés en France devra être compatible avec IPv6. Une mesure intéressante, qui risque pourtant d'être bien inutile. Si le protocole peine à décoller, ce n'est certainement pas à cause des terminaux, qui le supportent déjà pour la plupart.