L'équipe du format court de vulgarisation Data Gueule a lancé une campagne de crowdfunding pour « La démocratie n'est pas un rendez-vous ». En 90 minutes, il doit présenter un autre visage de la démocratie, loin des professionnels de la politique et des cycles électoraux. Un projet ambitieux, qui doit s'appuyer sur les internautes et des outils libres.
Pourquoi les élections sont-elles les seuls grands moments de la vie démocratique française ? C'est la question à laquelle l'équipe de Data Gueule va tenter de répondre dans La démocratie n'est pas un rendez-vous, un « documentaire modulaire » en cours de financement sur KissKissBankBank, avec des contenus réservés en contrepartie. Sur 220 000 euros demandés, 98 000 ont été rassemblés pour le moment.
Pour rappel, DataGueule est un programme, disponible sur YouTube, qui revient en profondeur sur un sujet en quelques minutes. L'équipe, composée essentiellement de Julien Goetz, Sylvain Lapoix et Henri Poulain, se voit comme un contrepoids aux discours de « réinformation », avec les analyses et les données les plus fiables possibles.
Pour cette campagne, l'idée était de s'appuyer sur l'effervescence autour des élections, pour ensuite prendre le temps de produire le documentaire, pendant quatre à six mois... en diffusant séparément des modules au fil de la production. « On était dans l'urgence permanente de la production des épisodes de Data Gueule. Quand on a terminé le dernier, sur l'égalité des sexes, il y a quelques semaines, l'idée est revenue sur le tapis » nous explique Julien Goetz, chargé de la rédaction et « voix off » de la série.
L'idée fondamentale est de sortir de l'urgence permanente des épisodes, en se donnant le temps nécessaire pour explorer les alternatives aux élections comme mode de décision politique. Un sujet vaste, que doivent explorer 26 modules en 90 minutes, sur un mode où l'équipe n'est pas novice.
Entretiens « augmentés », animation et sketchs au programme
L'équipe avait déjà expérimenté ces grands formats avec 2 dégrés avant la fin du monde, qui avait été financé à l'époque par les Nouvelles Ecritures de France Télévisions. Cette fois, si le groupe public contribue bien au financement (pour un montant encore indéfini), aucune diffusion télé n'est prévue. « Ils auront les moyens de financer l'équivalent d'une série de modules Data Gueule à l'ancienne, entre cinq et dix en fonction du format », habituellement de trois à quatre minutes, ou de dix à douze minutes, nous précise l'équipe.
Caser 26 formats de six minutes, avec de l'animation (motion design), des entretiens « augmentés », des reportages à la première personne ou encore des sketchs, ne sera-t-il pas compliqué ? « On a réussi à le faire sur 82 minutes pour « 2 degrés », sur 90 minutes, on sera encore plus leste ! » lâche Sylvain Lapoix, qui produit la documentation de l'équipe. Comme 2 degrés, l'ensemble doit être lié par des réactions de spectateurs aux projections publiques des modules.
Les sujets abordés sont aussi divers. Pêle-mêle, l'équipe nous cite l'éducation populaire, les autres modes de scrutin et de décision, la répartition des pouvoirs, l'histoire de nos institutions, les biais qu'elles génèrent, notre rapport psychologique à l'autorité et, bien sûr, la démocratie liquide, les outils numériques et la civic tech.
Un calendrier décidé dans l'urgence
Le calendrier de la campagne, en lui-même, est une forme de rush. Ils ont mis à peine quelques semaines à la préparer, avec en tête que la dernière semaine de financement, cruciale dans chaque projet, se termine avant l'entre deux tours de la présidentielle. La production au-delà de cette date est presque subie.
Le choix de KissKissBankBank a aussi été rapide, s'appuyant essentiellement sur des liens personnels et le succès du financement du film Demain (440 000 euros sur 200 000 demandés), avec qui ils partagent une « approche de réflexion profonde sur un sujet populaire », selon Lapoix.
« Il y a un engouement massif autour de l'élection. Je n'ai aucun doute que, quel que soit le résultat, dans six mois, on sera tous revenus à nos quotidiens... Comme l'état d'urgence est reconduit de mois en mois sans qu'on se pose la question » estime Sylvain Lapoix. Le documentaire doit donc arriver dans « la période de lune de miel ou de rébellion » face au prochain (ou prochaine) président(e).
Une quinzaine de personnes pendant quatre à six mois
La production doit prendre de quatre à six mois, avec une quinzaine d'intervenants, comprenant le noyau des trois initiateurs et l'ensemble de ceux qui participent à un moment ou un autre à la conception. Il s'agit des collègues habituels de l'équipe, au sein de Premières Lignes et Story Circus.
Si l'équipe de Data Gueule dit vouloir fuir le rush permanent de la production des épisodes, un motion design de dix minutes pouvant prendre un mois de travail, avec une documentation de 70 pages, le documentaire sera le résultat de quatre à six mois de travail acharné. L'absence de diffusion télé sera tout de même un confort. « Si on se dit que tel angle mérite deux semaines de plus pour être creusé, nous pourrons nous le permettre » pense Julien Goetz.
Au-delà des modules eux-mêmes, l'équipe compte publier ses conducteurs et parler de ses premières prises de contact dans les prochaines semaines. L'équipe se rapproche aussi de Framasoft, pour trouver un outil libre capable d'héberger les contenus supplémentaires, comme des entretiens intégraux ; des versions audio seront réservées à certains contributeurs.
Une bibliographie « idéale » est aussi prévue, contenant « plein de sources commentées, celles intégrées au documentaire mais aussi celles qui ont contribué à la réflexion ».
La suite de Data Gueule en question
La diffusion du documentaire lui-même doit se faire via une licence Creative Commons non-commerciale. Les concepteurs comptent d'ailleurs prendre davantage la main sur la chaine YouTube, pour s'assurer du respect de cette licence.
Si elle dit ne pas avoir de présupposé, l'équipe défend « une approche humaniste », avec un financement populaire. Ils comptent surtout discuter avec des penseurs et acteurs de la démocratie en dehors des élus et professionnels de la politique, qui sont explicitement exclus. Le documentaire a donc une visée humaine, même s'il n'est pas encore garanti qu'il soit produit.
« S'il ne se fait pas, on prendra le temps de réfléchir » à la suite, annonce Julien Goetz. « L'idée du long format vient aussi d'une saturation de Julien et moi vis-à-vis du sacrifice permanent, notamment en termes d'informations » renchérit Sylvain Lapoix. Il faut dire que seule « la substantifique moelle » de la large documentation écrite pour chaque épisode est conservée et mise en scène. Y revenir n'est donc pas encore une évidence.