Un groupe d'opérateurs alternatifs rejoint le lobby Alternative Mobile, qui devient Alternative Télécom. En quelques mois, ils veulent obtenir des offres clés-en-main (activées) sur le réseau fibre d'Orange... alors qu'une autre association s'est formée il y a quelques semaines à peine.
À quelques encablures des législatives, les lobbies poussent comme des champignons. Fin mars se formait l'Association des opérateurs télécoms alternatifs (AOTA), qui regroupe une vingtaine de petits opérateurs locaux s'estimant peu entendus par les autorités. La structure les aide aussi à s'organiser, par exemple via un système d'information commun et une stratégie de commande d'équipements.
Ce matin était présenté Alternative Télécom, un autre groupement d'opérateurs, destiné à « ouvrir » le réseau fibre d'Orange à la concurrence. Il est formé de onze membres, dont certains l'ont rejoint pour l'occasion. Des noms comme Adista, Alphalink ou Nerim sont connus des professionnels, certains disposant de leur propre infrastructure.
Le « nouveau » lobby, formé à la mi-mars (après des discussions en début d'année), est un élargissement d'Alternative Mobile qui défend depuis 2008 les intérêts des opérateurs virtuels (MVNO) qui représentent environ 10 % du marché mobile. Il affiche désormais une logique de convergence (mobile et fibre), certains de ses financeurs étant présents sur les deux segments.
Comme pour les MVNO, l'idée est d'imposer coûte que coûte l'ouverture de la fibre pour entreprises à des acteurs sans large infrastructure. « Nous allons nous battre pour que l'ouverture se fasse au profit de l'ensemble des acteurs qui, localement, souhaitent développer des offres pour entreprises... Et non pas pour un petit oligopole dans lequel on aurait organisé la présence d'Orange, SFR et Kosc » nous affirme Léonidas Kalogeropoulos, directeur général d'Alternative Télécom et patron de Médiation & Arguments, le cabinet de lobbying qui le gère.
Des résultats voulus en quelques mois
Bernard Lemoine, le président de Nerim, devient vice-président d'Alternative Télécom. Le nouveau collège fixe compte, lui, cinq membres. L'organisation dit vouloir obtenir un nouveau dégroupage, cette fois sur la fibre (donc celle d'Orange).
« Nous allons inviter l'Arcep à revenir sur les rapports dithyrambiques qu'ils ont eux-mêmes écrit sur le dégroupage du cuivre » lance Kalogeropoulos. Les cibles de son cabinet de lobbying sont surtout les régulateurs, les autorités, les politiques et, si besoin, la justice. En quelques mois, elle pense obtenir des gages des pouvoirs publics sur le dossier.
Ce dégroupage fibre doit prendre la forme d'offres activées sur le réseau de l'opérateur historique, qui détient les deux tiers du marché entreprises selon les derniers calculs de l'Arcep. Il est suivi par SFR, qui est le seul à lui opposer un autre réseau fibre national, les concurrents ayant au mieux des briques locales.
Un marché de la fibre pour entreprises dominé
En fait, le gendarme n'a pas du tout prévu d'imposer des offres « activées », que la Cour des comptes appelait pourtant de ses vœux. Dans ses orientations sur la fibre, publiées en janvier, causant une colère noire d'Orange, elle songe plutôt à des offres passives, c'est-à-dire où le mastodonte se contenterait d'ouvrir sa fibre au tiers, chargés de faire passer leur signal.
Plus globalement, l'Arcep compte supprimer « les derniers bastions du monopole » de l'ex-France Télécom, en ouvrant au mieux son génie civil et sa fibre. Le régulateur présente la fibre pour entreprises comme « un marché de luxe », auquel seuls 7 % des entreprises auraient souscrit.
Si l'autorité dit vouloir l'émergence d'un ou plusieurs autres grands opérateurs d'infrastructure, en plus d'Orange et SFR, la vérité risque d'être plus nuancée. Le scénario qui se dessine est celui d'une location du réseau fibre d'Orange à Kosc (un consortium mené par OVH), qui « activera » le réseau pour les opérateurs de détail, fournissant à leur tour le service aux entreprises clientes. Une longue chaine qui ne semble pas poser de problème au régulateur, mais à laquelle les opérateurs alternatifs cherchent des alternatives.
Orange et le mythe du départ de zéro sur la fibre
Pour Alternative Télécom, il faut obtenir des offres activées d'Orange, quitte à lui forcer la main devant les autorités. Une lettre envoyée à l'ex-FT le 22 mars, dont nous avons eu copie, demande explicitement la création d'une offre activée. Alternative Télécom nous dit ne pas avoir reçu de réponse. Contacté, l'opérateur historique répond ne pas être au courant de ce courrier.
Face aux demandes du lobby, Orange nous déclare qu'une offre activée n'est pas demandée par l'Arcep, donc n'est pas à l'ordre du jour. « Certes Orange a déployé largement plus de réseaux en fibre (FTTH) que les autres opérateurs mais c’est le résultat de stratégies d’entreprises, qui ne risquent en aucun cas de distordre la concurrence du fait de l’existence de la réglementation de l’Arcep » appuie l'entreprise.

