Au Parlement européen, la France prône le filtrage des contenus sur Internet

La protection du consommateur... et des SPRD
Droit 7 min
Au Parlement européen, la France prône le filtrage des contenus sur Internet
Crédits : Marc Rees (licence CC-BY SA 3.0)

Les autorités françaises sont très à l’écoute des travaux portant actuellement sur la régulation des plateformes au Parlement européen. Une note non publique de Paris vise à appuyer certains amendements dans le cadre d’un projet de résolution examiné en commission des affaires juridiques. Et la France soutient ceux qui prônent le filtrage des contenus.

Un rapport d’initiative sur « Les plateformes en ligne et le marché unique numérique » des eurodéputés Henna Virkkunen et Philippe Juvin (PPE) poursuit son périple au Parlement européen. La commission des affaires juridiques prépare la rédaction de son avis avec l’espoir d’influencer sur le document final qui sera adopté en séance plénière. 

C’est l’eurodéputée française Constance Le Grip qui a été désignée rapporteur en « Juri ». Son projet d’avis et les amendements seront examinés demain matin toujours en commission. Les autorités françaises ont profité de l’occasion pour faire passer leur « doctrine », essentiellement propulsée par la défense de la propriété intellectuelle, bien plus que la liberté d’expression ou d'autres broutilles de ce genre.

C’est en tout cas ce qui ressort d’une « note en commission » que nous avons pu nous procurer. Des dizaines d’amendements sont épluchés par la France qui égraine à chaque fois son commentaire, histoire d'influencer sur le vote. Le document est intéressant puisqu'il permet de révéler au grand jour ses positions, très en phase avec celles des sociétés de gestion collective. 

Raréfier le rôle passif des plateformes

Dans ce document, elle estime d'entrée « extrêmement important de travailler à l’élaboration d’un cadre réglementaire adapté aux plateformes en ligne qui tirent profit des contenus qu’elles mettent à disposition ». Elle soutient ainsi sans réserve les amendements de Jean-Marie Cavada et Constance Le Grip (2, 4 et 5) « qui sont en faveur de faire assumer aux plateformes la responsabilité liée à la mise à disposition de contenus, y compris les contenus protégés par le droit d’auteur et audiovisuels ». 

L’eurodéputée suggère de mieux faire le départage entre rôle actif et passif des plateformes, afin de « les soumettre à un cadre réglementaire qui renforcerait leur responsabilité et la fiabilité de leurs services ». Et dans son amendement 15, Jean-Marie Cavada veut que la responsabilité limitée des intermédiaires du Net soit réservée aux seuls acteurs passifs. 

Pour mieux comprendre ces notions, il faut revenir un instant à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Juridiquement, les intermédiaires restent protégés par le statut des hébergeurs sauf s’ils quittent ce terrain parce qu’ils jouent un « rôle actif ». En étant passifs, ils ne sont responsables que si alertés d’un contenu manifestement illicite, ils décident de ne pas le supprimer. En étant actifs, ils sont responsables immédiatement du moindre octet de contrefaçon. 

La plume de Cavada poursuit alors pour expliquer ce qu’est justement un acteur passif : c’est celui qui s’abstient d’« intervenir dans l'organisation, l'optimisation ou la promotion du contenu ». Avec une telle définition qui pourrait un jour s'imposer aux tribunaux, ce sont des cohortes de fournisseurs de services qui deviendraient responsables immédiatement des contenus mis en ligne par les tiers, dès lors que le site « optimise » ou en fait la « promotion ».

L'eurodéputée Julia Reda, classée ennemie publique numéro 1

Plusieurs amendements de l’eurodéputée Julia Reda subissent inversement des foudres. Son amendement 11 « se positionne contre l’établissement d’un cadre réglementaire spécifique aux plateformes en ligne, au détriment du respect des droits de propriété intellectuelle » se lamente la France.

Il faut dire que l’eurodéputée originaire du Parti Pirate estime que si l’émergence des plateformes peut avoir des effets perturbateurs, en aucun cas cet effet, s’agissant des droits de propriété intellectuelle, ne justifie « l'adoption de règles qui s'écartent du cadre général applicable aux intermédiaires et aux plateformes ».

Dans un autre amendement, elle se demande « si les problèmes potentiels liés aux plateformes en ligne pourraient être résolus par une mise en œuvre adéquate et complète de la législation existante et l'application effective du droit de la concurrence de l'UE ».