Cette vision d'un opérateur seulement arrivé plus tôt sur le marché agace Kalogeropoulos d'Alternative Télécom. « Orange met en scène le fait d'être parti d'une page blanche avec la fibre. C'est faux, il est parti d'un acquis très précieux, qui est la maîtrise des fourreaux, des clients, du savoir-faire de l'opérateur historique ! tance-t-il. Il ne suffit pas d'aligner les milliards pour le rattraper. »
« Orange a 70 % du marché [entreprises]. À ce rythme, dans un an, ils sont à 80 %. Après 20 ans d'ouverture du marché, elle est toute relative » renchérit Pascal Caumont, président d'Adista. L'opérateur historique est accusé de chercher les clients de ses concurrents pour les basculer sur sa fibre, qu'il serait le seul à pouvoir proposer nationalement.
Face à eux, l'ex-France Télécom réclame une stabilité légale, alors que des offres passives sont déjà envisagées et qu'un troisième opérateur d'infrastructure doit venir le concurrencer. « Le cadre réglementaire n’est donc en rien stabilisé en la matière et cette stabilisation est importante pour nous permettre, le cas échéant, de faire de nouvelles offres de gros » ajoute le groupe.
Convergence des luttes avec d'autres acteurs
Ce discours d'ouverture, le secteur et le régulateur l'entendent depuis de nombreux mois, notamment de la part de la Fédération des industriels des réseaux publics (Firip), qui déploient les réseaux de collectivités en zones peu denses. L'ouverture du marché est aussi l'un des combats d'AOTA, qui dit représenter 70 millions d'euros de chiffre d'affaires et 450 emplois. Des membres d'Alternative Télécom, comme Adista et Nerim, sont déjà dans la Firip et avaient été approchés par AOTA.
N'y-a-t-il donc pas une multiplication de lobbies, en partie pour des questions d'ego ? « Si on a considéré qu'il fallait une structure pour cette bataille, c'est que les autres entravaient la liberté de mouvement » répond Alternative Télécom, qui affirme couvrir plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires pour 2 000 emplois. Ses membres sont Adista, Afone, Alphalink, Coriolis Télécom, Euro-Information Télécom, La Poste, Nerim, Paritel, Prixtel, SCT Télécom et Transatel.
Un lobby peut en cacher un autre
Il y a quelques mois, des membres d'AOTA avaient été approchés par Médiation & Arguments (la société derrière Alternative Télécom), sans succès. Contactée, l'association salue tout de même l'arrivée de ces confrères. « Dans l'ADN d'AOTA, ce ne sont pas des concurrents qui se mettent autour de la table mais des confrères qui expriment des problématiques au-delà du simple lobbying organisé pour réclamer des évolutions réglementaires » défend l'association, qui déclare vouloir développer concrètement le marché.
Pour la Firip, « tout est parfaitement orchestré ». Son président Étienne Dugas nous affirme que, si sa fédération est bien active sur le problème de la fibre pour entreprises, elle atteint la limite de sa légitimité sur le sujet. Le problème se pose surtout en zones très denses et moins denses, soit les grandes et moyennes agglomérations, dont sont souvent absents les réseaux publics de la Firip.
Cette analyse est partagée par Adista, extrêmement actif dans la Firip et donc membre d'Alternative Télécom. « AT a une vision plus globale, de convergence fixe et mobile sur la France entière » nous répond Pascal Caumont. Sur la concurrence des lobbies, il répond qu'AOTA n'a « pas la même ampleur (ils sont plus petits et locaux), ni la même vision », avant d’ajouter : « Nous sommes complémentaires, avec une vraie convergence d'intérêts ».
L'Autorité de la concurrence en vue
En plus de rencontres institutionnelles, l'un des axes suggérés est légal. « Le discours d'Orange est celui que tiennent à peu près tous les monopoles et oligopoles qui se retrouvent un jour devant l'Autorité de la concurrence » menace Léonidas Kalogeropoulos, qui parle d'un « acteur quasi-monopolistique ».
« S'ils saisissent l'Autorité de la concurrence, ils sont sûrs de gagner. La distorsion de concurrence est vraiment flagrante. Pourtant, aucun ne se risquerait à attaquer Orange individuellement. Ils en sont tous dépendants » analyse un autre acteur du marché. Alternative Télécom doit donc être une force de frappe rapide sur la fibre, alors que les combats sont moins urgents sur le mobile. La coopération avec les autres lobbies est envisageable, mais n'a pas été explorée jusqu'ici.
« Alternative Mobile est un bon vecteur, car ils ont passé leur vie à attaquer les gros opérateurs » juge Étienne Dugas de la Firip. A contrario, d'autres sociétés nous affirment que confier ce lobbying à un cabinet spécialisé est une erreur.
Le groupe arrive tout de même un peu tard, alors que l'Arcep a déjà durement défendu une offre passive sur la fibre d'Orange. L'inciter à passer au stade supérieur, via un « dégroupage » (des offres activées) risque d'être un défi, d'autant que l'opérateur historique a toujours des liens forts avec l'État. Adista et Alternative Télécom reconnaissent d'ailleurs arriver un peu après cette bataille, mais affichent toujours leur volonté d'obtenir leur sésame.