La même « invite la Commission à maintenir une politique favorable à l'innovation vers les plateformes en ligne qui facilite l'entrée sur le marché et favorise l'innovation », tout en considérant comme prioritaires les nécessités de transparence ou encore de non-discrimination, etc. Pour les autorités françaises, pareil projet « n’apparaît pas assez ambitieux par rapport à la nécessité d’énoncer un cadre réglementaire encadrant les plateformes en ligne ». Et celles-ci de suggérer la mise à la poubelle d'une telle proposition. 

Julie Reda a eu aussi l’insolence de préciser que « la responsabilité limitée des intermédiaires est essentielle à la protection d’un Internet ouvert, des droits fondamentaux, de la sécurité juridique et de l'innovation ». Une horreur pour la France de Beaumarchais, Molière et Pascal Rogard. Les autorités gouvernementales « s’opposent fortement » à une telle affirmation « qui tend à limiter la responsabilité des intermédiaires qui mettent des contenus, y compris ceux protégés par le droit d’auteur, à disposition en ligne. »

Dans l’amendement 45, Reda évoque cette fois l’importance « de l'interopérabilité et des logiciels libres pour assurer la transparence et la concurrence loyale » des plateformes.  La France frôle le burn out : voter une telle disposition, c’est « cautionner une violation des droits de propriété intellectuelle ». Même réaction lorsque la députée Pirate, avec son amendement 62, s’oppose à l'instauration d'« une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances indiquant une activité illégale ». 

La France prône le filtrage 

L’amendement 32 de Jean-Marie Cavada et Philippe Juvin plaide pour l’instauration d’un devoir de diligence sur les épaules des intermédiaires. Ils seraient alors à terme contraint de « détecter et prévenir les activités illégales sur les plateformes par des moyens techniquement fiables ».  

Derrière les verbes « Détecter » et « prévenir » se cache bien entendu le filtrage de tous les contenus mis en ligne. Sans surprise, cette idée comme celle visant à promouvoir les technologies de reconnaissances de contenus (amendement 51) sont accueillies avec les cotillons français.

Dans sa note, la France développe d’ailleurs ses commentaires sur le rôle attendu de la future législation européenne : « les plateformes numériques devraient agir avec les précautions que l’on peut raisonnablement attendre d’elles afin de détecter et d’empêcher les activités illicites dans les domaines dans lesquelles elles sont actives, tout particulièrement lorsqu’elles jouent un rôle d’intermédiation ».

Elle oublie simplement de préciser aux eurodéputés qui voudront bien l'entendre que la détection des activités illicites impose le filtrage de l'ensemble des contenus afin de faire le départage entre le bon et le mauvais. Elle oublie aussi de rappeler les cas de faux positifs des robot-copyrights qui conduisent au retrait des contenus légitimes, tout en portant atteinte à la liberté d'expression ou de communication... 

Pour faire passer la pilule, et justifier ce déploiement massif du filtrage, la note prend appui sur la protection du petit consommateur et de la fragile économie numérique : « pour des considérations liées à la nécessité de préserver un niveau élevé de protection du consommateur et compte tenu de l’importance du rôle joué par les plateformes dans le développement de l’économie numérique, il conviendrait de renforcer les obligations de ces acteurs, notamment en ce qui concerne la vérification a priori de la licéité des offres ou des informations dont elles assurent la mise en ligne et le blocage d’accès aux contenus illicites ». 

On comprend du coup pourquoi Paris soutient l’amendement 33, coécrit encore par Jean-Marie Cavada : « la contrefaçon en ligne est de plus en plus recherchée par les organisations criminelles car elle est plus profitable et présente un risque plus faible de subir des sanctions pénales que le racket ou le trafic de drogue ». Même accueil pour l’amendement 65 de Constance le Grip qui promeut le déploiement de l’approche follow the money.

Un algorithme trie, donc il édite 

Sur la question des algorithmes, la France salue enfin l’amendent 66 sur la transparence de ces opérations de tri. Mais elle ajoute son appréciation : « La mise en valeur en tête du classement de certains contenus au détriment d’autres par l’algorithme s’apparente à un processus de sélection de contenus à partir de critères objectifs comme le prix, la nouveauté et la popularité du contenu ». 

Les mêmes autorités poursuivent : « certaines plateformes de moteur de recherche peuvent exercer une forme de responsabilité éditoriale, en tant qu’elles sélectionnent et organisent les contenus qu’elles indexent. Il serait alors pertinent d’envisager les implications sur la diversité culturelle de cette responsabilité éditoriale pour les plateformes structurantes pour l’économie numérique, du fait en particulier de leur capacité de diffusion de contenus culturels à grande échelle ». 

La logique, résumée au cutter : Google trie. Donc sélectionne. Donc édite. Donc a une responsabilité sur les contenus mis en avant. Donc pourrait promouvoir l’exception culturelle française. Logique !

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